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Exclu - Rafaela Pimenta : "Pour se faire respecter en tant que femme, il faut être soi-même"

Pablo Gallego
Rafaela Pimenta lors de la cérémonie du Golden Boy 2022.
Rafaela Pimenta lors de la cérémonie du Golden Boy 2022. Profimedia
Erling Haaland, Paul Pogba, Matthijs de Ligt : elle fait partie des agents les plus influents du monde du football. Rafaela Pimenta s'est livrée dans une interview exclusive à Flashscore News, où elle a repassé, avec bonne humeur et bienveillance, son quotidien fantasmé par des millions de fans. Les joueurs cités plus haut, Mino Raiola, la place de la femme dans le métier d'agent, et plus globalement dans le milieu du football, la discrétion : tous les sujets ont été abordés pour le plus grand bonheur de nos lecteurs.

Mardi 11 juin, 13h45. Nous nous appretons à envoyer un lien Zoom à Rafaela Pimenta. Le rendez-vous était prévu pour 14h00, mais, comme souvent, dans le monde du football, il ne faut jamais rien accepter comme acquis. La loi du milieu du ballon rond. On nous fait alors comprendre qu'il y aura du retard : l'agente brésilienne est à Bucarest pour les affaires depuis moins de 24 heures et elle s'apprête à prendre un vol pour l'Allemagne, en vue de l'Euro 2024. 

14h45. On nous explique que l'appel démarrera finalement à 15h00 et on nous dit que celui-ci durera trente minutes, car Raphaela Pimenta a un rendez-vous important juste après. Nous acquiesçons avec grande bonté, avant de nous laisser embarquer dans une discussion bien trop passionnante pour couper court après une demi-heure. 

La protagoniste de l'interview, est à l'aise, et nous autres, à Flashscore News, écoutons attentivement le récit de cette femme au parcours grandiose. L'appel aurait pu durer une heure de plus, avec du "off the record" et encore plus d'anecdotes, mais nous devions couper. Et nous tenons à remercier Rafaela Pimenta de nous avoir laissé 17 minutes de plus d'interview, qui aura été très enrichissante. 

Rafaela Pimenta face à la presse
Rafaela Pimenta face à la presseProfimedia

Flashscore News :  Bonjour Rafaela, c’est un immense honneur de pouvoir échanger avec vous. Les plus grands journaux vous présentent – souvent – comme une "agente de l’ombre". Vous êtes diplômée en droit international à São Paulo et vous baignez depuis deux décennies dans le milieu du football. La rencontre avec Mino Raiola (paix à son âme) a été un moment déterminant pour vous, commençant alors une fructueuse collaboration. Pouvez-vous vous présenter pour éclaircir cette "ombre" qui plane sur vous et nous raconter vos débuts, votre histoire au tout départ, avant de rencontrer Raiola. Comment la jeune avocate brésilienne que vous étiez a réussi à s’associer avec un agent italo-néerlandais ?  

Rafaela Pimenta : Bonjour Pablo, merci pour vos mots. Mon parcours… Ça me fait sourire quand je regarde en arrière parce que les choses se sont un peu produites par hasard… 

Comme vous avez dit, je suis diplômée en droit et, à l’époque, j’étais enseignante de droit international au Brésil. Et là, un jour, un ami à moi m'a invité à faire une collaboration. Cette personne avait envie d’entrer dans le football et il avait besoin d’une personne qui s’y connaissait au niveau des lois, au niveau des contrats, tout ce qui touche à l’aspect juridique. Et il me dit : je dois voir un client, c'est un client étranger, tu peux venir avec moi et comme ça, peut-être, on va faire quelque chose ensemble. Je venais tout juste de sortir de l'université. Je vais donc au rendez-vous et quand j'arrive, je me rends compte que c’était une réunion avec la société qui appartenait, à l’époque, à Rivaldo et César Sampaio. Ils étaient en train de créer un club de football et ils essayaient de faire des transferts à l'étranger. Ils avaient des accords naissants avec des Européens. 

Et, parmi eux, se trouvait Mino (Raiola). C'est là que je l'ai connu. Et je me rappelle que Mino voulait comprendre la loi brésilienne par rapport au football. Je me présente alors à lui, je commence à lui expliquer et il contestait tout ce que je disais. Il disait : “non, ce n'est pas comme ça, mais on ne peut pas faire ça, etc”. J’en arrive alors à la conclusion que Mino connaissait la loi brésilienne – à son avis – mieux que moi. Je me suis donc retirée, je suis partie. Une décision plutôt bonne, car c'est à cause de ça que Mino m'a ensuite recontacté. 

Presque un an plus tard, il me retrouve, alors que je travaillais pour le gouvernement brésilien. Je me rappelle comme si c’était hier (rires)... J'étais à Brasília. Mon téléphone sonne, un numéro inconnu. Je décroche et on me dit : “c’est Raiola”. “Ça fait plusieurs mois que je te cherche. Je n'avais pas ton téléphone. Les gens ne voulaient pas me le passer…” 

Je lui demande alors pourquoi il voulait me parler, lui qui connaissait tellement mieux la loi brésilienne que moi (rires). Et il me répond : “non… parce qu'en fait, tu as été la seule à me dire 'non'. Toutes les personnes que je connaissais au Brésil me disaient ‘oui, oui, oui, c'est bon, c'est bon’. Comme ça, ils me faisaient investir là-bas. Mais vu que toi, tu m'as dit 'non', ça m'intéressait de travailler avec toi. Peux-tu m'aider ?” 

Je lui ai dit : “bien sûr que je peux t'aider, mais à la condition que tu m’écoutes. Si tu n'as aucune envie d'écouter, je ne peux rien faire. Je ne suis qu'un avocat”. Il a acquiescé et on a commencé une collaboration. Je lui ai dit alors : “Ok, il n'y a pas de souci, sauf que je ne suis pas libre. Je travaille pour l’état, et je ne suis pas totalement disponible comme tu pourrais le souhaiter”. 

Il me dit que ce serait "de temps en temps" qu'on pourrait échanger. J'ai dit "ok". Et ce fameux “de temps en temps” est arrivé un beau dimanche. Je dormais et je reçois un appel dans lequel j’entends : “Bonjour Rafaela, je suis en train de transférer un joueur en Argentine. Est-ce que tu peux l'accompagner ? Parce que c'est trop loin pour moi…”

Je lui réponds que c’est compliqué pour moi, que je n'ai jamais fait un transfert. Et là, il me dit : “tout est fait, ne t'inquiète pas. Il faut juste accompagner le joueur, vérifier si tout est ok, si l'accord est bien fait et si tout est bon”. J’accepte, je voyage avec le joueur, on part en Argentine… Et là, je me rends compte que rien n’était fait. Il n'y avait pas d'accord, il n'y avait pas de contrat, il y avait tout à faire. Un gars nous attendait à l'aéroport, il voulait nous raconter son baratin. J’appelle donc Mino pour lui expliquer, il n’y croit pas et finalement, je lui dis que j'allais trouver une solution. Chose que j’ai fait. Le joueur a été transféré à Boca Juniors. Et celle-ci a été ma première expérience dans le monde du football et je dois dire qu'elle était hyper intense. 

FS : Sacrée anecdote… La preuve même que tout très vite dans le monde du football… 

RP : Exactement !

FS : Dans un article paru dans Le Monde, le 9 septembre 2022, intitulé “Qui est Rafaela Pimenta, l’avocate de Paul Pogba”, le journaliste écrit : “Depuis la mort de Mino Raiola, le 30 avril, elle a repris le flambeau. Résidente à Monaco, où est domiciliée la société fondée par Raiola, Rafaela Pimenta aime la discrétion autant que son mentor affectionnait l’exubérance. Polyglotte – elle parle huit langues ­ –, elle s’exprime peu dans la presse et n’est pas active sur les réseaux sociaux”. La discrétion est-elle le premier principe de votre métier ?

RP : Oui, parce que c’est ma formation, c'est le juridique. Avec la formation juridique vient l'idée de discrétion, de confidentialité et de protection du client. On est formé pour faire ça. Et quand on va chercher ces métiers, c'est parce qu'on a envie de s'occuper d’autrui, de travailler pour leur intérêt. On doit avoir un état d’esprit défenseur. Et donc, oui, pour moi, la profession doit avoir ce côté-là. Pour moi, les prestataires de services – car c'est ça qu'on est – doivent avoir cette discrétion comme mot d’ordre, ça doit faire partie de notre métier. Par exemple, si je vais voir un dentiste, je ne veux pas qu’il expose ma vie à tous ses collègues et au monde entier (rires). Je pense que les joueurs se sont habitués, d'une certaine façon, à être trop exposés par leur entourage. Les entourages prennent trop d’espace et ils veulent trop se mettre en avant. Sauf que ce n'est pas bon… Le spectacle appartient aux joueurs. Nous, les agents, sommes là pour faire en sorte que ça puisse se passer de la meilleure manière possible pour notre joueur. On doit rester à l'ombre. Et donc, la discrétion, à mon avis, elle fait partie de mon métier. Après, c'est un métier hyper médiatique. Il y a beaucoup de curiosité… Et cela peut aussi nous intéresser. Mettre certaines situations en évidence pour le bien de nos clients, par exemple. 

FS : Cette discrétion, est-ce que vous l'aviez déjà en vous ou est-ce que c'est une chose que vous avez assimilée durant vos études ou bien durant vos expériences professionnelles ?

RP : Quand on a Mino à côté de soi (rires)… Je ne sais pas si j’avais déjà cela en moi ou pas. J'ai commencé ce métier très jeune, je n'ai pas eu d'autres réelles expériences professionnelles avant. Mes autres expériences, c’était quand j'étais professeure. Et les professeurs parlent tout le temps (rires) ! Après, quand j'étais au gouvernement, c'était un autre type de métier. Lorsque je suis passé dans le milieu du football, c'était ma première expérience professionnelle dans ce milieu, et j'ai dû apprendre vite. Malgré tout, il est clair que, par ma formation à l’université, j’avais compris que ce principe allait me suivre dans ma carrière à un moment donné. 

FS : En 2022, vous reprenez le dossier Erling Haaland

RP : (Elle coupe) C’est faux… On connaît le contexte. Déjà, plus haut, il a été dit que la société a été fondée par Mino (Raiola). Or, c’est faux. Nous l'avons créé tous les deux. Les papiers de la société, nous les avons écrits ensemble. Je trouve ça un peu machiste. Comme vous le savez, je suis très engagé dans le féminisme et, à mon sens, ceci doit être mis en avant. Nous avons rédigé les statuts de la société ensemble, main dans la main. Encore une fois, vous ne trouverez jamais une personne avec autant de respect et d'admiration pour lui. Ça n'existe pas. Mais, dans notre cas, il est important de souligner que ce n'est pas l'homme qui a tout fait. Parce que ce n'est pas le cas. Quand on fait quelque chose à deux, je trouve que c'est important de le mettre en avant. En tant que femme, je me dois de rétablir une certaine vérité par rapport à cela. Et c’est aussi important, car, selon moi, le football peut permettre aux femmes de s’émanciper. La femme a le droit à son espace dans ce milieu. 

FS : Une bonne chose de faite… 

RP : Oui, je trouvais ça important d’éclaircir ce point-là. 

FS : Pour revenir au transfert de Haaland à Manchester City, pouvez-vous nous raconter ses dessous ou une anecdote particulière ?

RP : Je ne peux pas… Et là, je tiens à insister sur la discrétion. Pourquoi vous ai-je interrompu juste avant ? Je l'ai fait exprès. Haaland est notre client depuis des années et des années. C'est nous qui avions fait le transfert au Borussia Dortmund. Et, à partir du moment où Mino n’était plus là, c’est comme si, du jour au lendemain, je devais m’en occuper. Sauf que non, ça ne s’est pas passé comme ça, on a toujours fait tout à deux, Mino et moi. Je ne dis pas ça pour la gloire ou les compliments. C’est juste pour dire, faisons également attention lorsqu’il y a une femme qui travaille. Demandons-nous quel est son rôle et son importance. 

Voilà pourquoi je vous ai interrompu plus haut. Maintenant, pour parler du transfert, je considère que cette histoire ne m'appartient pas. Elle appartient à Erling Haaland. Elle appartient à Manchester City. Moi, j'étais là en tant que conseillère. Si je vous raconte le transfert, peut-être vais-je vous raconter quelque chose qui ne m'appartient pas. Je peux donc vous donner ma perspective, mon expérience et ce qui m’a touché. Par exemple, quand on était en train de réaliser ce transfert, cela a été un moment très difficile pour moi… Très compliqué parce qu'il n’y avait pas Mino. Tous les transferts que j'ai faits dans ma vie, je les ai faits avec Mino. 

Ce que je vais vous raconter est triste. Car, de ma perspective, le transfert de Haaland, il a eu un goût "bittersweet". C'est-à-dire doux et amer en même temps. Pourquoi ? Parce que Mino n’était pas là. Et moi, j'aurais aimé être avec lui à ce moment-là, au moment du transfert, au moment de la signature et surtout au moment du premier match d’Haaland. Ce match a été un moment de joie pour tout le monde. Mais, moi, personnellement, j'avais des larmes aux yeux, car je pensais à Mino. Et je peux te dire la même chose par rapport au transfert de Paul (Pogba) à la Juventus. Le jour où Paul à signer pour la Vieille Dame, je me suis mise à pleurer. Parce qu'il y avait tout le club de la Juve, il y avait Paul, sa famille, moi-même… mais il manquait Mino. Ça a été des moments compliqués… 

FS : Aujourd’hui, vous êtes l’agente la plus influente du monde du football. En 2022, vous êtes élue par Tuttosport, Best Player’s Agent (grâce aux transferts d’Erling, de Paul et de De Ligt). Le 21 octobre 2022, le quotidien italien écrit : “L’arrivo di Paul Pogba alla Juventus, il trasferimento di Erling Haaland dal Borussia Dortmund al Manchester City e quello di Matthijs de Ligt dalla Juventus al Bayern Monaco hanno segnato l’ultima estate, facendo di Rafaela Pimenta la regina indiscussa del mercato nell’anno 2022”. “La regina”… “La reine”… Le chemin a dû être long pour arriver jusqu’ici ? 

RP : Je ne me vois pas comme ça, mais je tiens à vous remercier. Quand je regarde en arrière, effectivement, je me rends compte que le chemin a été long… Très long et très court à la fois. C’est passé à une vitesse (rires)… Comment ça a pu passer tellement vite ? Et pour revenir à la question, au début, c'était très difficile de se faire écouter. Je me rappelle le nombre d'heures passées à travailler. Des heures de sacrifices. À l'époque, le football italien était le top du football mondial. Et avec Mino, on allait souvent dans un bar proche des installations de l’AC Milan. On savait que dans ce bar, quelques fois par jour, des personnes comme Galliani venaient boire leur café. Et comme vous le savez, les cafés italiens sont courts. Tu viens et tu pars (rires) ! On allait donc là-bas, on allait jusqu'à Milan pour s'asseoir dans ce bar et attendre notre chance. Et dans le cas où ces gens passaient, ce qui durait une fraction de seconde, il fallait transformer notre "bonjour" en opportunité saisie, pour ensuite être reçu et écouté.

Ça, c'est du point de vue de notre société, mais il y a aussi le point de vue de la femme. Aujourd'hui, les femmes ont du mal à se faire écouter par les hommes dans notre milieu. Mais avant, c’était pire. Donc le chemin a également été long dans ce sens, pour se faire respecter, pour se faire écouter, pour se faire entendre… Par exemple, quand je disais quelque chose, les gens allaient voir Mino pour essayer de faire les choses différemment. Ça a été long dans ce sens-là aussi. Et ça a été à la fois court dans le sens qu'on a passé tellement de bons moments, des moments de joie, des moments de réussite professionnels et personnels… 

FS : Je n’ai pas utilisé le mot "influente" par hasard – d’autres médias vous définisse comme "puissante". Vous avez affirmé dans Téléfoot, le 19 février 2023, que le mot "puissant" n’était pas adéquat pour vous définir. Pour vous, c’est le joueur avant l’agent : "il n’y a pas un agent puissant, il y a un joueur puissant", aviez-vous dit. 

RP : Ce jour-là, j'ai fait exprès de dire ça, car j'aimerais que l’on puisse recadrer les rôles de l'agent. Parce qu’en faisant cela, on va élever le métier de l'agent. Pour moi, l'agent doit être un soutien pour son client. Comme je l’ai dit plus haut, nous ne sommes pas l’acteur principal de ce jeu. On ne peut pas enlever les pouvoirs aux joueurs. Et les joueurs doivent comprendre que le pouvoir est à eux. Et quand un joueur utilise son pouvoir et sa voix, le football devient un outil, un moyen de changer beaucoup de choses du point de vue de la société. Si on sait utiliser cela, et les joueurs aussi, on peut aller très loin. Je n’aime pas quand les agents veulent tout maîtriser. On tourne alors à la manipulation. Je n’aime pas ça, parce qu’il peut y avoir des joueurs faibles.

Notre mission comme agent, c'est aussi de renforcer la position et le rôle des joueurs pour qu'ils soient indépendants. Je veux que le joueur ait envie de travailler avec nous, car il en a besoin. Ce que j'aime, c’est quand de vrais rapports humains existent entre le joueur et l’agent. Et, surtout, ce que je cherche à éviter à tout prix, c'est un rapport de "dépendance" du joueur vers l'agent. Quand le premier peut ne pas savoir ce qui en est de son argent ou de sa carrière. À mon sens, cela est inconcevable. 

FS : Racontez-nous la semaine type pour Rafaela Pimenta.

RP : J'aurais aimé vous en raconter une (rires)... Si j'avais une semaine type, je vous l’aurais raconté avec grand plaisir ! Là, je me trouve à Bucarest, je suis arrivée à trois heures du matin la nuit dernière, je vais reprendre un vol ce soir parce qu'il y a l'ouverture de l’Euro à Munich… Donc, la semaine type, on a toujours de très bonnes intentions… On commence la semaine avec de très bonnes intentions ! On a un plan, on a un agenda, on organise nos habits, on voyage… On part, il faisait chaud, on arrive, il fait froid (rires). Je ne compte plus le nombre de fois que j'ai dû acheter un pull à l'aéroport, pensant que là où je vais, il fait chaud, et finalement, il fait très froid. Mon dernier pull acheté date de la semaine passée, c’est un pull avec écrit "Amsterdam" !

Donc, la semaine type, dans ce métier, elle n'existe pas. Il faut être flexible et il faut que ton équipe soit flexible parce que sinon, vous allez rendre fou tout le monde. Et, en plus d’être flexibles, il faut avoir de la légèreté. Je crois que c'est une question de personnalité. Il y a des gens qui arrivent à prendre avec légèreté l'imprévu. Et il y a des gens pour qui c'est trop lourd à gérer. Il faut donc être vraiment ouvert à ne pas avoir une semaine type, manger ce qu'on peut, manger à l'aéroport, être vraiment fan des sandwichs triangle. Je les connais tous (rires) ! Il faut comprendre que les choses ne vont pas se passer comme on a prévu en amont. J’ai aussi pris l’habitude d'avoir une grande valise, pour ne jamais manquer de rien et pour avoir un sens de l’équilibre parce que sinon, on devient fou.

FS : En tant que femme, et quand on sait comment fonctionne le milieu du football, quelles sont les clés pour pouvoir s’imposer ?

Tout d’abord, il faut être soi-même. Avant, je réfléchissais beaucoup, comment je dois m'habiller, est-ce que je vais être plus respectée si je m’habille comme ça… C'est évident qu’il y a toujours une certaine façon de s'habiller au travail, en règle général. Mais il ne faut pas trop se prendre la tête… Si on se prend trop la tête, on ne pourra pas être perçu comme un homme, car on n'est pas un homme. Si j'aime faire une manucure, il faut que je fasse une manucure. Si tu aimes les ongles rouges, tu le fais, parce que, à mon sens, ce n’est pas ça qui va déterminer si tu es respectée ou non. Pour moi, le respect, il vient quand on sait parler, quand on sait se positionner, quand on est sérieux, quand on est honnête et quand on sait où on est.

Si je suis là pour un joueur, je suis là pour ce joueur et rien d’autres. Je ne suis pas non plus là pour faire en sorte que les clubs m'aiment. J'espère que les clubs m’apprécient, mais je suis avant tout là pour représenter mon client. Quand on dit non à un club, ce n'est pas parce que nous, on veut dire non. On a toujours une raison et celle-ci vient de notre client. Cela, les gens qui sont sérieux dans le football le comprennent très bien. Il faut savoir dire non et il faut savoir dire oui au bon moment. Après, chaque jour est une bataille. On ne sait jamais ce qui va se passer. Il y a des jours où on rencontre des personnes qui pensent que les femmes ne peuvent pas travailler dans le monde du football… D’autres pensent que c'est un métier comme un autre. Il faut donc qu'on soit préparée, qu’on soit formée. 

J’ai une anecdote récente. J'avais un rendez-vous dans un pays dont je maîtrisais la langue à l'oral, mais peu à l’écrit. Je décide donc de me présenter à ce rendez-vous avec un avocat local à mes côtés, au cas où certaines choses auraient pu m'échapper. Tout se passe bien et à la fin de la réunion, de l’autre côté de la table, ces personnes-là disent à l'avocat qui était avec moi : "tu l’as vraiment bien préparé au milieu du football, dis donc…" Ces gens-là ne voulaient pas m’insulter, mais la remarque était malgré tout très déplacée. Cet avocat en question est alors devenu tout rouge, car la remarque était déplacée, mais aussi parce que ces personnes avaient cru qu'il était maître du dernier mot devant moi… C’est un sacré manque de respect. En gros, vous partez du principe qu’une femme ne peut pas connaître le football ? Même quand on essaye d’être sympa, ça peut vite tourner au machisme malheureusement…  

FS : Vous avez accepté d’être l’un des personnages du documentaire hagiographique sur Paul Pogba, The Pogmentary, sorti en juin 2022. À propos de vous, le milieu de terrain français dit : "elle prend soin de moi comme son enfant, donc je la considère comme ma deuxième maman. C’est ma maman du business". Et vous, vous déclarez : "lorsqu’il a gagné la Coupe du monde, lorsqu’il a été nommé pour le Ballon d’or, quand son fils est né ou qu’il a rencontré sa femme, j’étais présente à chaque fois". "Deuxième maman", est-ce gratifiant (ou même une force) d’être considérée comme telle ? 

RP : Peu importe de qui ça vient. Si c'est quelqu'un qui vous aime beaucoup, que vous appréciez également et que cette personne vous offre ce genre de mots, c'est un gros honneur. Et ça fait extrêmement plaisir.

FS : Comme vous le savez, le champion du monde 2018 a été impliqué dans deux affaires ces dernières années. Et, en tant que "deuxième maman", vous êtes la personne la mieux placée pour répondre à celles-ci. La première celle avec son frère, où vous avez géré, en coulisses, ce cas épineux. Je rappelle les faits : avant même la sortie de la vidéo de Mathias Pogba, fin août, le clan du joueur a déposé, le 16 juillet, une plainte auprès du parquet de Turin et dénoncé des intimidations. Une fois l’affaire médiatisée, le parquet de Paris a annoncé avoir ouvert, le 2 septembre, une information judiciaire pour « extorsion avec arme en bande organisée ». Quelques jours avant, fin août, Rafaela Pimenta a cosigné, avec la mère et les avocats français du joueur, un communiqué expliquant que « les déclarations récentes de Mathias Pogba sur les réseaux sociaux ne sont malheureusement pas une surprise » et que « les autorités compétentes » avaient déjà été saisies. Vous ne vous êtes jamais exprimé sur le sujet. Et nous respectons cela aujourd’hui. Mais notre question : le football, son monde, les entourages, le milieu, etc. Quand la gloire vient à vous, car vous êtes talentueux, est-ce que le premier conseil à donner à un footballeur n’est pas de faire attention ?

RP : Non, ce n'est pas le premier conseil qu'on doit donner à quelqu'un, parce que cela ne doit jamais être quelque chose de négatif, qui met en garde… Je crois que le monde est fait de bonnes et de mauvaises personnes. Donc, le premier conseil qu'on doit donner à un joueur de foot, c'est de bosser comme un fou pour réussir, parce que ce n'est pas facile. La réussite, c'est un énorme travail au quotidien, qui va prendre toute ta vie et toute ton énergie. Il faut dormir avec le ballon ! Est-ce que tu en as vraiment envie ? Si oui, alors fais-le ! Et, il faut le faire avec le cœur, pas pour l’argent. Les gens n'aiment pas quand je dis ça, mais je n'ai jamais rencontré un grand champion qui a cherché l'argent avant la réussite sportive. Les médailles, les coupes… pour un joueur de foot, c'est plus important que l'argent. Et donc, mon premier conseil, c'est qu’il faut suivre ce que le cœur dit et aller chercher son rêve. Il faut alors essayer d’arriver au sommet, pour ceux qui peuvent.

Après, oui, les conseils suivants, c’est de faire attention dans la vie, c'est évident, il faut faire attention. C'est un milieu qui attire beaucoup de profiteurs, qui attire beaucoup de gens qui ne veulent rien faire que de vivre seulement autour d'un joueur. Et où il y a un gros risque, c'est que ce type de gens-là, ceux qui gravitent dans le monde du football, c'est des gens qui ne veulent que faire croire au joueur qu'il est le meilleur, qu'il a toujours raison, qu'il est le plus beau, qu'il peut faire ce qu'il veut… Donc, il ne faut jamais perdre le sens des réalités. D'une certaine façon, c'est comme vivre sous le regard de "Big Brother". Et si on ne fait pas attention, on oublie le sens des réalités. Parfois, ceux qui sont autour de nous vont sans cesse dédramatiser… Parce qu'ils veulent que ce soit toi qui payes le dîner…

FS : Paul Pogba a écopé d'une suspension de quatre ans pour infractions aux règles de l'antidopage, le 29 février dernier. Le milieu français (30 ans) avait été contrôlé positif à la testostérone le 10 août 2023. Vous avez déclaré : “Paul n'a jamais voulu enfreindre les règles”. Pouvez-vous expliquer au monde qui est Paul Pogba et pourquoi “ce joueur n’a jamais voulu enfreindre les règles” ? 

RP : Quand j’ai dit ça, c'était une réponse ponctuelle et spécifique au contexte d’une question. Par respect envers Paul et aux autorités qui sont en charge de clarifier tout ce qui se passe, je préfère ne rien rajouter. Parce que comme avocate, je comprends que, quand on est dans la position de gérer un dossier ou d'être le juge, ce n'est pas bon quand il y a des rumeurs qui viennent parasiter le débat. La meilleure chose qu'on peut faire, si on veut du bien à Paul, qu'on l'aime beaucoup comme moi, c'est de ne rien dire. Ne rien dire pour laisser les choses s'éclaircir au fil du temps.

FN : Revenons à vous, vous considérez-vous comme un exemple de réussite à suivre pour tous ceux qui veulent se lancer dans le milieu du football ?

RP : Chaque jour, j'essaie de faire mon mieux. Et si ça peut permettre d’inspirer et de motiver ceux qui m’écoutent ou me lisent, ce sera très beau.

FS : Donnez trois à cinq conseils de vie à ceux qui veulent justement se lancer dans le milieu du football. 

RP : Ce n'est pas un métier dans lequel on réussit du jour au lendemain. Si les gens pensent qu’ils vont devenir riches, ils fantasment… Alors que ce n’est pas aussi simple, car on voyage 300 jours dans l’année, on arrive à 7h pour repartir à 20h. On perd beaucoup de moments avec la famille, avec nos proches. Donc, préparez-vous, préparez-vous pour connaître le football, pour connaître les lois, les règlements, pour parler le plus de langues possible. Et j'ai un peu l'impression que les gens pensent qu'être agent, c'est équivalent d’être avocat, alors que ce n’est pas pareil. Il faut avoir des notions de physiologie, de nutrition, de psychologie, il faut savoir comment se déroule un championnat et les règles de jeu. Connaître le domaine juridique n’est pas suffisant. Et, il faut être passionné et avoir envie d’en apprendre sans cesse tous les jours. Moi, ça fait 30 ans que je fais ce métier et dès que je le peux, je suis de nouvelles formations. En ce moment, par exemple, je suis en train de lire un livre d’un psychologue qui évoque pour la première fois les changements survenus dans le cerveau des adolescents qui ont grandi dans le monde digital que l’on connaît aujourd’hui, après avoir récolté énormément de données. Pourquoi je veux comprendre la mentalité d'un ado ? Parce que c'est l'ado qui va regarder le foot et c'est l'ado qui va devenir le joueur de foot de demain. Donc, il faut apprendre des choses qui vont au-delà du football. Ensuite, il y a des règles à suivre. Il y a des règles à respecter. La loi, elle est là pour être suivie, dont celles fiscales. On n’est pas là pour casser les règles. Quand on aura compris qu'il faut faire les choses bien, dans le bon ordre, en étant bien préparé, et être toujours mieux formé, on sera de bons conseillers et on élèvera la profession.

FS : Selon vous, quel est le principal défaut, actuellement, qui peut ressortir chez les agents de football ?

RP : Le principal défaut se voit lorsque l’agent pense qu’il peut tout faire, alors que c’est faux, car il ne connaît pas tout. Et son client a besoin de plusieurs types de conseils. Et il ne faut pas avoir peur d'ouvrir les portes à d’autres conseillers. Parce que moi, je ne suis pas un conseiller financier par exemple. Toutefois, mon obligation, c’est de l’aider à choisir la bonne personne sur le volet financier. On a un réseau et on a de l'expérience, on peut présenter 3-4 personnes, donc on peut aider à prendre des décisions.

FS : Quel est votre plus grand défaut ?

Le plus grand peut-être, c'est… (elle réfléchit…). Il y en a mille qui me viennent en tête (rires). Je cherche trop la perfection. Au Brésil, on dit que le parfait, c'est l'ennemi du bon. Parfois, il faut simplement faire les choses bien, plutôt que d'essayer de les faire forcément à la perfection. Mais, parfois, ça me freine, car je suis trop exigeante envers moi-même, alors qu’il suffit d’accepter les choses telles qu’elles sont, aussi bien avec mon équipe, qu’avec les joueurs. On fait ce qu’on peut…

FS : Et la dernière, car les fans de City, du Real, du Barça et des autres grands clubs veulent savoir. Vous aviez dit à Téléfoot également, qu’Erling Haaland valait 1 milliard d’euros. Mais des bruits courent que le joueur aurait une clause libératoire dégressive… Je ne vais pas vous demander de me confirmer cela. Mais j’aimerais vous demander ceci : Erling Haaland, actuellement joueur citizen, est-il une fantastique opportunité pour les clubs qui pourront se l’offrir et pour ceux qui pourront lui proposer un projet sportif digne de son nom ? 

RP : Quand j’ai dit que ce montant correspondait à « sa valeur », je ne parlais pas de sa « valeur de transfert ». Je faisais référence à la valeur d'un top joueur à cet âge-là, avec une marge de progression énorme – et lorsque j'avais dit ça, il n'avait même pas fait le triplé –, un joueur qui avait terminé meilleur buteur de Premier League alors qu’il a été blessé deux mois… C’est un joueur avec un très gros potentiel. Qu'est-ce que je vois quand je fais cette estimation ? Je visualise toutes les considérations financières qui gravitent autour alors que c’est quelqu’un qui est sérieux, qui bosse, qui est organisé, qui est concentré, qui ne se perd pas. Ça fait déjà deux ans qu'il est à Manchester City et il n'y a jamais eu de ragots sur lui… Son profil représente une grosse valeur aux yeux des sponsors, des clubs, ainsi pour la vente des maillots et vis-à-vis de son exposition médiatique. Et tout ça, mis bout à bout : la vente des billets, des droits de télé, tout ce que va toucher Erling au long de sa carrière, je suis convaincue que ça va dépasser un milliard.

FS : Enfin, pensez-vous qu’un joueur comme lui se doit être d’être un "one-club man" ?

RP : Je ne sais pas, mais je pense que le projet Erling Haaland est un projet qui va durer dans le temps, dans les prochaines années. Cela dépendra des tendances dans le football aussi. Dans tous les cas, une chose est certaine aujourd'hui : Erling Haaland se sent bien à Manchester City ! Il est impliqué à 1000% dans le projet des Cityzens et a déjà hâte d'entamer la nouvelle saison avec le club. 

FS : Merci beaucoup !

RP : Merci à vous, j'espère que ça a été.

Pablo Gallego - Senior News Editor
Pablo Gallego - Senior News EditorFlashscore News France
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