Qui est le meilleur basketteur de l'histoire ? Les gens de moins de 30 ans répondront probablement LeBron James, ceux nourris à la Dream Team et aux années 90 voteront certainement Michael Jordan, les nostalgiques du Showtime peuvent répondre Kareem Abdul-Jabbar, ou Magic Johnson, ou Larry Bird. Et si vos grands-parents ont visité les États-Unis dans les années 60-70 et vous ont ramené des VHS, peut-être que les noms de Bill Russell ou Wilt Chamberlain arriveront dans la conversation.
Tous les noms qui viennent d'être cités sont des monstres, des icônes de la grande ligue. Des joueurs qui ont laissé leur trace dans les livres d'histoire, et qui aujourd'hui encore, sont cités en principales influences par les basketteurs actuels. Mais nous sommes en 2023, et le besoin de classer, de rationnaliser, de déterminer pour de bon si X est meilleur que Y pour créer un débat sans fin est tout ce qui compte aujourd'hui.
Où est la pertinence, où est l'objectivité ?
Est-ce pertinent ? On peut en douter. Non pas de comparer, car on peut comprendre le besoin d'affirmer une hiérarchie. Mais probablement au niveau des arguments utilisés. Un grand nombre de personnes mettra principalement en avant le débat Michael Jordan vs LeBron James. Pourquoi écarter d'entrée de la discussion des joueurs monstrueux ?
On croirait le débat Lionel Messi vs Cristiano Ronaldo au football. Pourquoi écarter d'emblée Pelé, Diego Maradona, Johan Cruyff et consorts de la discussion ? Parce que moins de personnes les ont vus jouer ? N'est-ce pas un brin ridicule ?
Même un rédacteur de site spécialisé, un consultant, un journaliste, est avant un tout un amoureux du sport. Quelqu'un comme le rédacteur de cet article a découvert le basket avec la Dream Team. Les exploits de Jordan - et d'une manière générale de tous les membres de cette équipe de rêve - ont été les premiers à procurer de réelles émotions et à piquer au virus du basket.
On peut comprendre le besoin d'évaluer la hiérarchie. Mais ce que l'on comprend moins, ce sont les arguments. Oui, LeBron James est désormais le meilleur marqueur de l'histoire. Mais c'est bien Michael Jordan qui a la meilleure moyenne de points en carrière (30.1 contre 27.2 pour le King). "His Airness" a cependant joué moins de matchs, connu une carrière moins longue et entrecoupée de deux retraites. Comment trancher ?
Avec cinq saisons de moins, Jordan serait en théorie devant avec le même nombre de matchs. À condition d'avoir pu maintenir son niveau, car on peut facilement imaginer que ces deux pauses lui ont permis de recharger les batteries. Ce qui n'est jamais arrivé chez James. Oui mais voilà, le fantasme des six victoires en six finales de MJ lui donne chez beaucoup d'observateurs un avantage certain.
Il n'y a pas que M.J et le King
Mais alors, pourquoi ne pas parler de Kareem Abdul-Jabbar ? Il détenait donc le record jusqu'à hier. Il a plus de trophées de MVP que les deux susnommés, autant de titres que Jordan. Mais il n'est très souvent mentionné qu'en n°3. Modèle de longévité, il a été MVP des finales NBA à 38 ans. Et très clairement, il a participé au renouveau de la NBA dans les années 80.
Mais alors, pourquoi ne pas parler de Bill Russell ? On parle d'un joueur qui est 11 fois champion NBA, record dont on ne voit clairement pas comment il pourrait être égalé un jour. Alors oui, il y avait moins d'équipes, mais on jouait déjà 80 matchs par saison. Et les titres récoltés à cette époque n'ont pas plus ou moins de valeur que ceux des années 2010, contrairement à ce qu'on voudrait bien croire.
On n'a même pas évoqué 4 joueurs que le débat est déjà inaudible. Parce que les arguments sont inaudibles. D'abord, la concurrence. Les années 2010 sont ultra-concurrentielles. Ce n'est pas de nous, mais de LeBron James, un argument censé renforcé sa greatness. Elles le sont, en effet. Mais quid des années 60 ? Russell Chamberlain, Jerry West, Elgin Baylor, Oscar Robertson. Les puristes reconnaitront des légendes du jeu.
Et qui des années 80 ? Magic Johnson, Kareem Abdul-Jabbar, Larry Bird, Moses Malone, Julius Erving. Et quid des années 90 ? Jordan, Hakeem Olajuwon, Charles Barkley, David Robinson, Shaquille O'Neal. Que du lourd, que des légendes, parce qu'il n'y a pas de grand joueur sans grand adversaire.
Lorsqu'on pense Wilt Chamberlain, on pense "match à 100 points". Innarêtable, "Wilt the Stilt" n'a pourtant que deux titres au compteur. Quand à Kareem Abdul-Jabbar, il a décroché 5 fois le MVP dans les années 70, pour un seul titre au compteur dans cette décennie. Le talent ne fait pas tout.
Quel est le critère ultime ?
Mais alors, faut-il privilégier les bagues de champion ? Si oui, Bill Russell est le GOAT. Sauf qu'on a beau chercher sur les classements des analystes américains - voire français - on n'en trouve jamais trace sur le podium. Pourquoi ? Parce que les joueurs évoluaient en Converse et n'avaient pas des plans de jeu aussi évolués qu'aujourd'hui ? C'est ridicule.
Alors quoi, l'impression de domination ? Dans ce cas, Shaquille O'Neal est le GOAT. On n'hérite pas du surnom de "Most Dominant Ever" par hasard. Sur une période allant de 1999 à 2006, "Big Cactus" était inarrêtable. Pourtant, trois bagues en sept ans. Parce que comme toujours, la concurrence s'est adaptée. On ne peut pas l'arrêter ? On va le freiner au maximum.
Alors quoi, le spectacle ? Dans ce cas, Magic Johnson est le GOAT. On parle de la figure de proue du Showtime, cette période dorée des années 80, quand les Lakers étaient l'équipe la plus spectaculaire de la NBA. Et qui plus est, dominante avec 5 titres en 8 ans. Mais on en revient au fait que Magic n'était pas un scoreur extrêmement prolifique, ce qui plombe son dossier.
Alors quoi, la réputation ? Dans ce cas, Michael Jordan est le GOAT. Le joueur qui, en plus de son palmarès exceptionnel, inspirait vraiment la crainte chez ses adversaires. Capable de tirer un lancer les yeux fermés pour humilier Dikembe Mutombo. Capable de se pointer avec 39° de fièvre en finales NBA et de planter 38 points tout de même. La liste est longue. Mais il n'a pas toujours dominé, butant à plusieurs reprises sur les Pistons par exemple. La carrière n'est pas parfaite, avec ses deux retraites.
Alors quoi, le joueur le plus complet ? Si tel est le cas, LeBron James est le GOAT. Désormais meilleur marqueur all-time, il est aussi le quatrième meilleur passeur de l'histoire, et l'on ne vas pas citer la liste de ses accomplissements ici. Mais il n'a gagné "que" quatre finales sur 10, et a souvent subi la loi de Stephen Curry par exemple, qui compte autant de bagues. Bien entendu, on reconnaîtra que le chef est en dessous du King, le sujet n'est pas là.
Seul le basket compte
Quel est le critère le plus important ? La grande majorité des joueurs vous répondront "gagner le titre". Mais gagner un titre dépend de nombreux paramètres, pas uniquement du joueur. Pour preuve, Karl Malone, désormais troisième meilleur marqueur de l'histoire, mais privé de bagues, comme son compère John Stockton, et Charles Barkley, Elgin Baylor, Patrick Ewing...
D'ailleurs, le double MVP actuel Nikola Jokic à déclaré qu'il "se foutait du MVP, tant que le titre est au bout". Si les joueurs eux-mêmes le disent, ce devrait donc être le critère n°1 ! Mais jamais on ne verra Bill Russell et ses 11 bagues élu GOAT. Le critère perd de sa valeur quand il s'agit de lui, pour des histoires de non-concurrence pourtant déjà évoquées.
Reste la culture de l'instant. Quelque chose qui empoisonne le débat. On vient d'assister à la performance de LeBron James, et cela donne envie de le consacrer GOAT, parce que cela voudrait dire que l'on a vu le GOAT jouer. Et c'est quand même un privilège. Qui en France a vu jouer Bill Russell ou Wilt Chamberlain en direct ? Difficile dans ces conditions.
Mais la culture de l'instant a ses limites. LeBron vient de battre ce record avec une équipe qui ne disputera peut-être pas les playoffs. Est-ce cela que l'on attend d'un GOAT ? De quoi ternir la réputation. Comme a été ternie celle de Jordan quand il a porté le maillot des Washington Wizards pendant deux saisons. Des performances exceptionnelles dans des équipes carrément déprimantes.
Et en même temps, comment en vouloir à quelqu'un qui a commencé à suivre la NBA en 2010 de ne pas considérer les joueurs du siècle précédent ? La vérité, c'est que tous ces joueurs sont des légendes. Et si on nous demandait de voter , on choisirait probablement Kareem Abdul-Jabbar, alors qu'on a vu très peu de matchs de lui. Mais ce qu'on a vu nous suffit, comme son palmarès immense qui ferait le reste.
Mais qui sommes nous, pour décider de cela ? Ce n'est pas un référendum, chacun a le droit de donner son avis. Mais on vient d'énoncer plus d'une dizaine d'arguments, et on n'y voit pas plus clair. Pourquoi ? Parce qu'il vaut mieux parler de générations. La première a vu dominer Bill Russell, la deuxième Kareem Abdul-Jabbar, la troisième Michael Jordan et le XXIème siècle est l'apanage de LeBron James.
Un jour peut-être, un joueur disputera 25 saisons NBA, gagnera 15 titres, inscrira 45.000 points en carrière, et alors, il n'y aura plus de questions à se poser. Mais en attendant, pourquoi ne pas arrêter de manquer de respect à des légendes du jeu en tentant de les confronter alors que cela n'aurait jamais pu arriver sur un terrain ? Aujourd'hui, à l'heure de la toute puissante statistique, tout le monde n'a que ça à la bouche.
Ici, on préfère se réjouir qu'un record qui semblait inatteignable ait pu être battu sous nos yeux. Et questions émotions sur le parquet - et en dehors - on est servis depuis 10 ans et même bien plus. Mais il faut bien vendre, alors tout le monde fait des classements, des échelles de valeur, des comparaisons sans queue ni tête. Alors regardez de la NBA, et ne vous occupez pas du classement du GOAT : d'autres le ferons pour vous, et vous pourrez alors les ignorer. Et vous concentrer sur l'essentiel : le basket. Pas de leçon de morale ici, juste une opinion.
