En début de saison, Corentin Moutet était 92ème joueur mondial. Grand espoir français, il avait du mal à franchir un cap. Malgré un talent évident, et le soutien de la Fédération Française de Tennis, il vivotait autour de la 80ème place mondiale, et l'on avait peur qu'il rejoigne la longue litanie d'espoirs tricolores n'ayant pas confirmé leur potentiel.
Mais force est de constater que les progrès sont réels. Même s'il venait à s'incliner ce soir contre Cameron Norrie, en 16èmes de finale du Rolex Paris Masters, Moutet serait 55ème mondial lundi prochain. Son meilleur classement en carrière, qui le mettrait à quelques encablure de la place de n°1 tricolore.
La suite logique d'une saison où le Français a beaucoup progressé. Avec notamment un premier 8ème de finale en Grand Chelem, lors du dernier US Open. Il y avait saisi sa chance, repêché comme lucky loser après une défaite au dernier tour des qualifications. Seul Casper Ruud avait pu stopper son parcours.
Alors qu'il a enfin lancé son ascension vers les sommets, voilà que la FFT, en plein tournoi de Bercy, l'évince des instances fédérales. Voilà une décision qui n'a pas fini de faire jaser.
La FFT gâche la fête
De par son timing d'abord. Pourquoi maintenant ? La saison des Français sera terminée ce weekend au plus tard, puisqu'aucun ne sera aux ATP Finals, ni même aux phases finales de la Coupe Davis. Annoncer cela vers le 15 novembre semblait bien plus opportun.
Certes, on ne peut écarter l'éventualité d'une fuite, comme c'est le cas pour beaucoup d'infos. Mais le fait que cette décision ait été prise avant la fin de saison interpelle. Comment juger une saison si elle n'est pas terminée ? Et si Moutet venait à s'enflammer et à atteindre le dernier carré à Bercy, voire mieux ?
Un tel résultat, s'il serait extraordinaire pour Moutet, serait catastrophique pour la FFT en terme d'image. Mais aussi en terme de message envoyé à ses espoirs. Restez dans les clous, sinon, on n'hésitera pas, même si vous avez du succès. À croire que l'image est plus importante que les résultats.
Le tennis masculin français attend un vainqueur de Grand Chelem depuis presque 40 ans. À l'heure du crépuscule de la génération des Mousquetaires, il faut renouveler le contingent de top 100 tricolores. Moutet est tout indiqué pour prendre la relève, d'autant qu'il est couvé par la FFT depuis ses débuts.
Star chez les jeunes, avec des titres de champion d'Europe, il avait développé une progression patiente sous la houlette de Laurent Raymond. En profitant du giron de la FFT, il pouvait se développer à l'ombre des plus grands. Tout cela est fini.
Pas irréprochable pour autant
Ce qui est reproché à Corentin Moutet, c'est bien entendu son comportement. Il est clair que le Français n'est pas un modèle, et le but n'est pas nécessairement de le défendre.
Les images de son altercation avec Adrian Andreev en septembre au Challenger d'Orléans sont encore dans toutes les têtes. Et c'est un comportement condamnable. Mais on a tendance à se focaliser là-dessus, en omettant le plus important : Son tennis.
Seulement, de cela, on n'en parle plus. La preuve, il a été fustigé pour avoir abandonné récemment à Naples sans raisons apparentes. La réalité, c'est que ce tournoi était une mascarade qui a failli ne pas avoir lieu, à cause de courts dans un état exécrable, que la fronde des joueurs a forcé l'organisation a effectuer des réparations, et que Moutet a abandonné parce qu'il a jugé l'état des courts dangereux.
Alors d'accord, Moutet n'est pas un enfant de coeur. Disqualifié pour des mots doux en début d'année à Adélaïde, il a rebondi dès la semaine suivante au même endroit pour rejoindre une demi-finale. Mais c'st son altercation avec l'arbitre qui a fait les gros titres, pas sa performance en suivant.
Corentin Moutet a remporté deux tournois Challenger cette saison. Il a atteint le deuxième tour à minima dans trois Grands Chelems, avec cette demi-finale à Adélaïde en prime. Cela semble minime, mais c'est mieux que beaucoup de Tricolores, puisque seulement trois (Gaël Monfils, Arthur Rinderknech et Adrian Mannarino) ont disputé une finale ATP cette saison. Monfils étant le seul à avoir fait mieux que Moutet en Grand Chelem (1/4 de finale à l'Open d'Australie).
À l'heure où Roger Federer a été longtemps l'idole de toute une génération, avec son côté lisse et impeccable (qui a déjà vu le Suisse s'énerver sur un court ?), les caractères comme Moutet sont mal vus. Ou comme Nick Kyrgios. Soit le finaliste du dernier Wimbledon.
Comprendre avant de juger
S'il n'est pas question d'encourager le comportement d'un Moutet, il est surtout question de patience. Corentin Moutet à 23 ans. Au vu des progrès affichés cette saison, on était en droit d'attendre une grande saison 2023. Si cela est toujours possible, et qu'après tout, l'heure est peut-être venue de voler de ses propres ailes, on ne comprendra jamais un tel choix de la part de la FFT.
Parce qu'il faut comprendre avant de juger. Il faut comprendre pourquoi. Les accès de colère de Moutet ne datent pas d'hier, certes, mais peut-être que lui laisser le temps de mûrir semblait le minimum. Effacer le soutien de la FFT progressivement aurait sans doute été un meilleur angle.
Oui mais voilà, de nos jours, les fédérations sont soulées de scandales, de frondes. Le plus important, c'est d'être lisse. D'écarter les brebis galeuses. Alors que sauf erreur de notre part, il n'y a aucune trace de critiques de Moutet envers la FFT. Au lieu de comprendre, cette dernière a jugé. Et tranché dans le vif. Espérons que ce soir, Corentin Moutet leur donne tort.
