De bons coursiers, assurément. Mais des champions ? Le Giro s'élance ce samedi et la même question revient inlassablement sur le tapis rose : où est la relève ? L'Italie reste une terre cycliste à part entière où naquirent les Ottavio Botecchia, Alfredo Binda, Gino Bartali, Fausto Coppi, Francesco Moser, Marco Pantani. Des légendes entourées d'un halo de lumière divine, suscitant admiration et polémiques.
Si le Pirate a été à cet égard le dernier campionissimo total, Vincenzo Nibali et, dans une moindre mesure, Fabio Aru, ont su faire battre le coeur du Bel Paese. Le Requin de Messine a remporté les 3 Grands Tours, le Sarde s'est adjugé la Vuelta : leur cyclisme offensif, romantique et plein de panache n'a pas toujours payé mais il a eu le mérite de réveiller une discipline longtemps corsetée par la découverte des compteurs de watts et des gains marginaux relégant le spectacle au rang du superflu. Le seul qui aurait pu devenir le véritable héros national extravarti par son caractère, son imprévisibilité et son impulsivité se nomme Riccardo Ricco' mais le Cobra s'est perdu dans les méandres du dopage. Plus réservés, Nibali et Aru ont été aimés mais cet amour sincère est néanmoins resté rationnel, en raison de leurs personnalités et aussi par manque de rivalité du type Gianni Bugno-Claudio Chiappucci.
Une progression trop lente
Aru a arrêté en 2021, à 31 ans. Nibali a mis la flèche l'année dernière, à 37 ans. Son dernier Giro, achevé à la 4e place, a apporté autant de joie qu'il a exposé le vide générationnel italien. Le seul coureur d'envergure actuellement est Filippo Ganna. Pistard exceptionnel, rouleur impressionnant, il est taillé pour les Flandriennes mais pas pour un Grand Tour. Or le campionissimo doit être performant sur les courses de trois semaines.
Deuxième du Tour de l'Avenir en 2019, Giovanni Aleotti, 23 ans, prendra le départ du Giro avec Bora-Hansgrohe. Ce sera son 3e tour national mais on a du mal à le voir jouer autre chose que des étapes alors qu'il a terminé 80e en 2021 et 72e en 2022. Au service d'Alexander Vlasov, le natif d'Émilie-Romagne a signé une 7e place sur le GP de Montréal en fin de saison dernière, preuve que la qualité est là. Mais avec la comparaison biaisée des Remco Evenepoel et Tadej Pogacar, si à 23 ans, tu n'as pas gagné un Grand Tour...
Le Baby Giro, pendant transalpin du Tour de l'Avenir, a révélé des coureurs comme Pavel Sivakov (vainqueur 2017), Vlasov (vainqueur 2018), Tom Pidcock (vainqueur 2020), Juan Ayuso (vainqueur 2021), Joao Almeida (2e en 2018), Jai Hindley (3e en 2017). Seul Kevin Colleoni s'est hissé sur le podium, en 2020. Trois ans plus tard, le coureur de 23 ans de Jayco AlUla n'a pas fait mieux qu'une 3e place du Tour de République tchèque et 7e du Tour d'Oman en 2022. Ses résultats depuis le début de saison ne sont guère emballants.
Le Top 20 serait déjà une performance
Filippo Zana est-il le seul Italien en mesure d'enflammer les foules ? Troisième du Tour de l'Avenir en 2021, le coureur de 24 ans a remporté son titre national et débute son 4e Giro. Arrivé cette année chez Jayco AlUla après 2 ans à la Bardiani, le Vénitien fait partie d'un collectif taillé pour les victoires d'étapes avec l'inusable Michael Matthews et les barouds avec l'éternel Alessandro de Marchi. Zana jouera-t-il le général alors que ses classements successifs (100e, 73e, 47e) indiquent sa marge de progression ? A priori, il peut envisager un Top 20, voire mieux s'il est accompagné, ce qui n'est écrit d'avance.
Hormis Zana, Lorenzo Fortunato, vainqueur d'étape en 2021, représente probablement la meilleure chance au général pour le Bel Paese. Et cela donne clairement un aperçu du fossé générationel que traverse le pays. À 26 ans, le coureur d'EOLO-Kometa, équipe de 2e division mondiale, est en forme : 5e du Tour des Alpes mi-mars, il vient de remporter le Tour des Asturies. Poids plume (1.70m pour 55kg), il a le gabarit pour la haute montagne. Mais avec les 70 kilomètres de contre-la-montre, il risque de prendre beaucoup de retard.
Problème structurel au haut niveau
Au-delà du manque de talents émergents, l'Italie souffre d'un manque de structures au plus haut niveau. En World Tour, il n'y a aucune équipe transalpine. Bardiani et Corratec sont présentes en Continental Pro mais l'accès au WT est complexe, tant en termes de résultats qu'au niveau financier. EOLO est composée de nombreux Italiens mais sa licence est espagnole. Enfin, la nouvelle née Q36.5 bat pavillon suisse et a pour ambassadeur... Vincenzo Nibali.
L'âge d'or des Mapei, Fassa Bortolo, Lampre et autres Liquigas est révolu depuis longtemps en raison des aléas du sponsoring et des affaires de dopage. Alors que de nombreux directeurs sportifs italiens seront dans les voitures (sans compter les deux équipes italiennes : Fabio Baldato et Fabrizio Guidi chez UAE-Team Emirates, Matteo Tossato chez INEOS-Grenadiers, Davide Bramati chez Soudal-Quick Step, Bruno Cenghialta chez Astana, Enrico Gasparotto chez Bora-Hansgrohe, Alberto Volpi chez Bahrain-Victorious, Roberto Damiani chez Cofidis, Stefano Zanatta chez EOLO-Kometa, Valerio Piva chez Intermaché-Circus-Wanty), témoignant d'un savoir-faire en matière de compréhension de la course, la formation et surtout les axes de progression pêchent terriblement. Et pour avoir le campionissimo du futur, il faut de l'émulation. À moins qu'un OVNI ne débarque ex nihilo pour soulever les foules. Mais pour l'heure, le successeur du Requin de Messine a certainement encore des dents de lait.
