Le Ballon d'Alsace est un monument du Tour de France. C'est tout simplement la première ascension de l'Histoire de la Grande Boucle. En 1905, René Pottier a basculé en tête, sans mettre pied à terre, à une allure de 20 km/h. Soixante-quatre plus tard, un mythe du cyclisme y écrit son premier haut fait d'arme. Son nom ? Eddy Merckx.
Le Belge est en quête de revanche. Un mois plus tôt, alors qu'il est en passe de remporter le Giro, il est exclu pour dopage, positif au Fencanfamina, un stimulant. Celui qui est surnommé le "Cannibale" depuis sa démontration au Tre Cime di Lavardero est prié de déblayer à trois jours de l'arrivée. Les conditions restent encore très troubles. Les échantillons ont mystérieusement disparu, Merckx n'a pas été convoqué pour la contre-expertise et il semble très probable qu'il s'agissait de faire Felice Gimondi. Or le campionissimo a pris la défense de son rival, menaçant même de faire grève ! Il sait de quoi il parle : il avait été lui aussi contrôlé au Fencanfamina l'année précédente mais lui n'avait pas été sanctionné. Les joies de la course à l'italienne en somme... Plus tard, Merckx confiera que Rudi Altig, coéquipier de Gimondi, avait été mandaté pour convaincre le Belge de perdre son maillot rose contre une valise bourrée de liasses.
Merckx en expédition punitive
Un mois et un jour plus tard, Merckx est remonté comme jamais. Après avoir remporté le contre-la-montre par équipe avec la Faema lors de la 1re étape b, il a porté le Maillot jaune pendant une journée. La veille, à Mulhouse, Joaquim Agostinho l'a emporté et Désiré Letort a pris la tête du général.
Pour la première fois, le peloton du Tour aborde les pentes du Grand-Ballon. Un jeune coureur belge de 22 ans passe en tête : Lucien van Impe. Dans cette étape nerveuse de 133,5 km, tout reste à faire après la descente. Seuls Luis Ocaña et Ferdinand Bracke valdinguent.
Au pied Ballon d'Alsace, Merckx allume les gaz. Tout le monde saute. Le grand échassier Roger Pingeon, vainqueur du Tour 1967 et de la Vuelta moins de mois plus tôt, passe par la fenêtre. Le tenant du titre Jan Janssen cale aussi. Même sort pour Gimondi et Raymond Poulidor.
Les deux seuls à tenir la cadence sont l'Allemand Altig et l'Espagnol Joaquín Galera. Ce dernier est distancé et seul le vainqueur de la Vuelta 1962 reste au contact. Mais le Belge, affublé du mythique dossard 51, connaît déjà l'épilogue de l'histoire, comme il le rappellera quelques années plus tard : "je me rappelle que dans le Ballon d'Alsace, il ne restait qu’Altig et moi. Je voyais qu’il était moins costaud, j’ai mis une dent de mieux et il a coincé".
Mis dans le rouge à 3 km du sommet, Altig est remonté par Galera qui passera la ligne 55 secondes après Merckx. Altig accuse un retard d'1'55 et Roger de Vlaeminck, 4e, arrive 4'16 de débours sur son rival des classiques de printemps, juste devant l'essentiel des concurrents du Cannibale qui sont relégués à 4'21. Sur le podium, le Belge se pare du Maillot jaune, maillot du classement par points et maillot du classement de la montagne. Une razzia.
C'est le couronnement de l'Empereur Merckx. Le Tour est assommé. Après cette première victoire individuelle sur la Grande Boucle, 4 autres suivront. À Paris, Pingeon accusera un retard de... 17'54'' et Poulidor, 3e, 22'13''. Quant à Gimondi, 4e, il est "puni" pour sa victoire sur le Giro : 29'24'' d'écart ! L'art et la manière de triompher.
