Dommage. Même ceux qui, jusqu'à hier, ne savaient pas à quoi ressemblait une raquette de tennis en Italie étaient devant leur écran pour suivre l'enfant prodige Jannik Sinner qui avait battu d'illustres victimes aux ATP Finals et affrontait en finale Novak Djokovic, le numéro un mondial qu'il avait vaincu en début de tournoi. Si les attentes étaient grandes et les espoirs ne manquaient pas, ceux qui connaissent un peu de tennis savaient que Nole en finale serait un joueur différent, surtout qu'un 7e triomphe lui permettrait de dépasser définitivement Roger Federer.
L'occasion... ne fait pas de l'homme un voleur
Si Djokovic était de nouveau en finale, c'était pour partie grâce à Sinner. Le Tyrolien du Sud avait le sort du Serbe entre ses mains : battre Holger Rune et qualifier le Djoker pour le dernier, ou perdre et l'éliminer. Avant que Sinner ne démontre au monde entier son intégrité professionnelle, beaucoup en Italie, dans cette Italie qui est un peu une diatribe au "penser mal est un péché, mais on le devine souvent" de l'ancien premier ministre Giulio Andreotti, avaient déjà pensé à un "biscotto", c'est-à-dire à une défaite de Sinner.
Et ce lundi, au lendemain de la finale perdue, l'opinion publique est divisée. Il y a ceux qui lui reprochent de ne pas être assez malin et ceux qui le défendent en louant son sérieux. Personnellement, tout en reconnaissant sa grande justesse, j'y ai vu un manque de malice qui n'a rien à voir avec l'injustice. Outre le fait que nous, Italiens, qui passons pour des coquins, avons souffert sportivement de la part de ceux qui devraient théoriquement être supérieurs éthiquement, moralement et civilement (Danemark-Suède (2-2), lors de l'Euro 2004), si Sinner avait perdu volontairement (les coups l'auraient montré), je l'aurais condamné aussi, mais s'il n'avait pas assez essayé, j'aurais compris.
Commençons par dire que cela n'aurait pas été un "biscotto" car, pour cela, il aurait fallu que Sinner soit d'accord avec Rune, ce qui n'aurait jamais été le cas car tous deux sont de vrais sportifs qui veulent gagner. Cependant, le Tyrolien du Sud avait de bonnes raisons de ne pas jouer ce match au meilleur de sa forme : il était psychologiquement vidé, déjà qualifié (grâce au set "donné" par Nole contre Hubert Hurkacz), physiquement fatigué par un match qui avait duré 3 sets contre un adversaire qu'il n'avait encore jamais battu.
Cet avantage stratégique de pouvoir éliminer Djokovic n'aurait pas été répréhensible. Daniil Medvedev l'a fait avec Alexander Zverev, même si le Russe ne passe pas pour être le plus fair-play du monde. L'extrême équité est-elle payante ? Jimmy Connors était-il juste ? John McEnroe ? Que retenez-vous d'eux ? Qu'ils ont été de grands champions.
Tout en admirant l'engagement de l'Italien, le plus surpris par l'issue du match aura sans doute été Djokovic lui-même, qui avait déjà "pleuré" pour faire oublier une éventuelle défaite ("je suis sûr que Sinner travaillera dur pour gagner"), et son entraîneur Goran Ivanisevic qui a admis que "quelqu'un dans l'équipe a dit que Sinner ne se donnerait peut-être pas à 100 %, étant déjà en demi-finale", comme pour dire qu'un manque d'engagement était compréhensible compte tenu de la situation. Cela dit, je suis quand même content que Sinner ait montré à tout le monde qu'il n'avait pas peur du numéro un mondial et qu'il se soit comporté de manière professionnelle en nous offrant la meilleure finale possible.
L'erreur (peut-être) décisive de la finale
Si les avis divergent sur la décision de jouer à fond contre Rune, je pense qu'il y a un accord absolu sur l'erreur flagrante commise par le Tyrolien du Sud et son coin en finale, lorsqu'à 2/1 Djokovic dans le premier set et balle de break en faveur du Serbe, Sinner n'a pas fait appel au hawk eye alors que sa balle touchait la ligne.
Même si le joueur et son entourage l'avaient vu, dans ces cas-là, le replay est TOUJOURS demandé parce qu'il s'agit d'un point décisif et, comme cela s'est avéré, il peut y avoir une marge d'erreur qui peut jouer en faveur du joueur. Je suis sûr que Djokovic et son entourage l'auraient réclamé, mais pas seulement eux. Dans ces cas-là, c'est TOUJOURS réclamé. Probablement que le Serbe vu hier (et contre Carlos Alcaraz) aurait gagné de toute façon, mais il n'y a aucun doute que ce break a pesé comme un rocher sur le moral de Sinner et a donné une tournure au match qui, même s'il était encore tôt, était encore équilibré.
En conclusion, Sinner doit être absolument félicité pour ce qu'il a fait, et il doit être applaudi pour un grand tournoi. Mais, en plus de la progression mentale et technique pour devenir numéro un, l'Italien doit grandir en malice. Peut-être rester moins froid, évacuer davantage ses émotions sur le court au lieu de les intérioriser et de les subir, mais aussi penser de manière plus "compétitive", en utilisant des astuces comme l'appel au hawk eye pour déconcentrer l'adversaire.
Merci Jannik pour cette année 2023 mais nous attendons beaucoup de cette année 2024 car tu es tout proche d'être le numéro un.
