"L'Aigle de Vizille" aurait dû être surnommé "Le Roi du Dauphiné". Le Critérium était sans doute l'épreuve préférée de Thierry Claveyrolat qui y a remporté 5 étapes. Mais aussi une épreuve pleine de frustration, lui qui aurait pu (dû) en gagner le classement général en 1990.
Un parfait résumé, en somme, de sa carrière. Des victoires, de belles victoires, mais toujours un sentiment d'inachevé, toujours l'impression que ce magnifique coureur aurait pu aller plus loin et connaître un succès insolent. Souvent, ce n'était pas sa faute, ce qui renforce l'amertume.
Car s'il a un palmarès de qualité, il est très connu pour une course en particulier : les Championnats du monde de 1989, organisés à Chambéry. Sur le papier, un terrain de jeu idéal pour lui, d'autant qu'il était en plus dans une forme étincelante. Résultat : il se porte à l'avant, en compagnie de Dimitri Konyshev puis de Steven Rooks. Pas de quoi lui faire peur.
Mais pourquoi diable a-t-il fallu que Laurent Fignon secoue le cocotier derrière, dans la dernière ascension ? Trois hommes à l'avant, c'est l'assurance d'une collaboration optimale puisqu'une médaille est assurée pour tout le monde. Or le leader supposé des Bleus va enterrer les chances de son coéquipier, en ramenant tout le monde, pour une victoire finale de Greg LeMond. Et les Français, à deux dans le groupe de six en tête, vont réussir le tour de force de terminer 5 et 6.
Règle n°1 du vélo : on n'attaque pas quand on a un coéquipier à l'avant, on le protège et l'on saute dans les roues. Claveyrolat le reprochera amèrement à Fignon après la course, mais le mal est fait. Battu de huit secondes par LeMond au Tour de France quelques mois plus tôt, Fignon avait visiblement des choses à prouver. Et c'était au détriment de Claveyrolat.
L'année suivante, il fait donc comme souvent un festival sur le Dauphiné, nanti de jambes exceptionnelles qui le verront aller chercher une étape et le maillot à pois sur le Tour de France suivant. La 6ᵉ étape est splendide, il fait un numéro et rafle l'étape et le Maillot jaune. La victoire finale, la plus grande de sa carrière, lui tend les bras.
Mais, voilà, les organisateurs ont eu la bonne idée de placer un contre-la-montre de près de 40 bornes sur la dernière étape. Un coupe-gorge pour l'Aigle qui ne résistera pas à Robert Millar et devra rendre le maillot. Dommage, tant cet homme du Dauphiné aurait mérité une belle victoire sur une course par étapes.
La griffe de l'Aigle
Quand l'édition 1991 arrive, Claveyrolat est en plein doute. Pas une victoire de la saison, tout juste s'est-il signalé avant en prenant la deuxième place des Championnats de France. Son équipe, la RMO, est dévolue à Charly Mottet, qui terminera 4ᵉ du général. Et, on se demande alors : "quel rôle pour l'Aigle ?".
Le rôle de l'électron libre, bien évidemment. Mottet a quelques équipiers fidèles – dont Mauro Ribeiro, vainqueur de l'étape du 14 juillet –, et lors de la dernière semaine, Claveyrolat peut jouer sa carte. L'étape vers Morzine est l'occasion idéale. Il lance l'échappée, prend le temps de jauger tout le monde. Un groupe de contre-attaque rentre ? Pas de problème. Thierry Bourguignon attaque dans le terrible Col de Joux-Plane – au programme de ce samedi –, et semble bien parti ? Pas de problème, il contre et passe en tête au sommet.
Bourguignon le reprend après une descente supersonique à 5 km de l'arrivée ? Pas de problème, "La Clavette" la joue vieux briscard, tire la langue, joue l'exténué. Il n'a plus rien, il a tout donné, fait-il comprendre à son compatriote. Lequel fait tout le travail dans les derniers hectomètres pour voir l'Aigle de Vizille l'aligner en beauté dans le final.
Ce ne sera pas son dernier succès en carrière, puisqu'il ira notamment chercher le Grand Prix de Plouay durant sa dernière saison en 1993. Mais, le souvenir de cette victoire reste vivace, comme une dernière démonstration de ce dont "l'Aigle de Vizille" était capable. Une dernière récompense pour un grimpeur qui connaîtra une après-carrière difficile qui s'achèvera par une dépression et un suicide en 1999. Claveyrolat laissera l'image du cycliste qui a marqué son époque mais qui, avec un peu plus de réussite, aurait pu devenir une véritable icône.