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Mario Leo, expert en réseaux sociaux : "Phil Foden pourrait être la sensation de l’Euro"

Mario Leo
Mario LeoMario Leo/ RESULT Sports
Dans une interview exclusive avec Flashscore, Mario Leo, PDG de Result Sports et analyste référence des réseaux sociaux dans le sport, partage ses idées sur le rôle des réseaux sociaux dans l’univers sportif à l'approche de l’EURO en Allemagne.

Leo évoque son travail avec les principales fédérations de football, met en lumière les meilleurs profils sur les réseaux sociaux des stars de l'Euro et se penche sur les dangers potentiels du monde numérique pour la jeune génération de footballeurs. L'expert allemand de 53 ans donne un aperçu détaillé sur l'influence des réseaux sociaux dans le sport et  offre une perspective unique à quelques jours du grand lancement du tournoi.

Mario, l'Euro approche à grands pas. En tant qu'Allemand, vous devez attendre cet événement majeur dans votre pays depuis un certain temps déjà. Malgré tout le professionnalisme requis en tant qu'expert en données, à quel point attendez-vous cet événement et quel degré d'émotion ressentez-vous ?

"J'ai hâte d'y être. Avoir l'organisation d'un tournoi d'une telle ampleur dans son propre pays, c’est toujours quelque chose de spécial. L'Allemagne est très douée pour l'organisation de grands événements et cela en sera un avec des stades pleins et du sport de haut niveau. Honnêtement, certains jours, j'ai déjà la chair de poule rien qu’en pensant au match d'ouverture. C'est excitant".

Avec l'UEFA, la DFB (fédération allemande) et la Fédération autrichienne de football, vous fournissez des services à trois organisations impliquées dans l’Euro. Quelles demandes vous adressent-elles, à vous et à votre équipe, avant, pendant et après cet événement majeur ?

"On se concentre énormément sur le plan de communication avant le tournoi. Quels sont les contenus et les formats qui fonctionnent actuellement sur les réseaux sociaux ? Que veut la cible ? On aide l’UEFA et la DFB sur leur communication lors des jours de match. Par exemple, nous filtrons les publications racistes sur Facebook et Instagram afin de réagir de manière sûre et ciblée mais surtout, le plus rapidement possible. On prend ensuite le temps d’analyser. Par exemple, quel a été l'impact de la surprenante victoire de l'Autriche contre la France ? Les fédérations souhaitent évaluer les valeurs marketing et de sponsoring pour pouvoir mieux les jauger sur les matches suivants et même, les prochains tournois. Elles veulent être en mesure d’ajuster elles-mêmes leurs leviers pour augmenter leurs performances médiatiques". 

Plongeons dans les données. Quelles sont les fédérations européennes de football les plus performantes d'après vos analyses ?

"Il faut faire une distinction. D'une part, il y a les grandes nations comme l'Angleterre, la France, l'Allemagne et l'Espagne mais aussi le Portugal avec Cristiano Ronaldo. D'autre part, il y a des nations qui suscitent beaucoup d’émotions, comme la Pologne et l'Écosse qui ont des taux d'interaction incroyablement élevés. Les réactions et les interactions deviennent de plus en plus importantes et c’est pour cela qu’il faut compter ces fédérations parmi les références du secteur. En général, le football est précurseur sur les réseaux sociaux et cela s’étend même à des petites nations comme Gibraltar ou Saint-Marin". 

Mario Leo
Mario LeoMario Leo/ RESULT Sports

Vous avez mentionné des fédérations plus petites qui ont de la réussite sur les réseaux sociaux et qui génèrent d'excellents résultats. Comment font-elles pour ne pas être éclipsées par les profils majeurs des grandes fédérations ?

"C'est principalement dû à l'intérêt de la société pour le football. Dans des pays comme la Pologne et la Roumanie, la fierté nationale est très prononcée quand elle l’est moins dans d'autres nations. Mais le football est aussi le sport le plus populaire au monde et ça fait forcément des vagues au niveau numérique. Les réseaux sociaux représentent un formidable outil de sensibilisation qui multiplie les partages d'opinion. C’est encore plus vrai lors d'événements majeurs ! Les plateformes sont un formidable moyen pour communiquer la joie mais aussi pour exprimer la frustration. Un but encaissé dans les arrêts de jeu peut ruiner un gain potentiel sur un pari sportif. Cette même frustration se tourne donc en direction des fédérations et des joueurs. 

Dans ce cas, il est important de prendre les bonnes mesures de communication pour faire en sorte que la frustration ne soit pas au centre de l’attention. Mais pour revenir à votre question, les petites nations ont de bonnes chances de se démarquer, surtout si elles sont originales et authentiques. Un aperçu de la vie sur le camp de base, un saut contrôlé dans la vie privée des joueurs… D’une certaine manière, la notion de modèle reste la clé. La Belgique a par exemple réussi à développer des stars mondiales du ballon rond avec Thibaut Courtois, Kevin De Bruyne ou Romelu Lukaku. Si ces joueurs font partie intégrante de la stratégie de communication de la fédération, tout le monde en profite : les joueurs, la fédération, les supporters, les sponsors. Ceci dit, en Belgique, ce n’est pas la seule chose remarquable".

De quoi s'agit-il ?

"Les Flamands et les Wallons sont en désaccord sur de nombreux sujets mais lorsqu'il s'agit de football, quand il faut  soutenir leur équipe nationale, ils ne font qu’un. C'est franchement un cas unique en Europe mais il est agréable de voir l'impact que peut avoir le football lorsqu'il est associé à une bonne communication".

Les réseaux sociaux par fédération
Les réseaux sociaux par fédérationRESULT Sports
Les réseaux sociaux pour l'Euro
Les réseaux sociaux pour l'EuroRESULT Sport

Result Sports a déjà produit des analyses de données approfondies pour les grands événements footballistiques du passé. Avez-vous également pris en compte l'impact de la réussite sportive dans vos analyses à l'époque ? Si oui, quelle est la corrélation entre le succès sportif et numérique ?

"Oui et nous avons observé cela pas plus tard qu’en janvier dernier, lors de la CAN. Il y a toujours des effets de surprise qui se caractérisent par des résultats et des événements particuliers. L’activité sur les réseaux peut certes être planifiée mais ces effets à court terme - les coupes d'Europe et du monde en sont des exemples parfaits - se produisent régulièrement. Lorsque l'attaquant autrichien Michael Gregoritsch marque un triplé lors du premier match de groupe contre la France, des dizaines de millions d'utilisateurs recherchent son profil sur les réseaux sociaux. Une grande partie de ces personnes resteront ensuite ses "followers". Avec un peu de chance, son nom sera également sur Google Trends pendant quelques jours. Un autre exemple est celui lié au mercato : David Alaba avait environ 2 millions de followers sur Instagram juste avant son transfert du Bayern Munich au Real Madrid. Quelques jours après le transfert, il en avait 6 millions. Aujourd'hui, environ trois ans après ce changement de club, 15 millions de personnes le suivent. Cela montre également l'importance du Real par rapport aux autres clubs. Il ne joue clairement pas dans la même cour". 

En parlant du Real Madrid : vous avez conseillé la Juventus sur le transfert de Cristiano Ronaldo de Madrid à la Vieille Dame au sujet du potentiel numérique. Vous avez documenté cette expérience dans votre livre "Buy Ronaldo" paru en 2020. CR7 dispute probablement son dernier grand tournoi avec le Portugal. Mais est-il toujours le numéro 1 sur les réseaux sociaux ?

"Oui et de loin. Il est le premier sportif avec plus de 900 millions de personnes qui suivent sa vie sur les réseaux. Parmi tous les joueurs qui participent à l'Euro, Mbappé arrive en deuxième position. Avec 80 millions de followers, Toni Kroos se trouve déjà à une distance respectable. Il est également intéressant de noter qu'avec Ronaldo, Kroos, Luka Modric, Robert Lewandowski, Marco Reus, Thomas Müller et Pepe, sept joueurs de plus de 30 ans sont représentés dans le top 10. Une fois de plus, ce sont les modèles inspirants et l’idée de réussite que les gens recherchent sur les réseaux".

Mario Leo
Mario LeoMario Leo/RESULT Sport

Quels sont les joueurs qui, selon vous, vont franchir un palier à l’Euro, tant sur le plan sportif que numérique ? Qui a un potentiel très élevé pour augmenter son nombre de followers et d'interactions ?

"Phil Foden vient d’être élu meilleur joueur de Premier League il y a quelques jours et sera un élément important de l’Angleterre à l’Euro. Il pourrait être la sensation de la compétition, aussi bien sur le terrain que sur les réseaux. Il occupe actuellement la 20e place du classement en termes de followers parmi les participants à l’Euro. Il peut encore gravir les échelons et je suis presque sûr que nous verrons une grande évolution de ses différents canaux. En tant qu'international anglais, il peut également bénéficier de l'attrait médiatique des Three Lions.

À une échelle un peu plus modeste, l'Allemand Aleksandar Pavlovic dispose lui aussi d'un énorme potentiel pour donner un coup de pouce à son nom et à son image de marque sur les réseaux sociaux. Même chose pour le Serbe Lazar Samardzic. L'important est que le joueur puisse faire la différence. Un joueur convenablement intégré dans un collectif n'a que peu de chances de faire parler de lui sur les réseaux sociaux. En revanche, un joueur qui fait la différence possède un potentiel médiatique bien plus important". 

Les joueurs de l'Euro les plus suivis sur les réseaux sociaux
Les joueurs de l'Euro les plus suivis sur les réseaux sociauxRESULT Sport
Les joueurs de l'Euro les plus suivis sur les réseaux sociaux
Les joueurs de l'Euro les plus suivis sur les réseaux sociauxRESULT Sport

L'impact psychologique des réseaux sociaux sur les jeunes qui ne sont pas encore totalement familiarisés avec ces outils a également été un sujet brûlant ces dernières années. Les footballeurs de la nouvelle génération sont souvent accusés d’avoir le réflexe de prendre leur smartphone en main dès leur retour dans le vestiaire après le match. Comment analysez-vous cette évolution ?

"Je ne voudrais pas généraliser. Même si de nombreux joueurs ont leur smartphone à la main dans le vestiaire, cela ne veut pas dire que tout le monde est sur les réseaux sociaux. On répond souvent aux messages privés et aux félicitations. Mais il y a selon moi un autre problème".

Lequel ?

"Les réseaux sociaux, c'est génial quand on a du succès. Vous recevez de nombreuses louanges, tout est merveilleux. Cependant, trop peu de joueurs réfléchissent sérieusement à la manière dont ils peuvent utiliser les réseaux sociaux en cas d'échec. Ce sujet doit être abordé de manière très sensible. Pas seulement avec les professionnels mais bien plus tôt dans les académies et les équipes de jeunes. Les athlètes ont la possibilité de construire leur image de marque alors qu'ils sont encore jeunes mais très peu d'entre-eux parviennent à atteindre les rangs professionnels. Par conséquent, certaines attentes sont construites au fil des années sans que les joueurs aient la possibilité de les atteindre par la suite. La chute est brutale. La formation médiatique et la construction d'une image de marque doivent être menées avec beaucoup de prudence mais de manière cohérente et durable, afin de donner aux joueurs les outils dont ils ont besoin pour survivre médiatiquement. Même dans les moments les plus difficiles".

Y a-t-il des footballeurs qui essaient consciemment de contrer ces dangers et défis potentiels ? Si oui, comment y parvenir ?

"Le vestiaire est vital. Il ne s'agit pas d'interdire les réseaux sociaux. Il s'agit plutôt de remettre le jeu au cœur de tout. Pourquoi le capitaine ne pourrait-il pas récupérer tous les smartphones cinq heures avant et après le match ? Aucune distraction et une concentration totale sur le jeu. Des études ont démontré que les distractions et les poussées de dopamine liées pouvaient influencer le taux d'erreur pendant un match. Je ne peux que me répéter : la sensibilisation est extrêmement importante".

Place à l’avenir. Quelle plateforme va dominer les cinq prochaines années ? 

"Je pense que les plateformes populaires du moment continueront à dominer dans les trois à cinq prochaines années. Surtout celles qui attirent de grandes communautés. On a cependant vu dans le passé que des plateformes individuelles pouvaient encore disparaître, comme avec Google+. Mais elles disparaissent principalement à cause du modèle commercial. C'est pourquoi je pense que Meta sera disponible en tant que plateforme en ligne dans les années à venir. Les quelque 4 milliards d’utilisateurs, répartis sur toutes les plateformes de l’entité Meta, constituent une communauté si forte qu'il est de facto impossible de la déloger du marché.

Mario Leo
Mario LeoMario Leo / RESULT Sport

En bref : Meta restera l'acteur principal avec Facebook, Instagram, Threads, etc. Il faudra se montrer patient pour voir l’évolution de TikTok. Les quatre ou cinq dernières années ont été très fortes mais la croissance stagne actuellement. En plus, TikTok est scruté avec beaucoup de critiques en Europe après l’avoir été aux Etats-Unis. D'importantes études ont déjà été menées sur le risque de dépendance que présentent les plateformes de réseaux sociaux et en particulier TikTok

J'imagine que l'Union Européenne finira par réguler la consommation de TikTok, ainsi que d'autres plateformes, à un certain nombre d'heures par jour. Il faut surveiller cela de près pour évaluer plus précisément le potentiel de TikTok à l’avenir. Le troisième acteur est Google, qui possède probablement le portefeuille le plus diversifié avec YouTube et son moteur de recherche. Amazon, avec Twitch, et Microsoft, avec LinkedIn et Skype, tenteront de s’immiscer pour réclamer leur part du gâteau auprès des trois autres géants mais la route est encore très longue à l’heure actuelle".