Aux Jeux olympiques de Sydney en 2000, une nouvelle course est introduite au calendrier des épreuves de cyclisme sur piste : le keirin. Née au Japon, suscitant autant de paris que de passion, ce format a été plébiscité pour son aspect spectaculaire. Lors de la finale que remportera quelques minutes plus tard Florian Rousseau, l'homme qui pilote le derny derrière lequel les cyclistes doivent se ranger avant le sprint final n'est pas un inconnu; c'est même une légende. Il s'agit de Koichi Nakano.
L'emblème du cyclisme japonais en Europe
De 1977 à 1986, le natif de Kurume, à l'ouest du pays, s'est adjugé dix titres consécutifs en vitesse individuelle. Un exploit inégalé. Pourtant, sur le keirin (littéralement "course de vélo" en version originale), LA course japonaise par excellence, il n'était pas le meilleur de sa discipline, ce qui illustre la densité du niveau. En revanche, son aura en Europe a pleinement contribué à l'essor d'une discipline "exotique" qui a néanmoins dû s'adapter aux standards du Vieux-Continent pour entrer aux Jeux olympiques. "Le keirin est une course originaire du Japon, mais ce qui est intéressant, c'est que les Européens n'ont pas accepté ce style japonais du keirin, déplorait Nakano dans la revue Winning Run. Ils se sont arrangés pour que les règles soient à la mode européenne et ont progressivement développé la forme actuelle du keirin".
En résumé, 6 coureurs (contre 9 au Japon) se mettent derrière un derny qui roule progressivement de 25 à 50km/h sur une distance de 1300 à 1400 mètres avant de lâcher les fauves pour les 700 ou 600 derniers mètres qui s'expliquent dans un sprint foudroyant et particulièrment risqué. Seuls les plus téméraires, courageux, voire inconscients peuvent s'imposer. Au pays du soleil levant, plus de 3500 coureurs répartis en différents groupes s'expliquent tout au long de l'année sur près de 50 vélodromes.
Deux mondes pour un même nom
Le keirin "originel" tranche avec le cyclisme sur piste traditionnel comme on le connaît en Europe. "Le principal mode de compétition en Europe résidait dans la rivalité entre athlètes pour gagner du temps, tels qu'un sprint en tête-à-tête ou un tournoi à trois par équipe, expliquait Nakano. Mais il n'y avait aucune épreuve avec une bataille de groupe pour déterminer le vainqueur". À une époque où le cyclisme cherche à se renouveler, notamment en proposant des courses plus spectaculaires et donc télégéniques, le keirin fait son entrée au programme olympique en 2000 après avoir été en démonstration en 1972 à Munich. Cette première découverte en Allemagne de l'Ouest avait séduit selon Nakano qui n'avait en revanche pas pu y participer car il était aligné sur d'autres courses : "un gong annonçait le dernier tour et cela provoquait un effet puissant, cela contribuait à donner beaucoup d'élan, c'était parfait". L'épreuve masculine est entrée au programme des Mondiaux dès 1980, tandis que les femmes ont attendu 2002 et encore une décennie supplémentaire pour concourir aux JO.
Pour autant, les disparités entre la version nippone et son adaptation européenne ont tendance à frustrer les Japonais dont le système lucratif repose sur un agent public de paris sportifs. "Les coureurs et l'industrie du keirin au Japon en sont venus à penser qu'il existe deux types de keirin différents, synthétisait Nakano qui n'est au demeurant pas tendre avec ses compatriotes. En fait, les cyclistes japonais ne peuvent pas gagner les compétitions cyclistes internationales et ils le justifient en blâmant les disparités entre les deux types de keirin. Bien sûr, ce ne sont pas exactement les mêmes, mais il n'y a pas de différence fondamentale. Il n'est pas nécessaire de séparer ces deux types de keirin mais, à l'inverse, les cyclistes japonais ne gagnent pas parce qu'ils veulent rester à l'écart". En l'espèce, seul Harumi Honda, en 1987, s'est paré du maillot irisé de la discipline. Une nouvelle génération a émergé mais a échoué aux portes du titre (Tomoyuki Kawabata en 2018, Yudai Nitta en 2019, Yuta Wakimoto en 2020 chez les hommes, Mina Sato en 2021 et 2022 chez les femmes).
Les Mondiaux de Glasgow pourrait être le théâtre du couronnement d'un héritier de cette tradition japonaise dont Nakano vu l'un des meilleurs serviteurs, sans en être le meilleur spécialiste mais en étant le meilleur diplomate pour rapprocher deux mondes.