Quand la dolçaina a fait résonner dans Mestalla les premières notes de l'hymne régional de la Communauté Valencienne et que le tifo bleu-jaune-rouge s'est déployé, l'émotion était trop forte, les gorges trop nouées pour reprendre cette première strophe qui évoque l'amour et la paix. Et puis, "tots a una veu", tous d'une même voix, les trois "visca" finaux ont rugi des gradins, en crescendo, mélange de fierté, de rage et de conviction pour clamer qu'après la catastrophe que furent ces inondations qui ont provoqué la mort de 221 personnes (et 5 disparus), Valencia et ses alentours se relevaient. Alors que le mercure était monté à 26 degrés vendredi, le soleil s'était fait discret toute la matinée du samedi : c'était pour mieux briller à ce moment précis comme si, lui aussi, criait "Amunt Valencians !".
Après les cérémonies poignantes organisées par Levante et le Valencia Basket, le Valencia CF se devait d'être à la hauteur. Il le fut. La Senyera del País Valencià offerte par le Real Madrid alors que les relations ne sont pas cordiales depuis de nombreuses années, a été déployée sur la pelouse. Un symbole de la concorde populaire qui existe depuis près de trois semaines en Espagne. Il y a des circonstances où tout s’estompe pour se concentrer sur l'essentiel.
Même Peter Lim, propriétaire honni dont la première sortie médiatique après les inondations fut une photo en train de ripailler avec David Beckham, a décidé de doubler la recette de la billetterie du jour entièrement reversée aux victimes. Un geste tardif qui ne remontera pas sa cote de popularité mais qui a au moins le mérite d'exister.

Avant le match, la retenue était palpable le long de l'Avinguda de Suecia. La venue du Betis coïncidait avec cet hommage aux victimes mais aussi, plus prosaïquement, à une obligation de résultat pour le dernier du championnat. Le bus blanquinegro est passé devant les supporters sans effusion. Se mêlent à la fois la joie de retrouver le plus utile des loisirs inutiles mais aussi la fatigue physique et nerveuse qui a accompagné ces dernières semaines. Car ici, tout le monde a été impacté. Chacun a un proche ou une connaissance qui a été touché par cette catastrophe.
Alors qu'il attend sagement son neveu devant l'Afición Bar, l'un des QG incontournable aux abords de Mestalla, Pepe, 94 ans et fier détenteur de 11 actions du club, raconte la fin de la Guerre Civile, l’arrivée des Basques à Catarroja dont un certain Mundo Suárez, emblème de la mythique "Davantera Elèctrica" et toujours meilleur buteur de l’histoire du club : "c'est de Valencia que partaient les avions pour l'Amérique, mais beaucoup sont restés dans la région". Et puisqu'on remonte dans ses souvenirs, il raconte la crue de 1957 : "il y avait près de 3 mètres d'eau dans les rues de Valencia. Cette fois-ci, il y en a eu moins. Mais le problème, c'est que ça s'est déversé à torrent dans des ruelles de village et tout a été ravagé. Pourtant, les autorités étaient prévenues des risques... Et puis à l'époque, il n'y avait pas autant de voitures, ça a encore accentué la catastrophe". Le sépia des photos a été remplacé par la 4K des chaînes d'infos en continue mais les conséquences sont toujours aussi dévastatrices.

Il y a un temps pour tout. Manifestement, la Curva Mestalla ne l'a pas compris. Alors que tout jusqu'à présent avait été d'une rare dignité, ses membres ont décidé d'insulter Pedro Sánchez, le président du gouvernement espagnol, et socialiste. Carlos Mázon, le président de la Generalitat Valenciana, de droite et qui gouverne avec les post-franquistes de VOX, considéré comme le principal responsable de la catastrophe humaine dans les manifestations est, lui, exonéré de leur vindicte (ce ne fut pas le cas dans d'autres parties du stade). Certainement un oubli. Savent-ils seulement que le slogan "le peuple sauve le peuple" qu'ils ont écrit sur une banderole est inspirée des mots du poète Antonio Machado, Républicain contraint à l'exil en France à la fin de la Guerre Civile en 1939 ? Certainement un oubli...
Ce n'était pas un jour pour la politique et la distortion d'un slogan par l'extrême-droite espagnole mais à l'union, sans distinction d'appartenance, un instant suspendu de recueillement. Tout le Valencianisme se devait cette solennité. L'entrée des joueurs des deux équipes, les hommages aux villes touchées ainsi qu'à leurs clubs, ce grand crêpe noir, ces accords simples de guitarre : c'était sobre, tout en retenant, émouvant.
Parmi les joueurs les plus émus, César Tárrega a séché ses larmes et c'est lui, un natif d'Aldaia, un village de la "terreta" les plus touchés par le drame, qui a ouvert le score. En guise de célébration, il a brandi un maillot où était floqué "tots junts eixirem". Tous ensemble, nous nous en sortirons. Un leitmotiv qui s'est accordé avec le besoin de gagner pour remonter au classement. Alors même si Aitor Ruibal a égalisé, les Blanquinegros se sont rebellés, tellement motivés pour offrir une victoire anecdotique au milieu du désarroi mais si symbolique. Lui aussi très touché par les inondations et venu prêter main forte dans les villages saccagés en compagnie de plusieurs coéquipiers, Hugo Duro a inscrit un doublé en quelques instants, avant que Diego López, d'une demi-volée dans la lucarne a amplifié le score. Cette victoire cathartique a démontré la force de conviction d'un effectif plus soudé que jamais.

Ce n'étaient que quelques heures à part, un début de retour à la vie et alors que le match tirait sur sa fin, une chauve-souris a surgi depuis la Sillas Gol Norte pour traverser le terrain. Si cela a porté chance à Jaume I pour en faire l'emblème de Valencia, alors voyons-y, nous aussi, le symbole de la résurrection d'une région durablement meurtrie mais qui renaîtra.