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Interview Flashscore - Marin Cilic : "Ma plus grande inspiration a toujours été le jeu lui-même"

Marin Cilic a remporté son unique Grand Chelem à l’US Open en 2014
Marin Cilic a remporté son unique Grand Chelem à l’US Open en 2014ČTK / AP / Mike Groll

À une époque dominée par ce qui est sans doute le plus grand trio de joueurs de tennis masculins de l’histoire – Novak Djokovic, Rafael Nadal et Roger Federer – Marin Cilic a su se faire une place, atteignant trois finales de Grand Chelem et remportant l’US Open en 2014.

À 37 ans, le Croate évolue toujours sur le circuit ATP, vingt ans après être passé professionnel, et il occupe actuellement la 76e place au classement mondial.

Flashscore a eu la chance de s’entretenir en exclusivité avec Cilic, qui a dévoilé le secret de sa longévité, ses meilleurs et pires souvenirs, et ce que cela représente pour lui de défendre les couleurs de son pays en Coupe Davis et aux Jeux Olympiques.

Pour commencer, parlons de votre longévité. Vous avez remporté votre premier tournoi en 2008, le dernier l’an passé (2024). Vous êtes resté parmi les meilleurs pendant près de vingt ans. Quel est votre secret ?

"Je pense que la clé a toujours été la régularité – pas seulement dans les résultats, mais aussi dans la discipline et les habitudes. J’ai toujours veillé à chaque détail : mon entraînement, la récupération, la nutrition, le repos, la préparation mentale, l’investissement en moi-même et dans mon équipe. Avec le temps, toutes ces petites choses créent une base solide qui permet de durer. J’ai aussi toujours aimé apprendre – sur le jeu, sur mon corps, sur de nouvelles méthodes – donc je n’ai jamais eu l’impression de stagner. Cette curiosité et cette passion pour progresser m’ont motivé au fil des années."

Il n’y a pas beaucoup de vétérans comme vous, Djokovic et Stanislas Wawrinka. Pourquoi pensez-vous qu’il n’y a aujourd’hui que six joueurs de plus de 35 ans dans le top 100 ?

"L’une des raisons, c’est le changement de génération. En 2015, 2016, il y avait 35 ou 40 joueurs de plus de 30 ans, principalement parce que la génération la plus forte était née en 1981/82/83. Ensuite, ceux nés en 1989/90 ont eu plus de mal à intégrer le top 100 à cause de cette génération dominante autour de 1981. Mais aujourd’hui, il y a de très bons jeunes joueurs, autour de 23-24 ans, qui sont vraiment performants, et c’est pour cela que ma génération a du mal à rester au sommet."

Cilic a passé 20 ans sur le circuit ATP
Cilic a passé 20 ans sur le circuit ATPČTK / AP / Georgios Kefalas

Wawrinka a dit qu’il continuerait à jouer les Challengers tant qu’il aurait la passion. Ressentez-vous la même chose ? Ou n’avez-vous plus envie de disputer les petits tournois ?

"Je rejoins Wawrinka sur le fait qu’il faut de la passion ; sans passion, il n’y a pas de réussite. Mais pour moi, jouer les Challengers, qui sont plus relevés que jamais, fait partie d’une vision plus large. Évidemment, je ne me vois pas jouer constamment sur le circuit Challenger, semaine après semaine, pendant plusieurs années. C’est juste un processus pour améliorer son jeu et ses résultats, et pour viser plus haut. Dans mon cas, je veux me battre au plus haut niveau, dans les plus grands tournois comme les Grands Chelems, autant que possible. Par exemple, cette année, cela a été un facteur dans ma réussite à Wimbledon. J’ai joué des Challengers avant Wimbledon, j’en ai remporté un sur deux, ce qui m’a permis d’arriver à mon meilleur niveau pour Wimbledon, où j’ai atteint les huitièmes de finale, pas loin des quarts. Il faut toujours voir plus grand."

Et qu’est-ce qui vous inspire à continuer dans cette voie ?

"Ma plus grande inspiration a toujours été le jeu lui-même – la compétition, le combat, ce processus de recherche du meilleur niveau chaque jour. J’aime la discipline, la structure de l’entraînement, et cette sensation quand tout s’aligne. C’est une motivation très personnelle – voir jusqu’où je peux aller, à quel point je peux performer, même après tant d’années."

Votre plus grand succès reste l’US Open 2014. Comment vivez-vous ce triomphe aujourd’hui, avec le recul ?

"C’est toujours l’un des moments les plus marquants de ma vie. Cette série de victoires, tout s’est mis en place, surtout à la fin – physiquement, mentalement, techniquement. J’étais dans ma bulle, je jouais mon meilleur tennis, et soulever un trophée du Grand Chelem, c’est inoubliable. On s’entraîne toute sa vie, on se consacre entièrement pour atteindre ce genre d’objectif, et vu la concurrence, on se demande si ça arrivera un jour. Avec le recul, ça me rend très fier et me motive encore, car cela montre ce qui est possible quand tout s’aligne."

L’US Open est clairement un tournoi qui offre une chance aux nouveaux vainqueurs. Outre vous, Juan Martin Del Potro, Andy Murray, Dominic Thiem et Carlos Alcaraz y ont aussi décroché leur premier titre. Pourquoi ?

"L’US Open a une énergie particulière – c’est rapide, intense, chargé d’émotions. C’est en fin de saison, quand les joueurs sont parfois fatigués, donc de nouveaux noms peuvent émerger avec une belle série. L’ambiance et les conditions poussent à jouer de façon libérée et agressive. Quand on regarde tous les vainqueurs, ils ont tous joué un tennis rapide et offensif. Je pense que c’est pour ça qu’on voit des champions différents – le tournoi récompense le courage et la dynamique."

Vous avez aussi disputé la finale à Wimbledon et à l’Open d’Australie. Qu’est-ce qui vous a manqué pour franchir la dernière marche ?

"À Wimbledon, malheureusement, j’ai eu de grosses ampoules en finale, ce qui a limité mes déplacements, et quand on n’est pas proche des 100% physiquement, les chances sont minces. En Australie, j’ai probablement joué mon meilleur tennis, et il y a eu des opportunités dans le cinquième set pour gagner le titre. Si j’avais affronté quelqu’un qui n’avait pas autant d’expérience en finale de Grand Chelem que Federer, je pense que j’aurais eu plus de chances de l’emporter."

Enfin, vous avez atteint les demi-finales à Roland-Garros. Comment faites-vous pour aussi bien jouer sur terre battue ? Votre style ne semble pas idéal pour cette surface…

"J’ai toujours bien joué sur terre battue. Mais pour réaliser quelque chose d’exceptionnel, il faut être proche des meilleurs. Et en 2017, il y a eu un déclic dans mon entraînement, mes routines et ma façon de jouer sur terre. Depuis, mon tennis sur cette surface s’est nettement amélioré. Et mon parcours jusqu’en demi-finales en 2022 en est la preuve. Physiquement, j’ai toujours été bien préparé, et quand j’ai trouvé la forme et que quelques détails se sont mis en place, les résultats ont suivi."

Vous êtes né à Medjugorje, en Bosnie. On dit que votre père vous a construit un court de tennis dans son jardin. Est-ce vrai ?

"Oui, mon père a construit le court dans notre jardin. Sa vision était incroyable, il voulait me donner la chance de jouer au tennis et d’avoir un endroit pour m’entraîner autant que je le voulais, pour développer mon jeu. Je pense que c’est l’une des principales raisons de ma réussite. Mes parents m’ont offert les conditions pour m’entraîner tout le temps."

C’est avec votre ami d’enfance Ivan Dodig (lui aussi né à Medjugorje) que vous avez remporté la Coupe Davis pour la Croatie en 2018. Quels souvenirs en gardez-vous ?

"C’était un moment incroyable – partager cette victoire avec Ivan, quelqu’un avec qui j’ai grandi, c’était très émouvant. On rêvait de ce genre de moments étant enfants, et ramener la Coupe Davis en Croatie ensemble, c’était vraiment spécial. L’ambiance, l’unité de l’équipe – c’est l’un des plus beaux souvenirs de ma carrière."

La Croatie et Cilic ont remporté la Coupe Davis en 2018
La Croatie et Cilic ont remporté la Coupe Davis en 2018Sanjin Strukic / Zuma Press / Profimedia

Quelle importance a la Coupe Davis pour la Croatie ? Dans certains pays, elle n’est pas considérée comme si importante, et certains joueurs n’y participent même pas.

"C’est très important. La Croatie est un petit pays, mais le tennis nous a apporté beaucoup de fierté et de reconnaissance internationale. À chaque fois qu’on joue la Coupe Davis, tout le pays suit, et on savoure ces moments. L’ambiance en Coupe Davis est à vivre, c’est vraiment unique. Tout le parcours pour gagner la Coupe Davis a été extrêmement difficile, mais aussi tellement spécial. Cela a offert à toute l’équipe des souvenirs incroyables."

Jannik Sinner s’est récemment retiré de la Coupe Davis, dont la finale doit se jouer en Italie, à Bologne. Cela fait polémique dans son pays. Comprenez-vous sa décision ?

"L’Italie a remporté sa première Coupe Davis en 1976. Les deuxième et troisième victoires sont arrivées ces deux dernières années (avec Sinner). Je crois que Jannik avait même annoncé après l’avoir gagnée l’an dernier qu’il prendrait une année de pause, ce qui est tout à fait compréhensible. Les saisons de tennis sont très longues et éprouvantes, et Jannik veut sûrement se reposer pour l’année prochaine, ce qui est normal."

Votre rival régulier, Tomas Berdych, est devenu capitaine de l’équipe tchèque de Coupe Davis après sa carrière. Vous imaginez-vous un jour dans le rôle de capitaine non joueur ? Cela vous tenterait-il ?

"C’est possible. J’ai toujours aimé analyser le jeu et aider les jeunes joueurs, donc occuper un rôle de mentor ou de leader serait intéressant. Mais il faudrait que je ressente la même passion et le même engagement – si je fais quelque chose, je veux m’y investir à 100%. On verra."

Vous avez un Grand Chelem, une victoire en Coupe Davis et une médaille olympique – c’est un beau triplé. Pourtant, la médaille d’or olympique (en double) vous a échappé au tie-break en 2020, remportée par vos compatriotes Nikola Mektic et Mate Pavic. Ce devait être un match fou…

"Oui, c’était incroyable – si proche, à quelques points près. Bien sûr, sur le moment, c’était douloureux, car l’or olympique est très rare et précieux. Mais j’étais aussi fier de la façon dont nous avons joué et représenté la Croatie. Perdre contre Mektic et Pavic – nos compatriotes – qui avaient eu une année exceptionnelle avant et après, a rendu la chose plus facile : c’est resté dans la famille. Disputer une finale 100% croate était historique, et la partager avec mon meilleur ami Ivan Dodig, c’est vraiment extraordinaire."

Cilic et Dodig posent avec leurs médailles d’argent
Cilic et Dodig posent avec leurs médailles d’argentVincenzo PINTO / AFP / AFP / Profimedia

Regrettez-vous encore cette défaite aujourd’hui ? Vous auriez pu réaliser un triplé unique.

"Je ne regrette pas cette défaite. Je ressens juste de la fierté pour ce que nous avons accompli – deux garçons qui ont commencé le tennis ensemble et rêvé de jouer sur les plus grandes scènes. Et après tout ce que nous avons réalisé, décrocher aussi l’argent olympique. C’est juste incroyable."

Vous avez réussi à vous imposer à l’époque de Federer, Nadal et Djokovic. Qu’est-ce qu’il fallait pour réussir à cette époque ?

"Il fallait de la confiance, de la résilience et une amélioration constante. Jouer à cette époque était à la fois très difficile et très motivant – il était impossible de se reposer sur ses acquis. Il fallait progresser chaque année, chaque saison. Les affronter nous a tous rendus meilleurs. C’était un privilège de vivre cette époque, même si cela signifiait affronter les adversaires les plus coriaces."

Alcaraz et Sinner sont les champions actuels. Quel conseil donneriez-vous à la jeune génération pour rivaliser avec ces géants ? Et qui a le plus de chances de les rattraper ?

"Restez patients, réguliers, et concentrez-vous sur votre développement – pas seulement sur les résultats. Apprenez à bien comprendre votre jeu, prenez soin de votre corps, et appréciez le processus. Les meilleurs joueurs comme Alcaraz et Sinner ont une grande discipline et une vraie passion pour le sport, et c’est ce qui permet de traverser les moments difficiles. Le talent n’est qu’une partie – c’est la détermination qui fait la différence."