Huit ascensions, 4500 mètres de dénivelé positif : cette 10e étape entre Ennezat et le Mont-Dore (148km) était un feu d'artifice digne du 14 juillet. Ce jour de fête nationale français a souri à un Britannique et un Irlandais. Shocking !
Lenny Martinez fait les pois
Comme prévu, ça a flingué dès le kilomètre 0 et 18 coureurs ont mis les voiles. Après une semaine de course passée entre ennuis de santé et échappée tentée pour se remettre en confiance, Lenny Martinez (Bahrain Victorious) a montré d'emblée qu'il avait des cannes en passant en tête de la Côte de Loubeyrat (4,2km à 6,1% de moyennes, 2e catégorie). Sur un profil escarpé sans aucun moment de plat pour se reposer, le groupe a creusé son avance pour arriver au pied de la Côté de La Baraque avec 1'50 d'avance. Le groupe est passé à 29 unités, puis 30 après que Pablo Castrillo (Movistar) s'est fait la peau pour boucher l'écart.
Mais au-delà de cette lutte pour la victoire d'étape, il y avait aussi, voire surtout, la bataille pour le général. Et après l'abandon la veille de Joao Almeida, trop éclopé pour continuer, Tadej Pogacar (UAE-Team Emirates) a perdu un autre lieutenant : Pavel Sivakov, malade, a mis la flèche dès les premières rampes de la Côte de Loubeyrat pour faire gruppetto; revenu dans le peloton, il a renoncé à l'amorce de La Baraque (4,8km, 7,3% de moyenne, 2e catégorie) pour faire gruppetto et attendre des jours meilleurs. Un de chute pour le Slovène qui avait déjà été fort dépourvu quand la bordure fut venue sur la route vers Châteauroux dimanche.
Si Martinez a pris les points en haut de La Barque pour devenir Maillot à pois virtuel, c'est Ben O'Connor (Jayco-AlUla) qui a tenté le premier coup de force, à 108 kilomètres de l'arrivée. L'Australien, qui a vu ses ambitions au général s'envoler très vite, a été récupéré par un groupe réduit dans la Côte de la Charade (5,2km, 6,7% de moyenne, 2e catégorie). Là encore, et comme ce sera également le cas en haut de la Côte de Berzet (3,4km, 7,3% de moyenne, 2e catégorie), Martínez est passé en tête.
Ben Healy, l'heure du jaune
À 75 kilomètres de l'arrivée, Ben Healy (EF Education - Easy Post) commençait à entrevoir un destin en jaune. À 3'55 de Pogacar en début de journée, l'Irlandais, vainqueur de la 6e étape à Vire, était tout proche de devenir leader virtuel. Dix bornes plus loin, il l'était. Avantage : il était accompagné de deux coéquipiers, le Français Alex Baudin et l'Australien Harry Sweeny.
Jusque-là, le Tour avait escaladé des côtes. Cette fois-ci, le premier col se profilait, celui de Guéry (3,3km à 6,7% de moyenne avec des passages à plus de 8%, 2e catégorie). Sweeny a décroché, laissant Baudin mener un train soutenu pour faire le ménage par l'arrière et préparer une attaque de son leader... qui n'a pas eu lieu, Healy se contentant de suivre Martinez qui a de nouveau fait le plein de points pour, 47 ans plus tard, devenir leader du classement de la montage comme son grand-père Mariano. Mais il n'a pas pu tout avoir et il faudra encore attendre pour, lui aussi, s'imposer un 14 Juillet.
Cinq minutes plus bas, UAE-Team Emirates assurait le train, avec Nils Politt qui a coupé son effort à un peu plus de 50 bornes de l'arrivée, et Tim Wellens, futur ex-Maillot à pois.
Pas le temps de niaiser : après une descente furtive, la route s'est de nouveau cabrée pour mener au col de la Croix Morand (3,5km à 5,4% de moyenne, 3e catégorie). Il était l'heure de se compter pour les Français en quête d'un succès pour la fête nationale. Présents dans l'échappée matinale, Julian Alaphilippe (Tudor), Bruno Armirail (Décathlon-AG2R) et Clément Champoussin (XDS-Astana) n'étaient plus là; seuls restaient Martinez, Baudin, Valentin Paret-Peintre (Soudal-Quick Step) et Quentin Pacher (Groupama-FDJ). Mais lever les bras s'annonçaient ardu car Healy a planté une première banderille, suivi par O'Connor et Quinn Simmons (Lidl-Trek).
Seul cyclisme qui préfère porter un écarte-nez plutôt que des lunettes, Victor Campenaerts (Visma-Lease a bike) a tenté un coup de bluff à 800 mètres de la ligne qu'il a immédiatement payé quand Healy a contré avec Simmons, qui a eu le temps de faire un petit check avec son père présent dans la montée. Le champion des États-Unis a mis la gomme dans la descente mais il s'est fait piéger quand O'Connor a relancé l'allure, suivi d'Healy et Joe Blackmore (Israel-Premier Tech). Il a dû faire l'effort pour revenir avec Michael Storer (Tudor), Simon Yates (Visma-Lease a bike) et Thymen Arensman (INEOS-Grenadiers). Si le sextet passait les relais, il faudrait attendre au moins un de plus pour trouver un successeur à Warren Barguil, dernier vainqueur Français un 14-Juillet, en 2017 à Foix.
Simmons n'a pas laissé le suspense se nourrir bien longtemps. Il est parti seul, poursuivi par Healy, qui voulait absolument faire le jump pour encore rêver du Maillot Jaune.
La course pour les favoris a démarré à 25 bornes de l'arrivée. Dans cette bosse non repertoriée malgré des passages à 10%, Tiesj Benoot (Visma-Lease a bike) a pris la tête du peloton pour durcir le ton en faveur de son leader Jonas Vingegaard. Wellens a été la première victoire côté EAU-Team Emirates. Sepp Kuss a passé un relais puis Matteo Jorgenson y est allé plus franchement mais Pogacar s'est bien calé dans sa roue. Les deux Américains sont alors partis à deux, mais Adam Yates (UAE-Team Emirates) a ramené son leader, pendant que Kevin Vauquelin (Arkéa-B&B Hôtels) menaçait de craquer.
Dans l'échappée, c'était également le moment de tout secouer. Revenu sur Simmons, Healy en a remis une. Avec 5'30 sur le peloton, l'échappée allait se jouer la victoire mais l'Irlandais voulait troquer le rose pour le jaune, quitte à faire le sale boulot pour les autres. Simmons en a payé le prix sur les premières rampes du col de la Croix Saint-Robert (5,1km à 6,3% de moyenne, 2e catégorie). Emmené par Healy, les fuyards ont gagné... 30 secondes sur le peloton.
Quand les 6 minutes d'avance ont été dépassées, Jorgenson a remis une accélération, suivi par... Pogacar. Mattias Skjelmose (Lidl-Trek) en a fait les frais pendant que Guillaume Martin-Guyonnet (Groupama-FDJ) faisait l'élastique et que Vauquelin commançait à pédaler avec les oreilles. Avant le sommet, Jorgenson a remis tout le peloton en file indienne et ils n'ont plus été que 10. Et Pogi s'est retrouvé sans équipier...
Coucou les (Simon) Yaters !
Au pied du Puy-de-Sancy (3,3km à 7,7% de moyenne, 2e catégorie), S.Yates a mis une sacoche et seul O'Connor a pu tenir sa roue. Arensman s'est fait la peau pour revenir, tandis qu'Healy donnait tout ce qui lui restait. Mais S.Yates n'a pas gagné le dernier Giro pour rien : quand Arensman est rentré, le Britannique a placé une attaque définitive
Healy a repris O'Connor et l'a même lâché ! Avec 5 secondes de marge sur Arensman, S.Yates n'a pas pu décrocher le Néerlandais, jusqu'aux 500 mètres où il s'est remis en danseuse pour faire renoncer son rival et célébrer un magnifique succès en solitaire.
30 secondes plus tard, Healy a franchi la ligne. Les minutes les plus longues de sa vie pouvaient débuter. Après une attaque en facteur de Remco Evenepoel (Soudal-Quick Step), Pogacar a placé un démarrage foudroyant que seul Vingegaard a pu contrôler. Mais alors qu'il avait fait rouler ses coéquipiers et que l'écart pouvait se creuser avec le reste de la meute, le Danois est resté dans la roue de Pogi alors que... Martinez qui venait d'être repris faisait le train. Ce manque de panache du leader de la Visma-Lease a bike a favorisé le retour des outsiders, qui ont échoué à 2 secondes alors qu'ils avaient été réduits à l'état de pop corn.
Malgré cela, Healy a conservé assez d'avance pour se parer de jaune. À 24 ans, ce sacré coursier est de nouveau récompensé pour son abnégation, dans son style si spécial, reconnaissable entre mille.