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Interview Flashscore - Diego Domínguez : "Je dois beaucoup à la France, mais l'Italie peut la battre"

Diego Dominguez, le plus grand numéro 10 de l'histoire du rugby italien
Diego Dominguez, le plus grand numéro 10 de l'histoire du rugby italienGABRIEL BOUYS / AFP

Avec le numéro 10 sur les épaules, Diego Domínguez a écrit quelques-unes des plus belles pages du rugby italien (et parisien) au point d'être considéré, même par le reste du monde ovale, comme une véritable légende. El Pibe de Córdoba a analysé, en exclusivité pour Flashscore News, le match de dimanche entre l'Italie et la France et, plus généralement, le nouvel équilibre du Tournoi des Six Nations.

Il n'y a que neuf joueurs qui ont réussi à marquer plus de 1 000 points lorsqu'ils jouaient en équipe nationale. Parmi eux, un Italien à l'accent argentin (ou plutôt de Córdoba), la première véritable icône internationale du rugby italien : Diego Domínguez.

Lorsqu'en 2000, l'Italie a disputé son premier Tournoi des Six Nations, il était là pour la mener avec son pied droit et le numéro 10 sur les épaules. Aujourd'hui, Domínguez continue de suivre l'équipe nationale, non plus avec un ballon ovale dans la main, mais avec le micro de Sky Sport.

La passion, cependant, est toujours celle qui l'a conduit à devenir une légende du rugby italien et, par l'intermédiaire de Paris, du rugby mondial. Et oui, car entre 1997 et 2004, non seulement Rome, mais aussi la ville lumière étaient folles de lui :"Je dois beaucoup à la France, mais l'Italie peut la battre dimanche".

Quels souvenirs garde-t-il du premier Tournoi des Six Nations italien ?

"L'Écosse était le champion en titre du tournoi, mais nous avons réussi à gagner contre toute attente. C'était un moment historique pour moi et pour le rugby italien. C'était nos débuts dans les Six Nations : nous nous préparions à ce moment depuis trois ou quatre ans. Dans les jours qui ont précédé le match, nous avions une énorme confiance en nous, et puis quand nous avons vu l'ambiance dans le stade... Dans ce genre de situation, tout devient facile.

Et dire que le grand-père Raffaele a insisté pour qu'il choisisse le football...

(Rires, ndlr) Oui, quand j'étais petite, il m'a emmenée jouer au football. En fait, j'ai pratiqué les deux sports jusqu'à l'âge de 12 ans, puis j'ai décidé de continuer avec le rugby uniquement".

La sensibilité de ses pieds et le numéro de ses épaules rappellent en effet ceux d'un autre grand Diego.

"Oui, c'est vrai. Mais je suis droitier (rires, ndlr). J'en ai vu beaucoup jouer. Évidemment, Maradona était Maradona. Je me souviens de la première Coupe du monde, puis de la deuxième. C'était un grand moment pour le football argentin. Mais ensuite, en Italie, j'ai rencontré le footballeur qui m'a le plus impressionné par son attitude, son professionnalisme et son désir de gagner : Paolo Maldini".

A-t-il été difficile de renoncer à jouer avec les Pumas ?

En fait, je n'ai pas eu le choix. Techniquement, je n'ai pas abandonné, ce sont eux qui m'ont suspendu. Cela dit, jouer avec l'Italie était un choix tout à fait naturel pour moi. J'avais des objectifs clairs. D'ailleurs, j'avais déjà la nationalité italienne, même quand j'étais enfant. Ma mère est née en Italie, elle est italienne, et elle voulait que mes sœurs et moi ayons la nationalité italienne. De plus, l'influence italienne à la maison était très forte, grâce aussi à mes grands-parents. À table, nous parlions italien".

Pour redémarrer après quelques années compliquées, l'Italie avait besoin d'un autre Argentin, cette fois sur le banc.

Quesada a apporté une nouvelle motivation et un discours différent. En plus, il parle italien. Oui, il parle italien ! Il a réussi à trouver un système de jeu efficace pour les joueurs que nous avons. J'ai adoré quand il a changé de stratégie contre le Pays de Galles. L'Italie doit se concentrer sur la vitesse parce que ce n'est pas une équipe forte physiquement, mais légère.

Une Italie plus rapide pour améliorer les capacités de course d'Ange Capuozzo, entre autres.

"Exactement. Capuozzo est un joueur qui doit profiter de sa vitesse, ce n'est pas un joueur de confrontation, c'est un joueur d'évitement, c'est quelqu'un qui joue avec ses jambes. Il doit jouer dans les espaces, si vous le mettez dans un petit espace, il n'y arrivera pas. Et il a encore une marge de progression comme tous les joueurs. Il doit simplement s'entraîner. Il change de rôle, il joue un peu arrière, un peu sur l'aile, même à Toulouse où il joue peut-être plus sur l'aile. Je l'aime plus comme ailier parce qu'il devient plus imprévisible. Contre l'Ecosse, d'ailleurs, il a été un peu plus bloqué, sans toucher beaucoup de ballons, alors que contre le Pays de Galles, il a été beaucoup plus en mouvement pendant tout le match".

L'Italie peut-elle améliorer son magnifique tournoi de 2024 ?

"Bien sûr qu'elle peut l'améliorer. Le tournoi vient de commencer, nous en sommes au deuxième match, elle en a gagné un et perdu un autre, le premier (perdu contre l'Ecosse, ndlr) était aussi très bon. Et je dirais même plus : à 19 partout, avec un peu plus d'expérience de la part des leaders, je parle de la charnière, nous aurions même pu gagner. Dans ces moments où l'on passe la ligne médiane, au lieu de commencer à jouer à gauche et à droite, il faut jouer une ou deux fois entre les poteaux : drop, trois points et on s'en va. L'Ecosse était en grande difficulté psychologique après la remontée de l'Italie, mais le but pour mener 24-19 lui a redonné confiance.

L'importance des détails.

"C'est comme ça que les matches se décident. Parfois sur un geste technique, sur une belle action, sur un beau coup de pied. Mais l'Italie a tout de même réalisé un grand match. Tout comme la performance contre le Pays de Galles a été excellente, en gagnant malgré le mauvais temps, avec une pluie très intense. Le Six Nations est très ouvert".

Optimiste ou réaliste ?

"Il nous reste trois matches, deux à domicile et un à l'extérieur. Nous jouons le dernier contre le plus fort ? Et alors ? Si on regarde l'histoire du Six Nations et qu'on voit ce qui s'est passé.... Des favoris qui, au final, se sont retrouvés avec trois ou quatre défaites d'affilée. Un peu comme l'équipe de France que nous allons affronter dimanche. C'était le candidat numéro un pour remporter le tournoi et au lieu de cela, elle a perdu et pourrait perdre d'autres matches. Oui, contre l'Italie, elle peut perdre. Ce ne sera pas facile, mais cela peut arriver. L'année dernière, ils ont eu beaucoup de chance, beaucoup de chance. Le match était perdu. C'était fini, mais ils ont réussi à égaliser in extremis.

Mais l'année dernière, il n'y avait pas Antoine Dupont.

"Sa présence est sans aucun doute un plus important car c'est un grand joueur, un motivateur. Quand il est là, ses coéquipiers donnent le meilleur d'eux-mêmes. Oui, ce sera un match difficile pour l'Italie, mais s'il est vrai que Dupont sera là, il est tout aussi vrai que Ntamack ne sera pas là. Et Dupont-Ntamack est le dueo en or de l'équipe de France. Ntamack est un grand numéro 10, le plus régulier de tous mais il ne sera pas là".

Le match au Stade Olympique
Le match au Stade OlympiqueFlashscore

Bref, l'Italie peut vraiment penser à battre la France 12 ans plus tard.

Oui, il faut avoir confiance, il faut continuer avec la même attitude que l'Italie a eue jusqu'à présent. La dynamique observée entre le premier et le deuxième match est en train de monter en puissance. Nous devons poursuivre cette défense très agressive dans les un-contre-un et nous battre beaucoup. Se concentrer sur le jeu au pied, comme nous l'avons fait contre le Pays de Galles, et maintenir l'efficacité dans le combat aérien".

Vous avez l'impression que la France réussit le bon mélange entre l'expérience et les jeunes talents ?

"Ils ont des joueurs très expérimentés et des jeunes qui s'intègrent bien dans l'équipe. Le fait est que ces jeunes jouent tous les dimanches dans le championnat le plus fort du monde. Et ils n'y jouent pas depuis une semaine, mais depuis au moins deux ans. Ils jouent des matchs difficiles chaque semaine, et à cet égard, ils ont donc un petit avantage. Cela dit, nous avons déjà huit joueurs qui évoluent dans le Top 14/ProD2 français et c'est une chose très positive.

Italie-France, c'est un peu le derby européen. Paris est sa troisième maison.

C'est vrai. J'ai vécu de belles années en France. J'ai joué dans un club extraordinaire, avec 140 ans d'histoire, l'un des plus anciens du pays. C'était vraiment incroyable de gagner quatre titres en huit ans. La France est un pays qui m'a donné tant d'affection et tant d'opportunités, je lui dois beaucoup".

Idole du Stade Français
Idole du Stade FrançaisJEAN-PIERRE MULLER / AFP

Les Bleus peuvent-ils gêner l'Irlande jusqu'au bout ?

"Absolument, la France est toujours candidate, même si l'Irlande a un peu plus d'avance. Mais les Irlandais doivent maintenant aller au Pays de Galles et même s'ils sont super favoris, ce ne sera pas facile car les Gallois vont vendre chèrement leur peau. Et puis, il faudra jouer contre la France et venir à Rome. Donc, attention, le tournoi est encore très ouvert".

Quelle lecture faites-vous de la domination de l'Irlande ces dernières années : son propres mérite ou les échecs des autres ?

"Absolument son propre mérite. Tous leurs clubs pratiquent un rugby compétitif. Le Leinster est l'équipe numéro un dans le monde. Ils ont réussi à donner une identité organisationnelle à toutes leurs équipes et ils ont fait un excellent travail de formation : la chaîne d'approvisionnement irlandaise est très forte. Chaque année, trois ou quatre nouveaux joueurs font leur apparition et sont très forts et compétitifs. Ils ont mis en place un véritable modèle gagnant.

Aujourd'hui, il continue de suivre l'Italie en tant que commentateur pour Sky Sport
Aujourd'hui, il continue de suivre l'Italie en tant que commentateur pour Sky SportSky Sport

L'Angleterre, en revanche, alterne constamment les hauts et les bas.

"Oui, c'est vrai qu'ils ont perdu beaucoup de tests en novembre, mais c'est vrai aussi qu'ils auraient pu tous les gagner parce qu'ils ont perdu de 3 à 4 points. Et puis ils ont perdu contre les All Blacks, l'Afrique du Sud.... Ce n'est pas facile. Je pense que l'Angleterre est également sur la bonne voie, même s'il lui manque quelques joueurs de qualité. Contrairement à l'Irlande, en effet, l'équipe nationale anglaise n'a pas de stars dans des rôles clés et n'a même pas 2 à 3 options fortes par rôle. Il suffit de penser à ce qui se passe avec le numéro 10 : ils changent depuis 3-4 ans. Il y en a un qui arrive, puis un autre, et encore un autre qui joue d'abord bien, puis mal.

Le lourd héritage du maillot numéro 10.

"Ils n'ont pas réussi à trouver la régularité que des joueurs comme Wilkinson et Farrell leur donnaient. Mais aussi en ce qui concerne le numéro 9 - et nous parlons de deux rôles clés - ils ne sont pas capables d'avoir de la régularité. En Irlande, par contre, bien que Sexton ait été là pendant longtemps parce qu'il était très fort, nous voyons aujourd'hui qu'il y a au moins deux joueurs, tous deux forts, qui se battent pour être titulaires.

Pourquoi l'Écosse n'a-t-elle pas remporté les Six Nations depuis 1999 ?

"C'est la même chose que pour l'Angleterre. Ils manquent de joueurs et maintenant qu'ils doivent aller en Angleterre, ils n'ont pas eu de chance avec Russell et Graham. Et leurs remplaçants ne sont pas au même niveau. Il ne s'agit pas d'avoir des réserves plus fortes, mais au moins plus ou moins égales. C'est donc un peu le problème de l'Italie : nous n'avons pas 3-4 joueurs forts pour chaque rôle.

Le Pays de Galles se dirige vers sa deuxième cuillère de bois consécutive...

"Il reste encore trois matches à jouer. Il faut se calmer. Il est certain que les Gallois traversent une période très difficile en raison de tout ce qui s'est passé en dehors du terrain : les problèmes de la fédération, les problèmes économiques des clubs... Tout cela a eu un effet très négatif sur l'équipe. Tout cela a eu un effet très négatif sur le groupe. Ils ont peut-être mal géré la situation. Sans parler de la retraite de certains joueurs légendaires comme Alun Win Jones, qu'il était très difficile de remplacer. Tous les problèmes sont arrivés soudainement, ils n'avaient rien prévu, surtout pas cette pénurie de joueurs de qualité. Je suis sûr qu'ils se posent plus que des questions sur ce qui a été fait, ces dernières années, en matière de formation des jeunes. Mais ils ne sont pas les seuls à se poser des questions. Il fut un temps où des jeunes très forts émergeaient un peu partout. Aujourd'hui, ils sont très peu nombreux à émerger chaque année.

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