Que pouvait-il bien arriver à Rory McIlroy après avoir vu sa fille Poppy réussir un putt aussi dément le mercredi ?
Absolument rien. Pas même un putt pour la gagne manqué au 18 dimanche, pas même un tour de playoff face à Justin Rose, ami et coéquipier de Ryder Cup qui, à 44 ans, a revécu cette mort subite perdue en 2017 contre Sergio García.
Car le weekend dans le Temple d'Augusta n'a pas été un lit de roses et Rose avait de sacrées épines. Capable de produire un golf légendaire mais aussi de commettre 4 double bogeys, un record pour un vainqueur au Masters, le Nord-Irlandais est allé puiser tout au fond de lui pour enfin revêtir cette veste verte qui l'a autant fait rêver que cauchemarder.
Retour sur 4 jours achevés dans des larmes de bonheur indescriptible.
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Un jeudi parfait... jusqu'au 15
C'est ce qui s'appelle jouer sur du velours. Après 14 trous, McIlroy était dans une journée idéale pour débuter son tournoi. Avec 4 birdies et aucun bogey au départ du 15, il ne pouvait rêver mieux. Mais, pour l'exprimer franchement, il a dégueulassé sa carte avec deux double-bogeys, au 15 puis au 17. Un chip légèrement échappé, une pente qui conduit la balle dans l'eau : tout avait déraillé en l'espace de quelques minutes. Bilan de sa journée : une carte de 72, certes dans le par mais tellement frustrante. Et tout à refaire. Dans sa partie, Ludvig Aberg avait fait l'exact inverse : neutre sur l'aller (un bogey, un birdie) avant de signer un retour remarquable avec 4 birdies (68, -4).
Au leader board, c'est Rose, déjà, qui dominait le champ avec pas moins de 8 birdies et un bogey au 18 pour une carte hallucinante de 65. À l'affût, Bryson deChambeau semblait beaucoup s'amuser malgré un bogey au 17 (69, -3). Et quand l'Américain expose son sourire carnassier, ce n'est jamais très bon pour la concurrence.
La route 66
Mais il ne faut jamais sous-estimer l'orgueil d'un champion. McIlroy est revenu sur le parcours vendredi avec une détermination décuplée. Et il a déroulé avec un carte de... 66 ! Du 10 au 15 avec birdie au 10 puis au 11, eagle au 13 et birdie au 15 histoire de prendre sa revanche sur la veille. Prodigieux.
Troisième au matin du moving day, Rors n'était qu'à deux coups de Rose qui avait rendu une carte de 71 la veille (-8 total). Cette fois-ci, c'est un bogey au 17 qui a annulé son birdie au 16. DeChambeau a fait l'inverse pour jouer dans le par sur le retour. Il avait fait l'essentiel sur l'aller avec... 4 birdies.
McIlroy a alors attaqué avec fureur. Birdie, eagle, birdie : les trois premiers trous ont été démentiels. Au 4, il a sauvé le par avec aplomb, avant d'aligner un nouveau birdie pour prendre la tête avec -11 total. Mais Augusta ne donne rien, même sur des trous "théoriquement" plus simples. Bogey au 8 puis au 10 : et si le Nord-Irlandais était en train de craquer ?
Un birdie au 13 a relancé le numéro 2 mondial, qui a ensuite sauvé le par après un coup de bois 3 manqué. Au 15, il a assommé la concurrence avec un nouvel eagle, son deuxième de la journée.
Pendant que Rose piétiniait, que Shane Lowry manquait le coche, seuls Corey Conners et deChambeau semblaient en mesure de contester le Nord-Irlandais mais ils étaient à 4 coups après une nouvelle carte de 66. L'Américain a cependant bien amorti la différence et réduit l'écart pour revenir à deux coups.
Un dimanche de légende
Sur sa lancée de 3 birdies sur les 4 derniers trous samedi, deChambeau était prêt pour le combat, tel un boxeur avide de baston. La dernière partie serait donc blockbuster trépidant.
Or le début de journée a été catastrophique pour Rors : double bogey au 1 pendant que l'Américain signait un par. Les deux hommes étaient donc à égalité et la tension était maximale pour le numéro 2 mondial alors que son rival tapait dans les mains des supporters, toutes dents dehors. Avec un birdie au 2, deChambeau a même pris la tête du champ. McIlroy allait-il encore être maudit à Augusta ?
Non, ça ne pouvait pas encore arriver ! Pas cette fois ! Boom : birdie au 3 puis au 4, assénés comme des uppercuts qui ont sonné deChambeau. Le mâle alpha made in USA a sombré : bogey au 3 et au 4 avant de finir son aller dans le par. Survolté, McIlroy a fini son aller comme il a débuté son retour : sur un birdie. Son bogey au 11 n'a pas eu de conséquence car l'Américain a fait double bogey au 11 puis bogey au 12. Liquéfié !
Rors pensait affronter un ogre : il s'est retrouvé avec une hydre à plusieurs tête. À présent, la concurrence s'appelait de nouveau Rose (-10 total à l'amorce du 16), Aberg qui aurait pu signer une carte démente avec plus de réussite au putting (-9 au moment d'attaquer le 14) et Scottie Scheffler, discret mais magistral dans le petit jeu (-8 avant le 15).
Et là, l'enchaînement 13-14 a coûté cher. Toute l'avance du Nord-Irlandais a fondu avec un double-bogey au 13 suivi d'un bogey pour un demi-tour de sphère au 14. Deux trous plus haut, Rose rentrait un birdie au 16 et le champion olympique de Rio passait leader avec -11 total. Et au 15, Aberg signait un birdie pour revenir à hauteur de McIlroy (-10).
Rose pouvait exercer une pression encore plus faute au 17 mais il a fauté sur son putt et n'a pu sauver le par. À ce moment-là, il y avait trois co-leaders, avec deux coups d'avance sur Scheffler et trois sur deChambeau, ragaillardi par un birdie au 14... avant de dire adieu à ses chances en trouvant l'eau sur le 15, une faute qui lui avait déjà coûté cher sur le 11.
À la suite de l'Américain, McIlroy a sorti de sa panoplie un coup de fer magique, une prise de risque payante sur ce par 5 qui lui a permis d'avoir un putt pour eagle ! Les acclamations de la foule ont accompagné sa remontée vers le green. Son putt est passé sous le trou et il a dû se contenter d'un birdie pour reprendre la tête (-11). Première occasion manquée.
Sur le 17, Aberg a eu un putt pour birdie mais il a mal dosé son coup, au point qu'il s'est mis en position délicate pour sauver son par. Sur le 18, Rose a mis un coup de chaud à ses rivaux avec un putt diaboloque de 7 mètres pour finir en 66 et revenir à hauteur de McIlroy.
L'air était irrespirable, d'autant que sur le par 3 du 16, McIlroy s'était donné une chance de birdie... mais la balle est passée au-dessus du trou d'un rien. Deuxième occasion manquée. En revanche, il venait de voir un concurrent abandonner toute chance en la personne d'Aberg, qui a manqué son putt de retour sur le 17 (-9).
Après le coup de fer au 15, Rors a remis ça au 17 ! La balle a écouté ses suppliques pour s'offrir une chance de birdie, à moins d'1.50m du drapeau. Ce putt en montée, il ne pouvait pas le louper !
Et voilà McIlroy au départ du 18 avec un coup d'avance sur Rose, son dernier adversaire depuis qu'Aberg s'était noyé sur le 18 avec un... triple bogey.
Un drive plein fairway ? Validé. Le coup de wedge ? Une formalité... qui finit dans le bunker. La sortie du sable a poussé la balle à moins de deux mètres du drapeau. Un par pour l'histoire ou un bogey pour un playoff contre Rose ? Ce fut un bogey... Troisième occasion manquée.
Rose était au practice depuis près d'une heure. Il a pris une voiturette comme dans les films et s'est rendu au 18 pour une bataille finale entre deux golfeurs qui ont tout deux terminés à la 2e place de ce Masters, avec un goût de déjà vu pour l'Anglais.
Rose a joué en premier. Lui puis McIlroy ont réussi leur drive pour se retrouver au milieu du fairway. L'approche de Rose a été exceptionnelle; celle de Rors a été lumineuse avec un spin qui l'a rapproché tout proche du drapeau.
Quasiment sur la même ligne, mais sans cet effet, la balle de Rose était à plus de 4 mètres. Ce putt en descente pour birdie était essentiel pour l'Anglais. En fait, c'était du quitte ou double. La trajectoire semblait bonne mais la balle n'est pas revenue : ce fut un part qui ouvrait à nouveau la porte à McIlroy.
Et cette fois-ci, à sa 4e opportunité, Rors n'a pas manqué sa chance. Les genoux dans l'herbe, en larmes, il a exulté en criant de rage, comme pour expulser 11 années de frustration, à courir en vain derrière ce dernier Majeur qui lui manquait.
Le voilà l'égal de Gene Sarazen, Ben Hogan, Gary Player, Jack Nicklaus et Tiger Woods qui, avant lui, ont remporté les 4 tournois du Grand Chelem. C'est une quête de plus d'une décennie qui a pris fin. McIlroy a enfilé la mythique veste verte. Rory n'est plus maudit.