C'est un trait de sagacité qui mérite d'être souligné plusieurs fois à l'encre rouge : afin d'assurer la meilleure ambiance possible sur le Philippe-Chatrier pour soutenir l'ultime Tricolore du tournoi, les organisateurs ont eu la grande clairvoyance de proposer le 1/8 de finale entre Loïs Boisson et Jessica Pegula pile à l'heure où les tribunes sont les plus dégarnies, au moment où les gargouillis du ventre sont plus puissants que les impacts de la raquette sur la balle.
Une brillante initiative totalement au désavantage de la surprise du tableau féminin qui se coltinait la numéro 3 mondiale et qui aurait bien eu besoin d'un soutien franc et massif du public d'emblée. L'histoire se finit très bien mais, vu la qualité du tennis produit de part et d'autre, ce match aurait mérité une meilleure programmation, y compris pour les téléspectateurs. Car quel spectacle ce fut !
Pegula fait parler l'expérience
Avec tout à gagner et absolument rien à perdre, la Dijonnaise a appliqué son son jeu risqué, notamment via de grandes claques de coup droit à plat. Probablement un peu crispée par l'enjeu, la 361e mondiale a été breakée d'entrée mais elle a immédiatement répliqué pour mener 2-1 au changement de côté.
Face à l'Américaine qui court toujours après un premier sacre en Majeur, Boisson a fait jeu égal jusqu'à 3-3, avant que Pegula ne fasse primer son expérience des grands rendez-vous. Bien plus agressive, elle a ainsi fait le break et confirmé pour mener 5-3. Dès son premier revers coupé qui a fini sa course sous la bande du filet, Boisson a indiqué des signes de frustration, voire carrément de fatigue : Pegula a remporté le premier set sur un jeu blanc (6-3).
En puissance comme en cadence, la native de Buffalo a toujours été un cran au-dessus, profitant de la moindre balle courte pour mettre la Française loin d'être sa ligne (15 coups gagnants pour seulement fautes directes). Et avec tout juste 50% de première et à peine 5 points remportés sur 17 derrière sa deuxième, Boisson se devait de redresser la barre, sous peine de disputer une deuxième manche expéditive.
Variations majeures
Chacune à leur tour, elles ont menacé l'engagement adversaire, sans parvenir à breaker. Poussée aux avantages après une magnifique volée déposée de la Française, Pegula a continué de faire la course en tête au changement de côté (2-1). De nouveau chahutée sur son service, Boisson a usé de l'amortie avec discernement à 30-A pour s'adjuger les deux points suivants et recoller au score.
Pas souveraine mais tout de même en contrôle, Pegula a néanmoins ouvert la porte à la Française, après un coup droit décroisé sur la ligne. Une nouvelle amortie a surpris l'Américaine et Boisson a enfin eu la balle de break qu'elle attendait tant. Sur une deuxième balle, elle a fait all-in en retour mais son retour est tombé au milieu du couloir. Nouvelle chance après un smash dans le filet de l'Américaine : cette fois-ci en coup droit, Boisson a envoyé un parpaing dans l'angle que n'a pu renvoyer Pegula (3-2).
Le chassé-croisé pouvait commencer. À 0-30, la Dijonnaise a remporté un rallye crucial mais à 15-30 sur son deuxième coup de raquette, elle s'est précipitée avec un coup froid expédié dans le milieu du filet. Avec un lob magistral, elle a sauvé la première balle de break mais elle a ensuite perdu la bataille du fond sur la deuxième (3-3).
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Menée 30-0, elle est revenue à hauteur, notamment avec un nouveau lob impeccable qui a suscité les acclamations du public, enfin présent, surtout en altitude, ce qui est logique puisque ce sont des spectateurs qui payent leurs billets. Boisson a obtenu une nouvelle balle de break, mais sa volonté d'attaquer tôt dans l'échange a sauvé Pegula. Mais à 40-A, c'est l'Américaine qui a commis une faute en coup droit mais sa première balle lui a permis d'égaliser. La Française variait son jeu mais Pegula s'adaptait, même si elle en laissait un peu en chemin. Courageuse et même très inspirée, Boisson a montré des signes de fatigue après une contre-amortie gagnante déposée dans la lucarne de Pegula. La 3e mondiale l'a vu et a remporté sa mise en jeu la plus accrochée avec une amortie gagnante.
Cela aurait pu constituer un coup d'arrêt mais Boisson a au contraire serré le jeu au service, avec la volonté de conclure à la volée. Pegula était de plus en plus irrégulière, coupable d'être remontée de 30-0 à 30-A, puis à 40-A avant d'envoyer un coup droit dans les bâches qui offrait une balle de break à son adversaire. En panne de première, l'Américaine a été sauvée par un revers faisandé de la Française. Elle le lui a rendu en loupant un coup droit facile et, cette fois-ci, Boisson a breaké, avec un coup de fusil en revers.
À présent que les supporters de circonstance avaient daigné rejoindre leurs places dans le bas du central, Boisson confirmait enfin sa mise en jeu, avec la manière, un beau jeu blanc qui lui permettait de disputer une manche décisive.
Un 3e set épique
Le début du 3e set a commencé par un énorme coup droit gagnant de Boisson, avant que Pegula ne craque dans un rallye. Mais même en revenant à 30-A, l'Américaine était de plus en plus friable et elle a cédé son engagement d'emblée. L'exploit se matérialisait jeu après jeu pour la Française, d'autant que Pegula manquait de discernement sur une contre-amortie qui lui aurait permis d'obtenir deux balles de débreak. Boisson déroutait totalement l'Américaine, notamment avec son revers slicé, et confirmait son break pour mener 2-0.
La fatigue se faisait ressentir et, à 15-40, Boisson a envoyé sa première balle.. directement dans la tribune ! Pegula est revenue à 2-2 mais la Française a répliqué sur le premier point du jeu suivant, avec un passing laser qui a effleuré l'extérieur de la ligne. Mais la numéro 3 mondiale a pris le filet d'assaut pour enfin prendre la tête (3-2).
Dans ce money-time, Boisson jouait sans arrière-pensée, et il fallait bien ça pour sauver une balle de break avant de pousser son adversaire à la faute pour égaliser à 3-3.
Après un jeu blanc, Pegula a de nouveau poussé Boisson dans ses retranchements en menant 0-30. Mais avec un ace et une amortie qui a dérouté l'Américaine, la Française a égalisé avant de profiter d'une faute directe et claquer un service gagnant pour revenir à hauteur (4-4).
C'était plus tendu que jamais sur l'ocre du Chatrier. 0-15, 15-30 : Boisson était tout proche du break mais Pegula a répondu pour mener 40-30. Sans complexe, la Dijonnaise a expédié un coup droit décroisé gagnant. C'était du coup pour coup. Et à ce jeu-là, c'est Boisson qui a gagné une balle de break... mais sur une deuxième, elle s'est décentrée pour frapper un coup droit trop long. L'Américaine a commis une double faute avant de sauver une deuxième balle de break avec un coup droit pleine ligne. Au rupteur, elle a cochonné un revers alors qu'elle avait point gagné. Cette troisième balle de break a de nouveau été écartée par l'Américaine qui a ensuite vu un coup droit s'écraser dans la bande du filet. Et la 4e fut la bonne pour Boisson !
15-0, 30-0 : l'exploit était tout proche. Mais avec un beau coup de défense suivi d'un passing gagnant, Pegula a réduit l'écart, avant qu'une double-faute et un coup droit de débordement ne lui permettent d'obtenir une balle de debreak sauvée par... une amortie boisée de Boisson ! L'Américaine, qui a beaucoup tergiversé avec des coups courts croisés, a alors joué l'acier pour conclure avec un coup droit long de ligne. Même pas peur : la Française a réalisé un enchaînement amortie-lob pour égaliser ! Pegula ne voulait pas lâcher mais cette troisième opportunité s'est conclue par une gifle de coup droit dans la lucarne gauche dès le deuxième coup de raquette. C'était irrespirable et la Dijonnaise a vu son attaque de coup droit rebondir juste derrière la ligne de fond. Pegula s'est vue égaliser à 5-5 mais sa contre-amortie a terminé d'un rien dans le couloir. L'Américaine a râlé, preuve que la rupture était proche. Et c'est elle qui a cédé sur un point étrange, avec un smash amorti de la Française et un revers qui finit dans le filet.
Service extérieur, claque de coup droit long de ligne : Boisson n'a eu besoin que d'une seule balle de match pour signer un exploit mo-nu-men-tal (3-6, 6-4, 6-4 en 2h42) alors qu'elle dispute son premier Roland-Garros ! Cela faisait 8 ans que la France attendait de voir une Tricolore en 1/4 de finale de son Grand Chelem et c'est une wild card totalement inattendue qui y est parvenue !