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Interview Flashscore - Yvan Mendy : "Je voulais devenir au moins champion de France"

Yvan Mendy lors de sa victoire contre Luke Campbell
Yvan Mendy lors de sa victoire contre Luke CampbellRichard Heathcote/Getty Images via AFP
En novembre dernier, Yvan Mendy a disputé son dernier combat professionnel devant son public à Pont-Sainte-Maxence. Une dernière victoire pour finir en beauté une carrière marquée par plusieurs titres européens et un titre WBC International des légers conquis à l'O2 Arena de Londres contre Luke Campbell. Pour Flashscore, "The Lion" revient sur les grands moments de sa vie pugilistique, avec fierté, sourire et humilité.

Flashscore : C'est comment la vie de retraité des rings ? 

Yvan Mendy : Pour l'instant, je ne le sens pas plus que ça. Ces dernières années, j'avais un ratio d'un combat tous les 8 mois, donc je ne vais pas m'en apercevoir dans l'immédiat, surtout que je m'entraîne toujours avec mes gars. C'est quand je ne serai plus à l'affiche du premier combat, puis du second que je me rendrai compte que c'est fini. 

Justement, revenons à ce dernier combat contre Maycol Escobar : dans votre routine, vous avez réalisé certaines choses avant et pendant ?

Pendant tout le mois précédent et la promotion, je voyais passer beaucoup de monde pour acheter les billets en pré-vente. Certains voulaient me revoir, d'autres n'étaient jamais venus à un gala. Tu sens l'engouement et tu réalises que c'est la dernière. J'ai même eu des tantes qui n'étaient jamais venues parce que ça les faisait souffrir et qui étaient spécialement là.

Ce gala a été une vraie réussite !

Malheureusement, il n'y a pas eu une grosse promotion au niveau national alors que de nombreuses villes de province parviennent à organiser de belles réunions. Il y a de quoi faire.

Retournons à vos débuts ! Quelles étaient vos ambitions lors de votre premier combat professionnel ?

Je voulais devenir au moins champion de France. C'était la condition que je m'étais imposé. J'ai autant de victoires que de défaites en boxe amateur alors, au moment de passer pro, je voulais ce titre national. Je travaillais en parallèle, comme conducteur de lignes de production, j'avais tout ce qu'il fallait, avec ma compagne qui est à présent ma femme. Je voulais faire aussi bien qu'Alain Simon (lourd-léger qui s'entraînait à Pont-Sainte-Maxence, ndlr)

Le Tournoi de France est votre première grande récompense ? 

Je gagne le premier combat contre Mohamed Boulakras, olympien et très bon boxeur. Pas simple ! Je gagne quasiment les 6 rounds, sans prendre un coup car j'ai toujours été bon défensivement. Une belle prestation. Je prends de la confiance, je progresse. J'avais aussi battu Mahamadou Traoré (lors de son 2e combat pro, ndlr(, très bon lui aussi. En demi-finale, je tombe contre un adversaire qui m'avait battu deux fois en amateur mais là je gagne. 

Quelles sont les différences entre amateur et professionnel ? On peut performer dans l'un et moins dans l'autre ?

Le format est très différent. En amateur, on était sur un 3x3 minutes alors qu'en pro, on commence à 6 avant de passer à 8, 10 ou 12 reprises en fonction du titre en jeu. C'est une boxe qui me correspondait plus. C'est comme un coureur qui passe du 3000m au 10000m : la discipline est la même mais le temps est différent, tout comme la cadence. C'est pareil en boxe. J'ai besoin de démarrer progressivement, d'observer, de monter en puissance. En amateur, il n'y a pas le temps. Et en plus je faisais de l'asthme d'effort !

Il y a un boxeur que vous avez affronté trois fois, sans jamais le battre, c'est...

Abdoulaye Soukouna !

Exactement. Pourquoi était-ce si dur contre lui ?

Il avait une boxe vraiment chiante (sourire). Physiquement, j'étais plus fort mais lui était plus malin. Je ne me connaissais pas encore pugilistiquement, je n'avais pas atteint un âge mature, donc je voulais le sortir du ring. Il a réussi à me poser beaucoup de difficultés et c'était ma bête noire, tout simplement. 

À ce moment-là, vous êtes détenteur de la ceinture WBF des super-légers. Comment avez-vous vécu le fait de buter contre le même adversaire ? Vous y avez vu un plafond de verre ? 

Bien sûr, il y a eu des doutes. Il y a une période où je n'ai pas boxé pendant un bon moment, vers 2012-2013. Il y a beaucoup de remise en question. Mais je suis un passionné, je continue de m'entraîner. Ce n'est pas une dépression mais je suis dégoûté. Je décide de changer de catégorie, je descends en léger. 

Pour quelles raisons ? 

Je n'ai jamais été gros dans mes catégories, encore aujourd'hui. Je me trimballe à 62kg alors qu'à ce poids-là, on fait combattre en plume ou en super-coq, à 55-57. J'ai toujours été exactement dans ma catégorie. Je suis un poids léger naturel. 

Vous n'êtes pas encore champion de France mais vous vous retrouvez à Kiev pour affronter Victor Postol en super-légers en 2012. Vous pouvez nous raconter ce périple ?

On était dans un période assez compliquée, après les défaites, et je tournais en rond. Je ne savais pas vers quoi m'orienter. Deux semaines avant le combat, je reçois cette proposition, il a fallu s'organiser. Moi, je suis tout le temps opérationnel ! J'y suis allé et j'ai été content de ma prestation. D'ailleurs, à chaud, je ne me vois pas perdre. Je pense l'avoir mis en difficulté mais il était chez lui, il n'y avait pas eu une grosse promotion et le combat avait lieu... dans le sous-sol d'un complexe sportif ! 

Malgré cette défaite aux points, cela vous a permis de prendre conscience de vos capacités, qui plus est dans un contexte défavorable ? Un an après, vous battez Marvin Petit en léger lors de votre combat suivant, ce n'est pas un hasard. 

Le capital confiance est boosté, sachant que Postol a été champion du monde WBC, il a une très belle carrière. Mais avec deux semaines de préparation, loin de chez moi, contre un invaincu, je pense que ses promoteurs ont joué avec le feu. Le pointage ne reflète pas le combat mais je me dis qu'ils ont frôlé l'erreur de casting. Et là, je peux prétendre à un nouveau championnat de France. 

Vous avez évoqué un manque de malice contre Soukouna : comment avez-vous travaillé cet aspect ? 

Les combats contre Soukouna m'ont permis de redescendre sur terre. J'étais fort physiquement, je prenais plus de 100kg au développé-couché. Je voulais sortir les mecs du ring. Abdoulaye m'a beaucoup aidé et on est resté en contacts, on a eu pas mal de discussions et, par ses mots, il m'a beaucoup aidé. 

Vous disputez un championnat d'Europe EBU en Finlande contre Edis Tatli. Ça sentait le traquenard ?

Oui, mais ce fut une belle expérience. Ça se joue rapidement, encore une fois deux semaines avant. À l'époque, je suis 5 fois champion de France. Je confirme qu'on est prêt mais il faut vite s'organiser, en appellant deux sparrings. Pendant une semaine, j'ai fait des mises de gants tous les jours avant le décollage pour Helsinki. Je fais une très belle prestation, avec une victoire controversée pour Tatli. À l'époque, je ne suis pas classé au niveau EBU, je suis simplement 20e au classement Union Européenne. On était dans une belle salle, je mets en difficulté le favori et j'étais à la hauteur. Récemment, un ami m'a rappelé que les commentateurs finlandais ont dit qu'ils ne savaient pas comment me retirer la victoire... et c'est Tatli qui l'emporte ! Cela dit, ça a prouvé que j'étais là pour prétendre à de tels combats. 

Vous parliez d'erreur de casting mais la plus belle reste celle de Luke Campbell que vous battez à Londres !

Il y en a eu quelques unes avec moi. Postol gagne quand même, Tatli finit bien tuméfié et l'emporte sur le fil. Je pense qu'Eddie Hearn s'est dit que j'étais un très bon boxeur, 5 fois champion de France, que j'avais perdu contre Postol et Tatli à l'étranger mais que j'allais me faire taper pour permettre à Campbell de monter dans les classements. J'étais là pour lui servir de tremplin. À l'époque, il est invaincu en 12 combats, son avenir est déjà tout tracé. On m'appelle encore 2-3 semaines avant l'échéance. Pour la petite histoire, il devait y avoir un gala organisé par Malamine Koné le 7 janvier 2015 mais il a été annulé en raison des attentats de Charlie Hebdo. Je devais boxer Daouda Sow, médaillé olympique, gaucher et même morphologie que Campbell. J'étais donc préparé pour affronter un gaucher mais les Anglais ne l'ont pas pris considération. 

Ce combat change votre carrière ?

Bien sûr ! C'est une expérience à l'étranger, une grosse réunion à l'O2 Arena, en sous-carte d'Eubanks et Anthony Joshua, plus de 20000 personnes. Impressionnant !

C'est étouffant d'avoir autant de public ou c'est galvanisant ? 

Bizaremment, je n'ai jamais eu peur de la foule. J'ai toujours respecté mes phases d'entraînement, j'ai toujours eu un capital confiance énorme, en France comme à l'étranger. J'y suis allé sereinement. J'ai une équipe en or ! Je n'ai pas d'appréhension. La veille, on se fait un resto entre collègues, et le lendemain on est parti à la guerre ! Voir une salle comme ça, remplie, c'est tout ce dont tu rêves quand tu passes pro. Et là, j'y suis enfin, en plein coeur de Londres ! Je me suis vraiment senti professionnel. 

Jusqu'au rematch, vous enchaînez plusieurs combats pour des ceintures et vous devenez champion d'Europe contre Samir Kasmi. C'est un titre qui est évocateur pour tout le monde, même pour quelqu'un qui ne connaît pas la boxe. 

C'est effectivement représentatif pour ceux qui ne connaissent pas la discipline. La ceinture WBC Silver est prestigieuse, elle permet d'avoir une place haute dans les classements mais ce n'est pas compréhensible. Alors que champion d'Europe, tu te figures tout le continent sur la carte, c'est plus concret. 

Vous avez boxé d'autres fois en Angleterre, à Wembley et au Tottenham Stadium. Dans l'antre des Spurs, vous étiez même le tenant du titre.

C'était ma première défense, contre Denys Barinchyk, un sacré boxeur, qui faisait de grosses entrées aussi. Avec Oleksandr Usyk et Vasyl Lomachenko, il fait partie des trois Ukrainiens à avoir remporté une médaille olympique en 2012, même si lui perd en finale et prend l'argent. Il ne lui manquait que la ceinture mondiale alors que ses deux compatriotes l'avaient déjà. Des invaincus, j'en avais déjà affronté quelques uns, comme Marvin Petit, Campbell, Tatli, Francesco Patera (pour le titre EBU vacant des légers en 2016, ndlr). C'était un challenge supplémentaire, en plus de conserver la ceinture européenne. Mais je fais le combat grippé, je n'étais pas au mieux de ma forme. Ce qui est frustrant, c'est qu'en forme, je suis censé le battre tous les jours. Ça reste en travers. 

Les Ukrainiens ont une façon de boxer extrêmement précise, c'est devenu leur marque de fabrique ?

Barinchyk m'a plus posé de problèmes technico-tactiques que physiques. Il ne m'a pas mis en difficulté mais il est constamment en train de bouger, il décale à chaque fois, ça boxe vraiment avec le vice. Usyk m'avait vraiment impressionné contre Joshua : gaucher contre droitier, par moments, il boxe en étant à l'extérieur, puis il rentre à l'intérieur, il travaille intérieur puis se remet à l'extérieur. Sur les changements d'angle, il est très bon. Lomachenko, quand il désaxe à gauche, à droite, il va en bas, il remonte. Il ne fait peur à personne, il ne va pas t'enfoncer dans le sol comme un Gervonta Davis ou un Mike Tyson, mais il va te poser des problèmes techniques par le nombre de coups qu'il va vouloir mettre et t'étouffer. C'est pareil pour Usyk, Postol ou Berinchyk. Ce ne sont pas de gros frappeurs mais ils sont gênants, ça va vite. Leurs combats sont toujours très intéressants. 

Vous avez eu une longue carrière prolifique : comment jugez-vous l'état de la boxe professionnelle française à l'heure actuelle ? 

Il ne faut pas se leurrer, le problème reste l'argent. C'est le nerf de la guerre. J'ai servi de sparring à Carl Frampton, je suis resté un mois. Tu apprends énormément sur les méthodes d'entraînement, sur l'alimentation. Il faut aller chez les meilleurs pour voir comment ça se passe. En fait, il faut aller dans les pays phares de la boxe, au Mexique, au Japon, aux États-Unis, en Angleterre. On pourrait faire quelque chose en France car il y a du potentiel. 

Le training camp avec Frampton, c'était pour son combat contre Leo Santa Cruz ?

Oui, le combat de l'année 2014. Sur le côté technique, c'est très axé sur la puissance. Il essaie de t'entraîner dans le coin pour placer une grosse combinaison. C'est tout une attitude dans le ring. J'ai aussi tourné contre Anthony Cacace, champion du monde des plumes. Tu te sens bien aussi parce que tu dis qu'il n'y a rien entre eux et moi et que tu es à ta place même si ce sont des grands champions. On n'a rien à leur envier, mis à part la logistique et l'aspect financier. Et puis ce sont des gars super bien. J'ai toujours des contacts avec Frampton, on s'est vu récemment, on s'est appelé quand il commentait les JO à Paris.

Parlons du rematch contre Campbell. Il y a beaucoup à dire sur les coulisses de ce combat ? 

 

Je suis resté un moment numéro 1 à la WBC, j'étais légitime mais, même en ayant battu Campbell, je n'avais pas eu droit à une chance mondiale. Mon nom n'était pas assez attractif pour affronter Mikey Garcia et ils avaient tout à perdre. J'ai été mis de côté, jusqu'à ce qu'on m'appelle pour disputer le championnat du monde contre Campbell à Wembley. Je ne comprends pas trop pourquoi mais je le fais et je perds. Lors de ma préparation, la famille McQuigann dans laquelle j'étais s'occupait aussi de Campbell. Elle me connaissait parfaitement, notamment sur le fait qu'il faut bouger constamment face à moi. Je suis dans un traquenard. Campbell voulait finir aux points pour gagner. C'était signé d'avance, parce qu'ils voulaient faire ensuite le match des Olympiens Campbell-Lomachenko. Avec les institutions, ils se sont demandé comment me dégager. Ce rematch a été appelé demi-finale mondiale et si ça finissait aux points, peu importe la prestation, on me donnerait perdant. 

À propos de Mikey Garcia, vous avez le regret de ne pas l'avoir affronté ?

C'est un boxeur que j'aime beaucoup mais quand tu te bats pour des millions de dollars, tu veux des noms. Il était la vitrine de la WBC chez les légers et il a fait des choses qui étaient impossibles. Il a combattu avec d'autres fédérations et dans d'autres catégories de poids tout en conservant sa ceinture WBC. Il a affronté Errol Spence dans la catégorie au-dessus tout en restant champion du monde des légers ! Normalement, quand tu changes de catégories, tu abandonnes ton titre, surtout qu'il ne l'a pas défendu pendant plus de 10 mois. Je ne pouvais pas payer un avocat pour porter plainte à la WBC. C'est le seul bémol de ma carrière. 

La France est toujours dans la nostalgie des frères Acariès et des grandes soirées de Canal+. Il manque quoi pour retrouver de grands promoteurs qui s'allient aux chaînes de télévision ? 

La boxe a toujours été un sport populaire, ça cartonne toujours. On parle beaucoup du MMA mais la boxe a toujours ses fans, c'est un sport que les gens aiment. Mais tout dépend de comment on vend le truc. Il y a de bons vendeurs et il nous manque peut-être ça. 

Il y a quelque chose qui est étonnant quand on vous voit : vous n'avez pas une tête de boxeur, vous n'êtes pas marqué. 

57 combats sans avoir été compté, c'est le plus important. J'ai une famille, je n'ai pas envie de faire de combats avec des scenarios à la Rocky, avec le visage tuméfié. Tu me vois revenir comme ça à la maison alors que j'ai 4 filles à la maison ? C'est un truc que je me suis toujours dit : je veux garder mes souvenirs et ne pas oublier parce que j'ai pris trop de coups. Ce sont des conditions personnelles. Mes objectifs de départ étaient de devenir champion de France et de rester en bon état.