Flashscore : Vous avez battu Oleksandr Solomennikov lors du 2e tour du WBC Grand Prix à Riyad et vous êtes désormais qualifié pour les 1/4 de finale. Comment êtes-vous arrivé dans ce tableau prestigieux ?
Yoni Valverde : au départ, j'étais le challenger de Samir Ziani pour la ceinture EBU Silver des super-plumes mais dans le même temps, on a été contacté par la WBC tandis que Ziani a laissé sa ceinture vacante après un mois de négociation. Au niveau de l'organisation, la WBC, c'est le top. On a fait le premier combat en avril et j'ai eu 6 mois de préparation. C'est large !
Vous avez eu la surprise de changer d'adversaire au dernier moment.
Une heure avant ! C'était compliqué... Mais il faut savoir que sur les 32 boxeurs du tableau initial, Solomennikov était l'un des favoris. Or il s'est fait surprendre par Holy Dorgbetor et il est passé réserviste. Moi, je trouvais que c'était plus facile d'affronter Tyshawn Denson que de boxer l'Ukrainien, très technique et doté d'une grosse frappe qui m'a surpris.
Vous vous imposez par décision majoritaire mais la carte de 57-57 n'est pas révélatrice de votre combat qui méritait une décision unanime.
J'en ai parlé avec un dirigeant de la WBC dans le ring et il m'a dit qu'il n'avait pas compris non plus. Le problème, c'est que ça joue sur les classements.
Vous affronterez Yusuf Adeniji le 15 août. Vous l'avez vu boxer ?
C'est le boxeur qui m'a le moins intéressé. Ce n'est pas bon, parce que je l'ai banalisé et il a fait son chemin. Mais il est fort, il a une grosse frappe. De toutes façons, dans ce tournoi, tout le monde est fort.
Vous venez d'une famille de boxeurs ?
Mon père et mon frère ont été professionnels, j'ai toujours baigné dans l'univers de la boxe.
Vous êtes actuellement à Majorque : c'est au même endroit que Bruno Surace ?
Non, je suis chez William Scull alors que Bruno était avec Conor Benn. J'ai mis les gants avec Moussa Gholam, nº10 à la WBA en super-plumes.
En termes financiers, mieux vaut boxer au WBC Grand Prix que Samir Ziani ?
L'intérêt du combat avec Samir, c'était son classement. C'est ça qui m'intéressait plus que l'aspect financier.

Johnson Suffo nous a confié qu'il n'avait jamais eu autant de temps pour préparer un combat et avec l'argent obtenu, on peut aussi intégrer de meilleurs camps d'entraînement.
À Majorque, je suis payé pour sparrer. J'étais déjà venu ici avant mon premier tour et ça s'était très bien passé, j'ai beaucoup appris parce que c'est une structure très professionnelle. Moussa, c'est un très grand boxeur. J'ai mis les gants avec beaucoup de monde mais lui, il envoie du lourd.
Il manque ce business des sparrings en France ?
En France, la mentalité est de se marcher dessus. Ce n'est pas comme ça qu'on avancera. Il faut prendre exemple sur les Anglais. Sorti des championnats britanniques, pour que deux Anglais s'affrontent, il faut au minimum un championnat EBU ou un championnat du monde. Sinon, ils ne se boxent pas. Si deux Français se boxent, l'un des deux va prendre un coup sur son classement. On n'est pas un pays de boxe donc faire des combats franco-français, même si ça peut être mieux pour la rémunération... Moi je préfère affronter un Mexicain 20e mondial qu'un Français que je peux battre plus facilement, ou qui me battra peut-être, mais cela n'aurait pas d'incidence sur mon classement. Je n'en vois pas l'intérêt.
Vous avez seulement 24 ans, comment voyez-vous la suite de votre carrière ?
Je me sens capable d'aller au bout du tournoi. J'avais des doutes au début mais, maintenant, je pense pouvoir y arriver. Les 8 boxeurs encore en lice peuvent gagner, moi compris. Ça va se jouer à peu. Si on faisait 5 fois chaque fois, ce seraient 5 décisions différentes. Il n'y a pas un boxeur où je me suis dit "wow", à part peut-être le Mexicain Ortega que je mets un peu au-dessus. Tout le monde est prenable.
Six rounds, c'est entre la boxe olympique et la boxe professionnelle. C'est un rythme particulier ?
Franchement, au tout début, on était 32, avec un certain palmarès amateur et professionnel. Le niveau national est très fort mais il n'a rien à voir avec le niveau international de la WBC. Il y a un écart... Je peux faire 12 rounds en championnat de France mais au Grand Prix, j'en fais 6 et je tire la langue parce que c'est intense, stratégique. Sans utiliser le cerveau, on ne passe pas un tour. Ça se décide en une fraction de seconde, c'est super beau à voir. C'est là qu'on voit le Noble Art.
Emma Gongora nous a dit la même chose : sans réflexion, un boxeur ne peut pas avancer dans sa carrière.
Je m'en rends vraiment compte au Grand Prix. En France, il y a beaucoup de boxeurs qui ne l'ont pas compris et qui n'avance pas avec le cerveau. Mais certains oui, comme Khalil El Hadri qui travaille avec Ali Hallab qui est méticuleux, ou Karim Guerfi qui a toujours eu une boxe propre. Arriver dans un tel tournoi avec mon petit sac de petit Français, je me suis rendu compte qu'il fallait absolument mettre des stratégies en place, faire le joueur d'échec, regarder des combats, les analyser. Tout le monde est bon, c'est celui qui a la meilleure stratégie qui gagne.
Est-ce qu'on peut considérer que vous avez signé vos 13 premières victoires dont deux titres de champion de France principalement sur le talent, et que maintenant, vous entrez dans une autre catégorie de niveau qui impose une nouvelle manière de travailler ?
J'ai toujours analysé, écrit sur des papiers les stratégies envisageables, au point d'en impressionner mes coaches (rires). On en rigole parce qu'après le combat, on voit que j'ai appliqué ce que j'avais noté. Pour moi, c'est une révision. Si je n'écris pas, si je ne me mets pas en tête ce que je dois faire ou pas, j'oublie. Souvent, le profil du boxeur ne change pas, il peut s'améliorer, compenser la vitesse par la puissance et vice versa mais la boxe ne change pas sur le fond.
Justement, comment vous considérez-vous comme boxeur ?
(Il réfléchit plusieurs secondes) Je suis vraiment dans l'analyse, j'essaie de faire en sorte de changer mon style mais si ma boxe privilégie les coups courts, la percussion et l'explosivité. Je peux me mettre en droitier, en gaucher, varier les zones d'attaque. Ça perturbe l'adversaire.
Avoir des plans B, C, D n'est finalement pas une option ?
Avec mes coaches, on prend beaucoup de temps là-dessus. Mon point fort, c'est que je n'ai jamais changé de staff. Je comprends mes entraîneurs les yeux fermés. Beaucoup de boxeurs changent, parfois parce qu'ils partent à l'étranger, parfois parce qu'ils aiment bien. Rester avec son équipe, progresser en équipe, on en est capable. Quand je pars mettre les gants à l'extérieur, je me rends compte que je n'ai rien à envier aux autres. J'ai toujours avancé avec eux, avec les conseils de mon père et mon frère. Il y a des boxeurs qui choisissent des grands noms pour les photos mais tes coaches doivent souffrir avec toi quand tu prends des coups. Je donne un exemple récent. Pour venir à Riyad, j'ai eu des galères pas possibles notamment avec l'avion, ils n'ont pas mangé pendant un jour et demi, ils étaient décomposés, à se poser mille questions. Si tes coaches ne sont pas protecteurs, tu vas parler aux oiseaux dans quelques années (rires).
Et ils sont plus à même de vous recadrer si besoin ?
On fait un sport très dur et très dangereux. Quand tu arrives au Grand Prix, tu signes une clause qui stipule qu'en cas de décès, ta famille touche 50.000$, comme si ça allait changer quelque chose (sourire). Mais quand même, tu te dis que tu ne joues pas là. Celui qui fait de la boxe à la rigolade, il ne progresse pas et il prend des coups durs. Sans parler du poids. Je suis descendu d'une catégorie et passer en plumes, c'est une misère ! Mais c'est la vie que j'ai choisi et c'est pour ça que je cite toujours mon entourage. Tu peux être talentueux, le meilleur au monde, mais si tu es mal entouré, ce n'est pas possible.
On a pu voir les dégâts sur Adrian Broner, cornaqué par Floyd Mayweather Jr qui l'appelait "Baby Bro", et qui a écouté les mauvaises voix.
Gervonta Davis aussi. Il était managé par Mayweather qui le protégeait, lui donnait les bons adversaires au bon moment. Depuis qu'ils ne sont plus ensemble, et alors que Davis est un tueur à gages, sa carrière descend et il aurait dû perdre son dernier combat. S'il y a des managers, c'est qu'ils servent à quelque chose. Je préfère donner 10-15% à un manager si c'est pour le bien de ma carrière.
On sent que vous connaissez votre sport, ce n'est pas le cas de tous les sportifs.
J'aime mon sport et la belle boxe. Regarder des idiots, je n'aime pas ça. Mais je sais d'avance que samedi soir, je vais me regaler à regarder El Hadri et Ziani.
Est-ce que les très bons résultats de boxeurs et boxeuses français vous motivent encore plus et vous confortent dans votre chemin ?
Grâce à elles et eux, cela va nous mettre sur la carte comme pays de la boxe. Aux JO, la France a été proche d'obtenir plusieurs médailles d'or, ce n'est pas passé loin. Ce n'est pas le cas de toutes les Nations. On est nombreux à être dans les Top 20 mondiaux dans plusieurs fédérations, ça fait longtemps que ce n'était pas arrivé. Ça s'est aussi professionnalisé, avec des kinés, des ostéos qu'on voit régulièrement. Je pense qu'il y a du changement et que la boxe française évolue dans le bon sens. Je suis content de boxer pendant ce changement. Si j'étais né dix ans plus tôt, ça aurait été la catastrophe.