Flashscore : Vous venez d'être sacré champion de France, vous êtes sur une bonne dynamique. Comment jugez-vous votre début de carrière professionnelle ?
Victor Yoka : Je suis dans les temps. Certains disent que je suis en avance mais je n'aime pas dire ça car cela dépend des objectifs que l'on a. Sept combats pro, c'est bien.
Comment analysez-vous votre victoire contre Romain Lehot à Caen le mois dernier ?
Déjà, la réunion était top, Nicolas Perret a fait une très belle soirée avec 4500 personnes. Ça a fait le plein. Ce qui est bien, c'est qu'il y avait de tout parmi les spectateurs, même des gens qui ne connaissaient pas forcément la boxe. Ça change des soirées à Paris. C'était une très belle expérience, à refaire bientôt. On a senti que c'était un gros événement. J'étais à l'extérieur, donc je devais en faire plus parce que, quand c'est serré, c'est souvent le boxeur à domicile qui l'emporte. J'ai fait une très bonne préparation. Sans prétention, je savais que j'étais meilleur mais je ne voulais pas laisser de doute, il fallait très bien gagner. J'ai bien fait de mettre le paquet parce qu'il a pris trois rounds.
De nombreux boxeurs vivent leur premier titre national comme une forme d'accomplissement. C'est votre cas également ?
Je le vois plus comme une étape. Ma ceinture, je ne sais même pas où elle est, je crois qu'elle est derrière mon imprimante (rires). On l'a fait parce qu'il fallait le faire. Ça dépend de chaque personne, il ne faut pas dénigrer ceux qui pensent comme ça. Chacun ses objectifs. Si c'est celui-là, alors il faut en être très content. Pour moi, c'était une étape... ou pas d'ailleurs car, quand j'ai été nommé challenger, je n'étais pas sûr de le faire. On aurait pu aller directement vers autre chose. On m'a dit que c'était mieux ainsi, ne serait-ce que pour ma crédibilité. C'est bien d'avoir avec une ceinture car on ne me connaît que comme "le petit fère de". Je veux monter que je suis bon et que je gagne des titres. Mais ce n'est pas une fin en soi.
Avec d'affronter Mathis Lourenço, vous expliquiez être en quête d'opportunité ?
J'était en manque de combats. Je suis passé pro en 2022 et je n'avais disputé qu'un seul combat. En 2023, j'en ai fait deux. En 2024, j'ai fait un petit combat en février... J'ai un enfant, il faut s'occuper de sa famille et je me demandais si j'allais arrêter. Je me suis dit que je finirais l'année à fond. Et j'ai eu cette opportunité. Je m'entraînais souvent dans la salle des Samaké. Quand Ahmed El-Mousaoui s'est retiré, sur un coup de tête, j'ai dit à Issa Samaké que s'il voulait, je pouvais le remplacer. Il y avait encore deux mois et demi de préparation. Au début, Issa a hésité parce que Mathis est triple champion de France et je n'avais que 4 combats pros. Mais j'étais sûr de moi et je n'avais rien à perdre. C'était soit ça, soit j'arrêtais. Mathis a accepté, j'ai fait une très bonne préparation. Je savais qu'il avait plus d'expérience, qu'il était physique mais, pugilistiquement parlant, entre lui et moi, il n'y avait pas match. Il fallait que je sois prêt physiquement pour le battre.

La boxe est souvent une histoire de circonstances ?
C'est ça, il faut être constamment prêt. On l'a vu avec Bruno Surace. S'il avait fait la fine bouche, il serait passé à côté d'une victoire contre Jaime Munguía.
Boxer à l'étranger peut-être une solution : en boxant en sous-carte d'Usyk-Fury, Dylan Colin a ensuite sparré avec Artur Beterbiev.
Ça change la vie mais sparrer avec Beterbiev, au niveau de la santé, pas sûr que ce soit top (rires). Mais oui, il faut savoir saisir les opportunités. C'est un sport compliqué, où on peut passer de rien à tout. Après ma victoire contre Mathis, ça s'est enchaîné. J'ai reboxé dans une soirée de Samaké, je me suis bien classé en vue d'un championnat de France et maintenant j'ai de nouvelles possibilités.
Qui vous a motivé pour persévérer ?
J'ai parlé avec Tony Brady, le préparateur physique de Tony quand on était à Las Vegas ou à San Francisco. Je lui disais que j'allais arrêter, qu'il n'y avait rien en France. Il m'a répondu : "je ne vais pas te mentir, j'ai croisé beaucoup de boxeurs dans ma carrière, tu as du potentiel". Il a quand même eu dans ses mains des gars comme Andre Ward ou Andre Berto. Quand j'étais à Vegas, je tournais avec des top propects américains et, pour la plupart, je leur mettais la raclée. Il ne voulait pas qu'en allumant ma télé dans 5 ans, je vois des boxeurs que je battais devenir champion du monde. Il m'a dit de ne pas lâcher, de me donner une nouvelle année. Je l'ai écouté. Ça m'est arrivé plusieurs fois, notamment en 2019 quand j'étais en boxe olympique. Je m'étais blessé et de numéro 1, je suis passé numéro 3. Luis Mariano (le coach cubain de l'Equipe de France, ndlr) m'a dit de finir l'année à fond. Je l'ai fait, j'avais une médaille à chaque tournoi. Bengoro Bamba s'est blessé, il ne restait que Moreno Fendero et moi. On m'a dit que si je faisais un résultat au tournoi suivant, j'irais aux Jeux européens. C'est ce qui s'est passé et j'ai obtenu une médaille. Tu te rends compte que, quand tu t'en donnes les moyens, des portes s'ouvrent.
Est-ce que s'appeler Yoka vous en a fermées ?
Je ne vais pas cracher sur le fait de m'appeler Yoka ! Ça m'a fermé des portes, mais ça m'en a ouvert. Ça m'a compliqué certaines situations. En fait, je ne boxais pas beaucoup parce que mes adversaires, en voyant mon nom, se sont dits qu'ils allaient faire le jackpot. Mais Victor, ce n'est pas Tony, je n'ai pas Canal+ derrière moi ! Je ne crache pas dans la soupe : j'ai pu boxer dans les soirées de mon frère parce que je suis son frère. Il demandait à Jérôme Abiteboul de me faire boxer et je boxais. Il y a eu des complications mais chacun fait avec les armes qu'il a. Si je peux utiliser mon nom je l'utilise et si ça bloque, c'est comme ça.
Vous n'êtes pas dans la même catégorie, ça évite les comparaisons ?
Récemment, j'ai envoyé à Tony une image qui recensait les meilleures catégories actuellement et les super-welters étaient en 1 et les lourds en 2. Je lui ai dit que ma catégorie était plus relevée que la sienne (rires). En rigolant, il m'a dit que le plus important était qu'on défonce tout le monde ! Il y a des catégories où ça devient relevé au niveau du Top 10. En super-welters, c'est Top 40. Pour moi, le plus difficile, c'est la tranche entre 30 et 10 parce que tout le monde a à peu près le même niveau et a faim pour entrer dans le Top 10.
En France, il y a beaucoup de gros noms : Bakary Samaké, Milan Prat, Michel Soro, Reda Kham, Ahmed El-Mousaoui entre autres. La concurrence et l'émulation sont féroces.
Il y a des grands combats à faire. On veut tous être champion du monde mais on veut aussi faire de grands combats et que ça rapporte financièrement.
On ressent souvent le besoin pour les boxeurs et les fans d'avoir des affiches franco-françaises de qualités.
J'ai une autre vision. La boxe est notre métier alors pourquoi te prendre la tête à prendre un Français sachant qu'il n'y a pas beaucoup d'opportunités en France ? Si tu perds, tu ne sais pas si on va te rappeler, surtout pour un billet moindre que si on t'appelle en Angleterre. Là-bas, si tu perds mais que tu fais un bon combat, on te rappele. Il faut voir les choses de cet angle-là aussi. C'est surtout une question financière : si tu mets de l'argent, tu as les combats que tu veux. Il suffit de regarder ce qui se passe en Arabie saoudite. Je comprends très bien qu'un Français ne veuille pas affronter un compatriote pour 20.000€ s'il galère déjà à se trouver des combats. Autant, en Angleterre, tu prendras 30.000€ e,t même si tu perds, tu vas revenir. Tout est une question d'argent, même si on a tous la passion. Si tu poses 150.000€ pour organiser un Samaké-Prat, ils vont être d'accord. Mais qui va les mettre ?
C'est toute l'économie de la boxe en France qui est à penser, y compris dans l'organisation et les possibilités de sparring ?
Je suis resté 8 semaines à Vegas et j'ai dû boxer 25 fois. Il y a tellement de monde... Et attention, on parle de 25 guerres ! Tu ne galères pas pour trouver des adversaires de qualité. En France, tu bricoles, ça n'a rien à voir. Bakary va aussi à Vegas pour se préparer.

Est-ce que vous avez songé à prospecter une société de promotion aux États-Unis ?
Ça m'a traversé l'esprit mais il faut savoir être réaliste. Quand tu es à l'étranger, même si tu es intéressant, tu restes un Français. Le public ne vient pas forcément pour toi, même si tu es bon. C'est un business, si tu n'as pas de hype, tu ne remplis pas la salle et tu deviens cher pour un promoteur. Ou alors, ils se servent de toi pour faire monter leurs boxeurs. Le promoteur de Mario Barrios était très intéressé mais je me suis demandé ce qui l'intéressait chez moi alors que j'étais au début de ma carrière pro, j'étais classé 500e. Il faut peser le pour et le contre, prendre les bonnes décisions au bon moment. Je voulais faire mon truc en France et aller à l'étranger si j'étais bloqué. Mais si ça ne tient qu'à moi, je préfère rester avec mon public.
Hassan N'Dam nous a confié la même chose : même en étant champion du monde, il restait un Français, même avec un promoteur américain censé défendre ses intérêts.
Le public ne vient pas pour toi. Il faut voir ce qui est intéressant au niveau du business. Inversons les rôles. Si demain j'ai un promoteur français qui fait venir un bon Anglais, connu chez lui, il y a plus d'intérêt que ce soit moi qui gagne parce que les gens vont venir pour moi dans mon pays. C'est logique. Après, c'est peut-être différent parce qu'en France, on a le culte et la fascination pour les étrangers. Je ne le comprends pas. J'ai participé à un France-Cuba et le public supportait les Cubains !
Comme ça s'explique ?
En Angleterre, même si Anthony Joshua a eu des défaites, il est soutenu parce qu'il est Anglais. Si tu parles avec des gens qui suivent un peu la boxe, il vont te parler des États-Unis. Je vois des commentaires sur mes combats ou ceux de Bakary où il y a écrit "s'il va aux États-Unis, ce ne sera pas pareil". Mais on y est allé aux États-Unis et, à la plupart, on leur a mis des raclées ! Mais c'est ancré comme ça. J'ai 99 combats amateurs, j'ai été en Équipe de France olympique, j'ai beaucoup tourné en pro, je suis allé en Angleterre, aux États-Unis, à Cuba alors je peux le dire : mes sparrings les plus durs ont été contre des Français. Mais quand je dis ça, on ne me croit pas ! Sur mes 25 sparrings, si ça avait été un combat, j'aurais perdu une fois. Peut-être que le style américain me convient, mais il faut arrêter avec ce culte. Mon premier sparring aux États-Unis en 2021, c'était contre Mario Barrios. On met les gants et pendant les trois premiers rounds, je le tabasse. Je me suis demandé si c'était ça un champion du monde pro. Sauf que j'avais un rythme de boxe olympique et, arrivé au 5e, Virgil Hunter lui a chuchoté deux-trois trucs, notamment de me travailler au corps, et ce n'était plus la même chose (sourire). Mais on est bon en France. Je donne un scoop : Lounès Hamraoui est venu aussi à Las Vegas et il a fait un sparring avec Devin Haney. Et Lounès a dominé Haney ! Au point que son père lui a demandé de rester avant le combat contre Vasyl Lomachenko.
On a l'impression que le passage entre la boxe olympique et boxe professionnelle ne se fait pas en France ?
On en revient à l'argent, aux moyens. La France est top 10 à chaque JO et je suis large en disant ça. En pro, tu vois des pays que tu ne voyais pas. En boxe olympique, on investit, ça passe par l'État. Mais arrivé chez les pros, il n'y a plus d'investissement. Quand je vois que des prospects que je battais sont maintenant top 10-15 alors que je galère encore, tu comprends que c'est une question de budget. Avec l'environnement qu'ils ont, si je les recroise, ce sont eux qui me battront. Par exemple, Nico Ali, le petit-fils de Mohamed Ali, a un encadrement qui fait qu'il fait qu'il progresse alors que, sans le dénigrer, il n'est pas extraordinaire. Comme il est comparé à son grand-père, on dit qu'il est nul mais je l'ai vu mettre bien des mecs et il progresse. Tu peux aller loin avec tout le monde. Tu as des boxeurs comme Terence Crawford ou Jaron Ennis qui n'ont pas un grand palmarès amateur : en France, on ne les aurait même pas calculé. Mais comme leur entourage pue la boxe, ils progressent obligatoirement.
Il y a aussi une faillite de la part des medias mainstream ?
Ce qui donne de la hype, ce sont les medias. Si tu ne vois pas de boxe, les gens ne vont pas s'intéresser à la boxe. Si tout ce que tu as, c'est The Voice, Un dîner presque parfait ou TPMP, les gens vont suivre ça. Les medias créent les stars. La preuve, c'est que des gens sans talent, comme dans la télé-réalité, deviennent des stars. Si une chaîne de sport se met dans la boxe, choisit des boxeurs pour faire des documentaires, ils deviendront des stars même sans être forcément bons mais parce que le public les aura vus régulièrement. En France, on fait l'inverse : il faut être une star pour qu'on s'intéresse à toi. Mais c'est si tu me promeus que je deviens une star et que je remplis la salle.
La prochaine étape, c'est une défense ou viser une ceinture internationale ?
Mon équipe est plus dans l'optique de défendre le titre pour refaire un 10-rounds car c'était mon premier contre Romain Lehot. Mon père, qui est aussi mon coach, dit qu'on peut prendre notre temps, je suis champion de France après 7 combats. Moi, je suis un peu plus pressé (sourire). Même Tony me dit que j'ai besoin d'expérience. J'aurais pu finir le championnat avant la limite mais je me calmais parce que je ne savais pas ce que c'était d'aller à 10 rounds. Si je ne finissais pas le combat, je ne savais pas comment je serais à la fin. Avec plus d'expérience, j'aurais réfléchi différemment. J'avais bien touché mon adversaire pourtant. Ça ne sert à rien de se précipiter car le jour où on arrive en haut, on a de bonnes armes. Je fais confiance à mon équipe.
Est-ce qu'il y a un fossé entre disputer 8 et 10 rounds ?
Je n'ai qu'un seul combat en 8 rounds, contre Mathis. Et j'ai eu le même réflexe de me retenir, vers le 4e. Après ce combat, j'ai refait un 6 et je sais que je les ai. Maintenant, c'est le cas avec un 8. Je n'avais fait que deux fois 10 rounds à l'entraînement mais en combat, on est plus essoufflé, il y a la pression. Mais est-ce que c'était différent ? Je ne l'ai pas trop senti parce que j'avais fait une super préparation. 10 rounds, c'est une belle aventure ! Plus il y a de rounds, plus ça devient tactique. Si je n'avais pas pris un round de récupération, peut-être que je n'aurais pas fini aussi fort.
Il y a des vidéos où on vous voit manger pendant le régime et... c'est une punition. Super-welters, c'est votre catégorie naturelle ?
Je suis à 77kg donc j'en ai 7 de trop par rapport à la limite. Aux États-Unis, Troy Isley s'est retrouvé à 78 la semaine où il devait boxer ! Là-bas, je ne sais pas comment ils font, mais ils se font du mal. Il a d'ailleurs changé de catégorie. C'est une galère pour moi, mais il y a pire. Arrivé à 74kg, je sais que je serai au poids. Là, je sais que j'ai 3 kilos à perdre. Si tu t'y es mal pris, tu es très fatigué. Ça m'est arrivé à mon 3e combat. Je devais boxer à 71.5kg, l'adversaire avait été trouvé la veille de la pesée mais la limite, c'était 70kg ou rien. Sauf que moi, je m'étais préparé pour 71.5. À ce moment-là, j'étais à 74.5-75. 1.5kg, on dirait que c'est rien mais c'est énorme. J'ai fait des bains chauds, je suis tombé dans les pommes. J'avais dit à Tony que je ne voulais plus boxer parce que je ne voulais pas faire une mauvaise prestation. Gagner, c'est normal mais c'est surtout comment tu gagnes. J'avais les jambes coupées et à la fin du premier round, j'ai dit à mon père dans le coin que j'étais mort. Il fallait que je le montre le plus tard possible à mon adversaire. Il s'en est rendu compte au 5e. J'ai tout lâché sur le 6e pour gagner. J'ai envisagé de descendre en welters mais ça ne vaut pas forcément le coup.
Est-ce qu'il y a une jalousie par rapport à Tony qui n'a pas de contrainte de poids ?
(Sourire) Non, pas de jalousie, surtout que les coups de poing qu'il prend, ce ne sont pas les mêmes que les miens (rires). À choisir, je préfère manger moins. Parce qu'une patate d'un mec de 125kg, ça ne m'intéresse pas !
Vous connaissez bien Bakary Samaké, son combat avant le concert de Gazo est très entendu. Vous voyez ça comment ? Le public ne sera pas forcément là pour voir de la boxe, est-ce que c'est un risque ?
C'est énorme. Même si les gens ne viennent pas pour voir de la boxe, ils vont voir de la boxe et ça donne de la visibilité. Et ce n'est pas n'importe qui : Bakary c'est un bon. Ça peut leur donner goût à la boxe. Quel boxeur peut remplir une salle de 35000 personnes ? Même mon frère ne peut pas. Avoir le coup de pouce de Gazo, ça aide, c'est très bien.
Récemment, des Youtubeurs ont rempli la Défense Arena avec des combats de boxe qui n'avaient pas d'intérêt sportif. C'est frustrant ?
Quand je suis arrivé dans la salle, je me suis dit que c'était un truc de fou alors que ce ne sont pas de bons boxeurs. Les spectateurs venaient d'abord voir leur Youtubeur préféré. Je ne suis jaloux de personne, chacun essaye de faire son business. Mais ça serait bien qu'on arrive à avoir de tels événements en France pour de la boxe.