Interview Flashscore - Victoire Piteau : "C'est difficile de gérer une carrière pro"

Victoire Piteau.
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Battue de peu par Samantha Worthington en juillet dernier pour le titre mondial WBA, Victoire Piteau (26 ans, 14-3-0) revient dans le ring ce samedi à Châteauroux pour la ceinture WBA Gold des super-légères contre la Vénézuélienne Alys Sánchez. Pour Flashscore, elle évoque son lien à la boxe, son travail en centre pénitentiaire et sa volonté d'encourager le public à venir soutenir les organisations de galas.

Flashscore : Vous disputez un combat pour la ceinture WBA Gold. Quelles sont vos sensations ? 

Victoire Piteau : La préparation se passe bien, je suis arrivée dans mon nouveau club il y a 17 mois et on se comprend de mieux en mieux avec mon coach. On s'est ajusté et on peut travailler beaucoup de choses. Je laisse soin à mon staff en qui j'ai toute confiance d'analyser mon adversaire même si je connais son palmarès. 

Vous êtes gauchère, c'est souvent aux adversaires de s'adapter à cette particularité. 

Oui ! J'en parlais justement à mon coach. Mon dernier combat a été super bien filmé, c'est une bonne source pour m'analyser (rires). 

Vous avez donc disputé un championnat du monde en étant championne d'Europe en titre. Que gardez-vous de cette expérience aux États-Unis car vous étiez proche d'au moins accrocher le match nul ?

En toute honnêteté, j'ai accepté en signant ce combat de ne pas le gagner. Comme beaucoup de boxeurs, on sait qu'on doit réaliser un exploit pour s'imposer à l'extérieur. Sur un terrain neutre, j'aurais peut-être gagné. Il en fallait encore plus aux États-Unis, même si un juge donne 95-95 (défaite par décision majoritaire, ndlr). C'est déjà une victoire. Et puis je suis très contente de ce combat. Avoir fait quelque chose de bien, même sans ceinture, c'est très important et je le garde à l'esprit. 

Votre adversaire n'a boxé qu'une fois en Europe et même si elle a plus de combats, elle n'a pas davantage d'expérience. 

Je me dis que ça va être un combat très différent de mes deux derniers qui ont été avec beaucoup d'intensité contre des filles dures et capables de recevoir. Contre Sánchez, je pense que je vais devoir m'attacher à ma technique, peut-être plus que sur le cardio même si elle va vouloir me coincer. 

Vous avez disputé un championnat de France dès votre troisième combat et vous l'avez remporté 6 mois plus tard, en 2020. Vous vous attendiez à y parvenir aussi rapidement ? 

Franchement, non. C'est difficile de gérer une carrière pro car, après le titre, que doit-on faire ensuite ? Il n'y a pas vraiment de transition car on va directement au championnat d'Europe et ce n'est pas la même difficulté. Il y a un gros écart entre les deux titres et il faut faire des combats en France pour se préparer. Il y a un an ou deux où on a l'impression de stagner avant d'accéder à des titres plus prestigieux. 

Effectivement, on voit beaucoup d'adversaires avec des palmarès négatifs qui sont perçus comme des entraînements grandeur nature. 

C'est ça et il faut le faire comprendre aux gens, y compris ceux qui connaissent la boxe. Je ne veux pas me jeter des perles mais je pense que je suis le bon exemple de ça (rires). On n'a pas le choix de faire autrement. L'aspect financier entre aussi en ligne de compte. C'est aussi un sport dangereux, on ne peut pas aller faire des championnats d'Europe ou des championnats du monde du jour au lendemain. Il faut se préparer, c'est comme ça. Finalement, on prend ce qu'il y a, dans les limites du budget. Ça ne m'a pas empêché d'aller aux États-Unis pour affronter la numéro 1 américaine. Je le dis souvent : je suis beaucoup plus stressée pour un combat d'entraînement parce que si tu perds, c'est terminé. C'est pour ça que je ne sous-estime aucune boxeuse, rien n'est jamais joué d'avance. Les filles qui viennent, elles ne sont pas là uniquement pour toucher la bourse : elles sont là pour gagner et elles ont souvent très peu de KO. 

Comment êtes-vous venue à la boxe ? 

Mon père était boxeur (sourire). Comme ma mère travaillait tard, on l'accompagnait à la salle avec mon frère. C'est venu comme ça, en le regardant taper dans le sac. Il ne m'a jamais forcé mais il était plutôt content (rires). 

Vous travaillez parallèlement à votre carrière ?

Je suis contractuelle, je suis économe dans un centre pénitentiaire pour mineurs. Je fais du contrôle de gestion car, comme beaucoup de boxeurs et boxeuses professionnels, il faut travailler à côté. Je travaille en détention mais je ne suis pas en contact direct. En plus, ma direction me soutient énormément et m'aménage mon temps de travail. Ce n'est pas tout le monde qui a la chance d'avoir un employeur aussi compréhensif. Cela dit, lors des entretiens, je précise toujours que mon travail numéro 1, c'est la boxe. 

C'est un environnement qui rappelle le poids des règles ?

En boxe, plus on monte, plus la somme de détails compte. La gestion du poids par exemple vient avec la maturité. Quand on a 16-17 ans, on se dit qu'on peut aller au McDo lundi et mardi et qu'avec une sudation le vendredi ça ira. J'ai vécu ça ado aussi. Le fait de ne pas respecter les règles, c'est toi qui en payes le prix. Personne ne perdra le poids à ta place. 

Votre père organise le gala ? 

Ça me permet de rebondir sur le fait qu'on est nombreux à devoir cumuler boxe et travail. La place la moins chère sera de 30€ mais beaucoup de monde refuse de payer et demande des sièges gratuits. Il y aura 6 combats professionnels, c'est difficile de s'en sortir. Et c'est paradoxal car on nous plaint en disant qu'on doit cumuler mais on ne veut pas payer le ticket d'entrée. C'est le serpent qui se mord la queue. On s'est posé la question de savoir si on devait baisser le prix mais je préfère qu'il y ait un peu moins de monde car c'est aussi une façon d'éduquer. Quand on va au cinéma, avec une place et un truc à manger, tu es déjà proche des 30€. Pareil si tu vas au restaurant. Quand j'ai passé 4 mois au Canada, je suis allée à deux galas et l'entrée était à 120 dollars canadiens. 

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Est-ce que vous constatez malgré tout un engouement autour des résultats de la boxe féminine française ?

Je trouve qu'on a été nombreuses à prendre des risques cette année. Par exemple, Rima Ayadi a affronté Elif Nur Turhan (qui est devenue championne du monde samedi soir, ndlr), il fallait avoir le culot d'y aller. On a eu de gros adversaires, y compris à l'étranger. Cette année, on a eu de beaux combats et il y a une vraie effervescence au sein de la boxe féminine.