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Interview Flashscore - Tom Frager : "Je ne pense pas qu'il faille revenir à l'âge de pierre pour sauver la planète"

Tom Frager
Tom FragerTom Frager
Révélé en 2009 par le titre "Lady Melody", le surfeur Tom Frager sort un nouvel album consacré à sa passion de l'océan. Son single avec Zaho "Touché coulé" est le premier titre de 14 duos qui seront introduits par Paul Watson, la figure de proue de Sea Shepherd.

Flashscore : Votre passion pour les océans remonte à votre enfance. Vous êtes né en Afrique avant de vivre en Guadeloupe. 

Tom Frager : Je suis né à Dakar où j'ai vécu mes premières années puis notre père nous a embarqués à Bamako car il avait été nommé pour acheminer de l'eau potable dans les villages. Ensuite, il a eu un poste en Guadeloupe dans le secteur des énergies renouvelables. J'y suis resté 15 ans, ma mère y vit toujours et j'y ai toujours des attaches. J'ai commencé le surf et j'ai passé ma scolarité du collège à la fac là-bas. 

Cet intérêt semble donc héréditaire !

On peut dire ça. Mon père était un ingénieur vraiment spécialiste de la question. Nous avons grandi dans la considération de l'environnement. Aujourd'hui, les énergies renouvelables sont aussi devenues un business, et il y a du bon comme du moins bon. Mon père était un pionnier, avec une vraie conscience écolo. Moi, je suis sensible à la question mais je ne suis pas ingénieur. 

Vous avez été un surfeur de haut niveau : peut-on établir un parallèle entre les grands projets qui peuvent virer au greenwashing et l'évolution du surf qui s'est transformé en industrie ?

Le surf est devenu une industrie, avec forcément des mauvais côtés. L'activité humaine abîme. Le nombre de surfeurs est tellement supérieur à ce qu'il a pu être par le passé, il a fallu produire beaucoup plus de planches par exemple. Mais il y a encore des entreprises qui travaillent avec une conscience écologique, on trouve aussi des wax et des crèmes solaires qui ne salissent ni la mer ni les coraux. Je ne pense pas qu'il faille revenir à l'âge de pierre pour sauver la planète ou, plutôt, moins l'abîmer. L'idée est d'avancer avec cette sensibilité éco-citoyenne et que les grandes décisions aillent dans ce sens car c'est à ce niveau que cela se joue. 

Vous sortez un album de 14 duos et une partie des bénéfices ira à Sea Shepherd de Paul Watson. Il fait d'ailleurs une apparition ?

Paul a accepté d'introduire l'album avec un joli discours mis en musique pour dire que les artistes sont aussi là pour faire passer les messages. Je ne suis pas prétentieux, je ne réinvente rien. À ma petite échelle, je parle d'écologie dans mes chansons et je me suis dit que ce serait bien d'inviter un maximum d'artistes prestigieux à me rejoindre pour expliquer la fragilité de l'océan et le besoin de le protéger. J'ai créé le Mouvement bleu, un groupe associatif et une partie des royalties de l'album sera reversée là. J'ai déjà été ambassadeur Surfrider foundation notamment et j'ai décidé de créer mon mouvement pour orienter les combats moi-même. J'entreprends différents projets artistiques. Outre l'album, j'organise un éco-festival à Capbreton qui fête sa 3e édition cette année. Je fais venir des artistes dont la plupart est présente sur l'album. Cette année, c'est Pep's qui sera la tête d'affiche. J'aimerais que ça devienne un rendez-vous annuel avec la possibilité pour les spectateurs de venir et d'être sensibilisé car l'océan est l'un des poumons de la planète et c'est l'affaire de tous.

Est-ce contraignant d'organiser un éco-festival, précisément pour respecter l'environnement ?

Pour ne pas me confronter à ce problème, même si j'espère que cela arrivera car ça voudra dire que le festival est devenu énorme, je veux que le message envoyé soit : zéro déchet. On est dans une petite salle, la salle du Phare qui fait 300 places. Ce sont des concerts acoustiques pour ne pas utiliser beaucoup d'électricité. On a aussi des gobelets recyclables. Ce n'est pas énergivore et, en plus, les artistes sont à nu quand ils sont en guitare-voix. C'est très artisanal. Si un jour ça devient un festival en plein-air, cela ne se fera pas les pieds dans le sable. Je fais la guerre aux mégots laissés sur la plage. On parlait de l'esprit du surf : pour moi, c'est l'inverse du mec qui écrase son mégot dans le sable. C'est respecter l'océan. À une époque, je faisais la promotion de l'opération "une session de surf, un déchet ramassé". Le fameux colibri. On est ravi de voir le surf aux JO, c'est un sport sexy, c'est beau à voir mais il faut faire attention à ses dérives. Le surf n'échappe pas à la règle du développement d'une discipline, avec les matériaux de production. J'aime le surf authentique, artisanal, éco-responsable. 

Revenons à Paul Watson. Il a été emprisonné plusieurs mois pour avoir voulu défendre l'éco-système. C'était absurde comme situation non ?

Ceux qui traitent Paul d'éco-terroriste, ça me fait bouillonner ! Il a passé toute sa vie sur des bateaux, au large, près des glaciers. Ce n'est pas amusant, surtout à l'âge qu'il a. Que peut-on lui reprocher ? Ses méthodes ? Mais face à des gens qui eux-mêmes n'en ont rien à faire des méthodes ! J'ai eu dans mon entourage des critiques sur Paul, notamment à la Réunion par rapport à sa défense des requins. Mais si les requins se sont trop reproduits, c'est en raison de l'activité humaine qui a tout dérégulé. Il n'a rien fait d'autre que de respecter le droit international qui interdit d'harponner dans des zones protégées. Je ne comprends pas qu'on ne focalise pas sur ceux qui ont une pratique interdite mais sur lui ! Symboliquement, s'il restait incarcéré ou s'il était envoyé au Japon, c'était la victoire du mal contre quelqu'un qui disait simplement qu'il faut préserver la nature. 

Votre premier single est "Touché coulé" avec Zaho. Toutes les chansons du nouvel album ont l'océan en toile de fond ?

Toutes les chansons de l'album sont liées d'une manière ou d'une autre à l'océan. Ce titre évoque une rupture amoureuse sous le prisme d'une bataille navale. Je ne voulais pas faire un album 100% écologie car ça aurait vite été redondant. Il ne faut pas que l'écologie soit moralisatrice. Je suis pour une écologie apaisée, informative, calme, sans emmerder tout le monde, sans injonction péremptoire, avec des interdictions et des jugements. On ne peut pas en vouloir à des personnes de ne pas y être sensible. Je suis allé au Sénégal pour une mission car j'ai un ami qui travaille dans un institut de recherche. Les eaux autour de Dakar sont très polluées. Mais la première préoccupation d'une partie de la population c'est déjà de manger à sa faim. L'écologie, c'est la préoccupation de quelqu'un qui n'a pas d'autre chose à penser avant. L'écologie, ce n'est pas binaire. Dans l'album, il y a des coups de gueule  et d'autres chansons plus légères pour faire passer le message de manière douce. L'océan peut être dur aussi et il y a une chanson sur les migrants qui embarquent sur des bateaux qui n'arrivent pas. Pendant 14 semaines, un duo est dévoilé et l'ensemble de l'album intitulé "Septième continent" sera disponible à la mi-septembre avec le discours de Paul Watson. 

Quand vous évoquez une manière douce de faire passer un message, on pense immédiatement à "La cage aux oiseaux" de Pierre Perret.

J'ai eu la chance de le rencontrer, c'est un homme exquis et cette chanson est devenu un hymne à la liberté. Un enfant comprend que les oiseaux enfermés sont malheureux mais on ne peut pas lui en vouloir de les trouver mignons. Je me demande toujours comment on passe d'enfant émerveillé par la nature à un adulte qui va arracher des forêts, pêcher dans des sanctuaires. J'encourage tous les lecteurs à rejoindre des associations pour donner du poids et donner un coup de pouce, que cela soit Sea Shepherd, Coeur de Forêt ou le Mouvement Bleu. Plus on sera nombreux, plus cette voie pour défendre le vivant sera défendue. Dans le Sud-Ouest, une ligne THT doit passer sous terre et en mer pour relier la Gironde au Pays basque espagnol. Pour y parvenir, des arbres sont arrachés alors que c'est un corridor de mammifères, y compris dans l'océan, ce qui fait fuir les cétacés. 

À titre personnel, votre engagement a toujours été au coeur de votre métier d'artiste. Par le passé, Antoine a réalisé de nombreux documentaires non pas pour montrer la planète qui s'enlaidit mais, à l'inverse, ce qu'il y avait de plus beau pour montrer ce qu'il fallait préserver. Vous partagez cette vision ?

Je trouve que c'est une méthode qui n'est pas mauvaise. Je comprends pourquoi il fait ça. Mais il faut aussi montrer ce que nous avons commis, nous en tant qu'humains. Sur l'album, je chante avec Danakil, le groupe de reggae français le plus connu actuellement, et nous avons réalisé un clip coup de gueule, pour montrer les bateaux qui ravagent les océans. Quand on achète une boîte de thon, on n'explique pas que les fonds marins ont été massacrés avant. On parle de bateaux usines qui raclent le fond, fracassent les coraux, massacrent les dauphins. Il faut éduquer les consciences. Des enfants sensibilisés aujourd'hui sont des adultes qui seront éco-responsables. Mes deux enfants reviennent de l'école en chantant des chansons sur l'écologie, je trouve que c'est la bonne chose à faire. Il ne faut pas s'en vouloir d'essayer pour changer les choses. Je suis arrivé en Guadeloupe en 1988, j'avais 11 ans et des gens balançaient des canettes par la fenêtre et il y avait des décharges sauvages avec de l'électroménager. Aujourd'hui, il y en a de moins en moins. Il faut expliquer l'impact de nos gestes.