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Interview Flashscore - Souleimane Mohammedi : "Il vaut mieux travailler par discipline que par motivation"

Souleimane Mohammedi
Souleimane Mohammedi @dialityka / Flashscore

Samedi soir, au Pasino d'Aix-en-Provence, Souleimane Mohammedi retrouve le ring après quasiment un an sans combat, en raison d'une blessure. Le poids moyen de 23 ans organise cette soirée qui doit relancer sa carrière, avant de mettre le cap sur de grands objectifs dans les prochains mois.

Flashscore : Vous n'avez que 23 ans mais déjà 16 combats professionnels. C'est très précoce. 

Souleimane Mohammedi : Je suis arrivé dans la boxe par hasard car j'ai commencé à 17 ans... mais je viens d'une famille de boxeurs. Mon père Norredine, mon regretté oncle Larbi (décédé en 1996 à seulement 23 ans, ndlr), mes cousins ont tous boxé. Mon père a une salle et j'ai voulu tester. Je faisais du foot mais l'aspect de "qui est le plus fort" m'a toujours plu. Petit, j'étais turbulent et ça m'a canalisé. 

Où se trouve la salle de votre père ? 

Au Jas de Bouffan. Il l'a depuis 30 ans et il est très connu dans le quartier, par rapport à tout ce qu'il fait. Il travaille avec les écoles, les prisons, les services. On a reçu beaucoup de monde. Quand toute votre famille fait ça, vous vous dites "pourquoi pas moi ?". Après un an en amateur, je suis passé pro. J'étais fait pour ça (sourire). 

Vous avez boxé au Luxembourg et en Belgique lors de vos premiers combats. C'était pour des notions légales ?

La France n'acceptait pas ma licence car je n'avais pas assez de combats amateur. J'ai fait 18 combats en 8 mois et je devais faire les championnats de France. Mais il y a eu le Covid, alors je suis passé pro, même s'il me manquait 3 combats en 3x3 minutes pour valider ma licence. Je n'ai pas voulu attendre, alors je suis allé au Luxembourg. 

Vous avez un homonyme dans la boxe dans le Sud : Nadjib Mohammedi.

Mon entraîneur est mon père et j'ai aussi travaillé avec Nadjib pendant quelques mois. Effectivement, c'est un Mohammedi, dans la boxe, dans le Sud, mais on n'est pas de la même famille (rires). 

>>> L'interview de Nadjib Mohammedi est à retrouver ici

Vous avez affronté des noms connus dans le milieu : Pierre Rosadini devenu double champion de France, Carlos Sinisterra qui a fait une demi-finale au WBC Grand Prix, Sofiane Khati qui réclame une revanche comme il nous l'a confié il y a quelques mois. 

Je me permets de dire que je ne vois pas en quoi notre combat s'est joué à peu de choses. J'ai géré de A à Z. Je lui ai mis la pression alors que je ne suis pas ce type de boxeur d'ordinaire. Je ne me suis pas pris beaucoup de coups. Pour moi, j'ai gagné largement et je ne vois pas l'intérêt de faire une revanche. C'est inutile pour moi. Mais c'était un beau combat et je remercie vraiment Sofiane parce qu'il m'a beaucoup appris. 

Vous avez aussi remporté de belles ceintures : la WBC Youth contre Sinisterra et l'IBF International contre Khati. 

Avec mon papa, on a toujours fait en sorte d'affronter des adversaires de plus en plus forts. Pour mon 9e combat, j'ai affronté Jhony Navarrete qui avait 58 de combats, affronté notamment Jaime Munguía deux fois, et disputé 4 championnats du monde. C'était risqué mais j'ai toujours fait en sorte de gravir les échelons. Mon prochain adversaire, Nodar Robakidze, si on se fie à son palmarès, on va dire que ce n'est pas si dangereux mais ce n'est pas une truffe. C'est un Géorgien qui a 80 combats (19-54-7) et il a affronté du monde : Milan Prat, Bruno Surace, Diego Natchoo, Mustapha Zaouche, Zakaria Attou et aucun d'eux ne l'a tombé. Même quand je fais un combat de retour, parce que ça fait malheureusement un an que je n'ai pas boxé, je fais en sorte de ne pas prendre des mecs qui ne me serviront pas. Je ne veux rien laisser au hasard parce que je suis jeune mais je me dis que je ne veux pas perdre de temps. C'est un sport où on prend des coups, c'est dangereux et je veux durer dans le temps, pas uniquement dans ce sport, mais surtout pour ma santé. Je ne veux pas finir à parler aux murs. Je veux gravir les échelons, en sûreté, conscient et arrêter le plus vite possible (sourire). 

Vous avez été blessé ?

Je me suis donné une très grosse entorse à la cheville à quelques semaines du WBC Grand Prix. Je n'ai pas pu me remettre sur pied ni perdre le poids, alors j'ai dû annuler ma venue. Je suis dégoûté parce que j'étais l'un des favoris, surtout quand je vois que Sinisterra est allé jusqu'en demi-finale (sourire). Je ne vais pas me prendre la tête. Je pense que cette année d'inactivité m'a servi, je me suis entraîné, j'ai pu réfléchir aux choses que je ne faisais pas avant, à mes erreurs, sur mon poids et ma constance et qu'il vaut mieux travailler par discipline que par motivation. Il ne faut pas oublier qu'on monte sur le ring seul. Je sais que si je perds un combat, plus personne ne va me calculer, j'en suis conscient. Même Canelo Álvarez a pris des critiques après sa défaite honorable contre Terence Crawford et certains ont même dit que c'était un bidon ! 

Vous avez une chaîne Twitch, c'est un aspect que vous voulez développer ?

Oui mais comme je me concentre beaucoup sur mon combat, j'ai un peu laissé ça de côté et levé le pied. Je suis focalisé sur mes performances, plutôt que sur ce qu'il y a autour. 

Dans les performances sportives et le développement de sa communication, Bakary Samaké est souvent cité en exemple, même si cela lui attire aussi des critiques. 

À partir du moment où des personnes critiquent des choses dont ils ne pourraient même pas faire le quart... La boxe, ce n'est pas du foot : tu fais une erreur, tu peux finir en croix. Nos proches nous regardent, ça peut être difficile pour eux. Je n'avais pas conscience de cette pression jusqu'à ce que mon petit frère de 15 ans ne boxe aussi. C'est horrible ! La boxe n'est pas un jeu, on peut prendre un mauvais coup à tout moment. Même le mec le plus nul de ce sport mérite le respect parce qu'il a eu le courage de monter dans le ring et de risquer sa vie. Bakary suscite de la jalousie parce qu'il a les résultats et la hype. Son père a fait un gros travail derrière, respect à eux. 

La boxe est un sport ingrat ?

Je suis à quelques jours de la pesée et je suis sur les nerfs, psychologiquement j'ai moins de patience. On ne veut voir personne, on déteste ce sport, on se demande même pourquoi on le fait. C'est très dur. Certains le font pour vivre, pour payer les fins de mois, pour aider les proches. Ce n'est pas le sport le plus beau du monde, mais le plus ingrat oui. 

Comment analysez-vous votre style de boxe ?

En dehors de mes capacités physiques qui sont assez bonnes, j'ai une grosse intelligence de jeu. Je ne le montre peut-être pas toujours mais je fais en sorte de toujours contrôler mon adversaire, de gérer et d'amener mon adversaire à faire ce que je veux. Tout ça, je le fais en posant des pièges, en changeant de tactique. J'ai une très bonne défense, une bonne vitesse, je suis un tacticien mais surtout je suis assez bon sur les jeux d'échecs. 

Justement, vous avez le vocabulaire de quelqu'un qui joue aux échecs.

Je ne joue pas mais je pense que je vais bientôt m'y mettre (rires). Pour moi, la boxe est une stratégie complète et chaque détail compte, aussi bien le fait de faire croire à l'adversaire qu'on est en difficulté ou en sûreté, de voir s'il est fatigué, de me mettre en droitier ou en gaucher. Il ne faut rien laisser au hasard et c'est ça qui peut m'aider à surpasser les capacités supérieures de mes adversaires. J'ai affronté des puncheurs et des techniciens et si je m'en suis sorti à chaque fois, c'est grâce à mon QI boxe. 

La sweet science, c'est une transmission de père à fils ?

Mon père a toujours eu une vision intelligente du ring, un peu dure à exprimer parce qu'il est à l'ancienne (sourire). Pour lui, c'est toucher sans se faire toucher : je mets mes coups, je sors, je reviens. C'était la base de sa boxe et je cherche toujours à faire mieux. Je suis un éternel insatisfait. Même si je gagne avec un KO au premier round, ce n'est pas forcément bien parce que je me dis que j'aurais pu être plus impactant sur ce coup, éviter celui-là, être plus rapide. Je suis très dur avec moi-même. Je sais aussi reconnaître ce que je fais bien mais je veux perfectionner mon art au maximum. 

Vous analysez beaucoup vos combats ?

Toujours, même si je sais écouter la critique. J'analyse tout, mes combats, ceux de mes adversaires, mes entraînements. C'est au détail près, si je dois regarder 5, 10, 30 fois, je le fais. 

Ce n'est pas forcément une norme chez les boxeurs : beaucoup laissent une large partie de cette analyse à leur staff. 

C'est ma façon d'être. Je pars du principe qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même et c'est moi l'acteur principal. C'est bien beau de m'apprendre des choses, de me donner des directives mais si je n'utilise ma propre intelligence, ça ne sert à rien. J'aime sublimer les choses : je respecte la consigne mais j'ajoute ma touche personnelle. 

Vous serez favori samedi : espérez-vous un combat rapide pour reboxer vite en 2026, voire d'ici la fin d'année 2025 ?

J'espère trouver un combat pour décembre, je ne veux pas rester sur ma faim de n'avoir eu qu'un seul combat en 2025. J'ai aussi des pistes pour 2026. Je veux faire un maximum de combats. Avant, j'étais plus axé sur la qualité plus que sur la quantité mais je me dis que je peux faire deux combats de qualité et trois autres à côté, pour faire 5 combats dans l'année. Même contre des "petits" adversaires, je peux aiguiser mes armes, rester actif, éviter de prendre du poids. C'est ce que je faisais au début et ce qui payait le plus. Je suis quelqu'un qui a besoin de beaucoup répéter et de mettre en application. J'aime peaufiner mon art. 

Avez-vous l'intention de vous inscrire au prochain WBC Grand Prix ?

Je crois que je ne peux pas parce qu'il fallait avoir moins de 25 ans et moins de 16 combats. Je rentre dans la première catégorie mais pas dans l'autre. Même si c'est possible de m'inscrire, je pense que c'était un train à prendre cette année. Je vais me focaliser sur la WBC Silver, faire en sorte de l'avoir en 2026. En raison de mon inactivité, j'ai été destitué de ma ceinture IBF International et je préfère me concentrer sur une seule fédération. 

Votre combat aura lieu au Pasino d'Aix-en Provence, c'est une belle salle. 

J'organise le gala avec mes parents, c'est vraiment compliqué pour avoir des financements. Je sais qu'il faut avoir une politique de "tu viens, tu payes" mais on peut offrir des invitations si on a un retour. Il faut payer ses places parce qu'il s'agit de la bourse des boxeurs, d'investissements, mais on ne peut pas être trop rigides non plus. Il faut des fonds pour financer et encore plus pour soutenir l'initiative. 

>>> Pour réserver vos billets, c'est par ici

C'est un rôle qui vous motive ? 

Ça ne me plaît pas plus que ça. Avant cette interview, j'ai passé 46 coups de fil, ensuite je vais m'entraîner, puis repasser des coups de fil. Je préfère rester concentré sur mon travail de boxeur. Je me répète mais on n'est jamais mieux servi que par soi-même et après un an d'inactivité, j'ai préféré tout faire, quitte à ce que ce soit un peu plus difficile et ne plus le faire ensuite. Je mets la main à la pâte, je fais quelques sacrifices, même si ma tête chauffe (rires). Je sais que je ne fais pas tout ça pour rien. On essaye de faire les choses en grand en tous cas.