Flashscore : Vous êtes devenu champion de France en novembre 2023 en battant Gaston Dué au 6e round avant de la défendre trois fois victorieusement en 2024. Ce succès a-t-il été la première étape majeure de votre carrière ?
Sofiane Khati : Quand j'ai commencé, je ne jurais que par cette ceinture, c'était un rêve. On ne réfléchit à rien avant de l'avoir remportée. Maintenant que je l'ai, je me dis que je veux au-dessus. Avant, c'était impensable.
Vous êtes réputé pour être un esthète dans le ring, même si ça peut stresser votre staff. Avant d'impressionner les juges, il faut que ce soit beau ?
C'est peut-être un défaut mais ça canalise mon aggressivité. J'aurais pu gagner plus de combats si j'avais d'abord pensé à détruire plutôt qu'à être beau gosse. J'essaye d'être le plus beau, avoir le moins déchet dans ma boxe. Ça me hante un peu (rires). Je déteste retourner dans mon coin en ayant été moche à voir.
Ça naît d'où cette volonté qui se transforme en marque de fabrique ?
Ça me colle à la peau mais je ne saurais pas dire d'où ça vient. Quand je regardais mes vidéos en amateur, je ne m'aimais pas. Et à force de me détester, j'ai voulu combler mes lacunes. C'est resté une maladie, j'ai fait une fixette là-dessus. Maintenant, dès que je vois un défaut, je bloque dessus. Actuellement, ce sont mes appuis. Je les trouve trop volatils, pas assez ancrés au sol, alors je peaufine cet aspect.
La plupart du temps, les boxeurs laissent leur team préparer les aspects tactiques. C'est votre cas également ?
Dans mes préparations, je laisse à peu près faire les coaches. Mais je sais aussi qu'à partir d'un moment, ils vont vouloir me faire travailler des choses que j'estime ne pas avoir à travailler. Je leur dis que je veux me concentrer sur certains points parce que je le sens et que j'en ai besoin. On regarde les adversaires mais je suis d'abord centré sur moi. On ne fait pas une stratégie entièrement fondés sur eux. Je reste focus sur moi, on envisage des situations par rapport à tous les types de boxe, de sorte à affronter n'importe qui.
Vous appartenez à la catégorie des poids moyens. Charles Biétry dit que c'est la catégorie préférée des vrais connaisseurs de boxe. Vous êtes d'accord ?
Chez les moyens, on voit des boxeurs complets. C'est le juste milieu entre les lourds avec des boxeurs puissants et compacts et les légers qui sont très rapides. Dans notre catégorie, on voit vraiment ce qu'est la boxe anglaise.
Vous mesurez 1.83m, ce qui est très grand chez les moyens. À titre de comparaison, Christian Mbilli est un super-moyen qui fait 1.75m. C'est un avantage, notamment par rapport à la distance ?
Arrivé à un certain niveau, tu es capable de gérer ton corps par rapport à ta morphologie et ta boxe. Ça pose moins de problèmes qu'en début de carrière. Avec l'expérience, tu t'adaptes à toi et à ton adversaire. Je serais incapable de dire si je préfère un plus grand ou un plus petit. Il y a de très bons et de très mauvais côtés dans les deux cas.
Vous êtes un poids moyen naturel ?
Je viens des welters, ensuite je suis monté en super-welters puis en moyens en prenant de l'âge et du muscle. Mais si je veux me faire du mal, je peux retourner en super-welters. Je ne l'ai jamais fait mais c'est faisable. Il n'est pas impossible qu'un jour où je me fais chier, je change de catégorie pour aller chercher d'autres objectifs et d'autres objectifs (rires).
Vous avez effectué beaucoup de combats à l'étranger, plus que la moyenne des boxeurs français. Vous l'expliquez comment ?
Tous les boxeurs français ont plusieurs opportunités étrangères dans l'année. En revanche, il est plus rare qu'ils acceptent le combat parce que tu sors de sa zone de confort et tu sais aussi que tu peux bousiller le mec en face et perdre. Moi c'est le genre de choses qui ne me dérangent pas. Je boxe des grands noms, je prends de l'expérience et des opportunités qui pourraient ne plus se représenter, je vais dans de grandes salles. Le kif !
Il y a la crainte de la défaite ?
Ça c'est vraiment le cadet de mes soucis. Ce que j'ai en tête en premier lieu quand j'accepte un combat, ce n'est ni la tâche verte (la victoire) ni la tâche rouge (la défaite). Je chasse tout ça de mon esprit. Ce qui m'importe le plus, c'est de briller round après round. C'est ça mon principal objectif. La décision finale, rien à cirer.
Vous êtes déjà sorti battu du ring et vous dire que vous n'aviez pas raté votre combat ?
Tous ! Tous les combats que j'ai perdus, je n'ai aucun regret de les avoir faits, à part peut-être celui contre Etinosa Oliha. Je suis arrivé en Italie malade comme un cabot. J'ai fait 6 rounds alors que je n'arrivais pas à respirer. Horrible. Et en plus, ses coups, c'étaient des enclumes. C'est le plus gros frappeur que j'ai affronté. Quand tu es dans cet état, tu as envie d'appeler, de dire que tu n'es pas apte, que tu ne vas pas faire une bonne prestation. Sauf que tu plantes l'organisateur, l'organisation, le combat et on ne revient pas vers toi. Normalement, tu te dois de dire que tu ne peux pas boxer, c'est légitime. Les stars internationales refusent le combat, même une semaine avant. Nous, nous n'avons pas ce luxe-là. Tu as intérêt d'y aller quand même et d'assumer.
En France, l'essentiel des boxeurs ont un travail à côté. C'est votre cas également ?
Ça fait un an que la commune m'a embauché et avant j'avais des emplois faciles pour tout concilier. Je connais des boxeurs qui sont maçons ou charpentiers et parvenir à concilier un tel travail, la boxe et la vie de famille, ce n'est pas simple.
Vous avez signé avec l'agence Drakarys ?
C'est tout récent et c'est un échange de bons procédés. Je n'ai jamais été pour me faire suivre par des boîtes de management parce qu'on n'est jamais libre de ce qu'on fait. Jamais de la vie je n'aurais pu faire 6 combats l'année dernière et pourtant ça s'est très passé pour moi. Le fait de pouvoir se gérer seul à de bons côtés. L'agence m'a permis d'avoir deux contrats de sponsoring en deux jours, et avec des marques sérieuses. C'était un pari et je joue le jeu (rires).
Abordons votre combat du 8 février contre Nathan Heaney : vous êtes en sous-carte du gala d'adieu de Derek Chisora !
Et on sera bien placé car il y aura une belle ceinture à gagner, la WBA Continental Europe.
Affronter un Anglais à la Co-op Live Arena de Manchester qui fait 20.500 places : l'ambiance s'annonce énorme. Vous avez déjà hâte d'y être ?
J'ai déjà fait un co-main event de Dillian Whyte contre Christian Hammer. J'ai affronté Gary O'Sullivan, un Irlandais qui n'avait jamais perdu à domicile et il avait perdu uniquement contre 4 champions du monde. J'ai été sa 5e défaite. C'était le jour de la Saint-Patrick et chez lui ! Depuis, je suis rôdé aux ambiances hostiles ! Là aussi, on m'a appelé deux semaines avant. J'avais un fond de base mais j'étais à à la ramasse alors je me suis entraîné deux fois par jour sans regarder dans quelle réunion je serai. J'arrive à la pesée et je vois Whyte à ma gauche, la dinguerie ! J'étais choqué, ça m'a marqué. Je me suis dit que j'étais dans une grande carte, ça m'a boosté et le soir du combat je ne me suis pas reconnu, je ne l'ai pas lâché pendant 8 rounds, je l'ai mis mal. Et pour avoir la victoire chez lui, c'est qu'il devait y avoir des différences qui se comptent en année-lumière (rires). Normalement à l'étranger, même si tu gagnes, on te fait perdre. C'est le côté obscur de la boxe. Mais c'est aussi pour ça qu'on me rappelle après : je ne dis rien, j'applaudis, merci.
Heaney (18-1-1) est sur un nul et une défaite contre Brad Pauls. Il voudra retrouver de la confiance ?
Je pense que, vu qu'il sort d'une défaite par KO et qu'il n'a pas remis les gants depuis 7 ans, il a vraiment envie de se venger sur la vie. Il va venir aiguisé. C'est sa première défaite, il a dû s'entraîner deux fois plus et faire la préparation de sa vie, sans rien laisser au hasard.
Un media day est prévu en amont ?
Sur le contrat, je dois partir 5 jours avant le combat. D'ordinaire, c'est deux jours, voire carrément le jour même avec avion le matin et pesée le soir. Queensberry Promotions, c'est Frank Warren, c'est du très lourd. On te met bien, avec des salles d'entraînement à ta disposition, une conférence de presse imposée si elle est demandée. Il y a une première pesée 5 jours avant le combat où on doit être aux alentours de 75-74.5kg, puis la pesée la veille à 72.5kg et le combat le jour J.

De nombreux boxeurs français participent à de grandes réunions à l'étranger mais on a l'impression que monter un gala en France est toujours très compliqué malgré le vivier ?
Toutes les grosses organisations qui appellent les Français sont suivies par de gros diffuseurs. En France, on est à la rue. En boxe anglaise, c'est dur de financer 5 combats professionnels dans la même soirée. Rien qu'un seul, ça coûte énormément d'argent. Les organisations françaises comptent sur leurs sponsors et les collectivités. Dans de telles organisations à l'étranger, les TV rincent, les promoteurs sont bien ancrés. Même un gala un peu pourri sera toujours rentable. Je ne vais pas parler pour Nevers parce que ça marche très bien, on n'a même pas assez de places disponibles et on remplit 3000 sièges. Mais en général, c'est rare d'être rentable en France. Pas de TV, peu de sponsoring : on ne peut pas égaler les autres, c'est impossible. Sauf si tu as de gros noms, comme Christian Mbilli ou Bakary Samaké.
Qui va combattre avec le concert de Gazo, une première mondiale !
Ça c'est incroyable ! Ils ont trouvé le truc parfait pour relancer la boxe anglaise. Tu fais une première partie comme ça à chaque fois, je peux vous jurer que les boxeurs français vont avoir une montée en flèche dans les media et les réseaux sociaux !
À propos de la nouvelle vague de boxeurs talentueux, vous avez été battu par Souleimane Mohammedi à Aix en décembre dernier. Il a un gros potentiel et à seulement 22 ans, son palmarès est prometteur. Vous l'avez perçu comment ?
Je déteste crier au vol et je respecte vraiment Souleimane, c'est un frérot. Mais quand on parle boxe, on reste boxe. Pour moi, j'ai gagné, c'est net et précis. De peu, peut-être, mais j'ai gagné. Et pour la majorité de la salle, de l'organisation, du monde de la boxe, aussi. C'était chez lui et j'aurais peut-être dû en faire plus. Mais pour une ceinture (IBF International, ndlr), il devrait y avoir plus de neutralité. Honnêtement, il se doit de m'offrir une revanche pour lui-même et pour son équipe. S'il veut prétendre à autre chose en France et à l'étranger, il doit me battre avec une vraie victoire. Son père m'a promis une revanche et même lui m'a dit qu'il me voyait gagner. Je vais bousculer les choses pour déclencher cette revanche. Et je pense que c'est aussi un bien pour lui, il doit confirmer.
Vous êtes Français et poids moyen : on imagine que vous avez suivi de près le KO de Bruno Surace contre Jaime Munguía. Vous aussi vous avez été surpris ?
Ça a surpris la planète entière ! Ring Magazine l'a élu upset de l'année, c'est énorme. On va sparrer dans pas longtemps, pour préparer sa revanche. J'étais trop content pour lui, comme si c'était moi qui avais mis le KO à sa place ! J'ai kiffé, comme dans un rêve ! J'étais en préparation, je me suis endormi et j'ai loupé le combat. Au réveil, un pote me dit que Bruno a mis Munguía KO. Je n'y crois pas et puis... le choc ! Ce qu'a fait Bruno, ça a redonné la dalle aux boxeurs français.