FMB : Trente ans sont passés depuis votre victoire en Coupe des Coupes et votre but icônique. C'est passé vite ?
Nayim : Oui, très vite. Le temps file et il faut en profiter le plus possible.
FMB : Vous avez prévu des festivités avec vos coéquipiers de l'époque ?
On va faire un dîner avec tous ceux qui sont dans le coin, car certains sont loin et ne pourront pas venir. On va passer un bon moment et ensuite on ira sûrement voir le match de Saragosse contre Cartagène.
FMB : Prenons la direction des années 90 ! L'épopée en Coupe des Coupes débute dès la saison antérieure, avec la victoire aux tirs au but contre le Celta en Copa del Rey au Vicente-Calderón (0-0, 5 t.à.b. à 4). Quel souvenir gardez-vous de ce premier trophée ?
Le souvenir de nos supporters toujours loyaux, toujours à nous encourager au maximum. Du match en lui-même, je me souviens qu'on s'est compliqué la vie avec l'expulsion de Santi Aragón, d'autant qu'on ne jouait pas très bien. Le Celta avait une belle équipe, un grand gardien en la personne de Santiago Cañizares. Nous avons eu la chance d'arriver à la séance de tirs au but après une énorme parade d'Andoni Cedrún. Notre victoire devait être écrite et elle nous a permis de disputer la Coupe des Coupes.
FMB : Vous évoquez Andoni Cedrún : ce n'est peut-être pas le gardien espagnol le plus connu mais quel caractère !
C'était un leader du vestiaire, quelqu'un de très important, toujours là pour nous appuyer, à nous aider. Il était très positif, décisif non seulement lors des finales mais aussi tout au long de la saison. Il a été fondamental et évidemment, il a eu un très grand rôle dans nos succès car, chaque fois que c'était difficile, il y avait Andoni.
FMB : La campagne de Coupe des Coupes a débuté de manière très étrange : une défaite en Roumanie contre le Gloria Bistrița sur un terrain bordé par de nombreux militaires et un match retour... à Mestalla. Deux ambiances particulières ?
La Roumanie de cette époque avait des terrains difficiles, avec peu d'ambiance dans les tribunes. Mais on ne se cherchait pas d'excuses. Peu importe la pelouse et les circonstances, on était là pour jouer et gagner. On s'est fait surprendre sur deux occasions et ils nous ont battus (2-1). Ce fut difficile mais on avait ramené un bon résultat malgré tout. La Romareda avait été suspendue pour deux matches et on a dû aller à Valencia. Il y avait peu de public mais on savait qu'il était important de renverser le score et de passer, aussi bien sportivement qu'économiquement. On y est parvenu (4-0).
FMB : En 1/4 de finale, vous avez affronté Feyenoord. Dans un stade De Kuip étouffant, Ed de Goey avait réalisé un match fabuleux alors que vous aviez eu d'énormes occasions (défaite 1-0). Comment vit-on cette frustration ?
Ce fut certainement le meilleur match de sa carrière parce qu'il a tout arrêté et avec des parades exceptionnelles. Nous aussi, ce fut notre meilleur match de cette campagne de Coupe des Coupes. Déjà, il y avait une vraie ambiance de Coupe d'Europe avec des fumigènes, un adversaire avec beaucoup d'internationaux. Un vrai match de bonhommes. On n'avait pas peur, on y est allé pour nous battre et nous nous sommes procurés de très nombreuses occasions mais De Goey nous a tout sorti. On est reparti de Rotterdam avec la certitude de ce que nous devions faire à la Romareda au retour.
FMB : À propos de gardien, lors de la demi-finale retour à Stamford Bridge contre Chelsea, Andoni Cedrún est blessé, remplacé par Juanmi qui dégage dans Paul Furlong qui ouvre la marque. Quand une telle chose arrive, comment les coéquipiers peuvent redonner confiance ?
Si vous avez vu le match en entier, vous vous rendrez compte que Juanmi a été le meilleur joueur sur la pelouse. Il a réalisé d'immenses arrêts, il est allé chercher des ballons très difficiles. Cela traduit sa personnalité. Cette erreur n'a pas affecté sa performance. Notre équipe se serrait les coudes entre coéquipiers. Juanmi a démontré sa valeur et il a mené une grande carrière, avec beaucoup de personnalité.

DO : La Coupe des Coupes manque-t-elle au football ?
Quand on est nostalgique, oui. C'était une très belle compétition qui récompensait les clubs vainqueurs d'une coupe nationale. Aujourd'hui, il y a toujours cette notion de récompense mais elle s'applique différemment. La C2 n'existe plus mais on la regrette parce qu'elle était belle.
FMB : Il s'agissait d'un tournoi très court finalement, avec des clubs qui étaient tous dans une dynamique positive et qui savaient gagner. Le défi était relevé ?
Tout à fait, et on a sorti Feyenoord puis Chelsea pour disputer la finale contre Arsenal. C'était à élimination directe, avec un format aller-retour, tu ne pouvais pas te louper sinon tu était dehors. C'était court, intense, beau, avec de grandes équipes. En Espagne, on luttait contre les Barça, Real Madrid, Valencia, Athletic, Betis etc qui avaient l'habitude d'aller loin en Copa del Rey. Mais nous avions un groupe incroyable, avec énormément de talent et nous faisions le poids contre les meilleurs. On était enthousiaste à l'idée de disputer la Coupe des Coupes et plus on avançait dans la compétition, plus on se disait qu'on n'avait pas à rougir de notre niveau. On a sorti Feyenoord à la Romareda (2-0), on a mis 3-0 à Chelsea en demi-finale aller. On a souffert à Stamford Bridge, on a perdu 3-1 et on s'est qualifié notamment grâce à Juanmi.
FMB : Lors de ce match, il y a la célébration du berceau. Plusieurs coéquipiers ont eu des enfants à la même époque, environ 9 mois après la victoire en Copa del Rey !
(Rires) Correct ! Santi Aragón a eu sa fille María, elle venait de naître et il lui a dédié ce but. On n'était pas coordonné pour cette célébration (rires). Mais ce but nous a envoyés en finale.
FMB : Alberto Belsué a dit que les cigognes avaient eu beaucoup de travail à ce moment-là !
(Rires) Il a raison ! Quand tu gagnes un trophée et que tu le fêtes, il peut se passer ce genre de choses. Ce sont de belles anecdotes. Maintenant, ces enfants ont l'âge de notre victoire en Coupe des Coupes.
FMB : En finale, vous recevez un énorme coup dans la cheville. L'arbitre exige que vous sortiez sur civière mais dès que les porteurs sortent du terrain, vous sautez pour rentrer le plus vite possible. C'était impossible de sortir blessé lors d'un tel match ?
Je l'ai toujours dit : pour sortir d'un tel match, il aurait fallu me briser en deux. J'ai pris un gros coup par derrière mais j´ai vu que je n'avais rien de cassé et que c'était juste un coup. J'ai dit à l'arbitre que je ne voulais pas sortir mais il m'a obligé à m'allonger sur la civière. Automatiquement, j'ai sauté, prêt à revenir. C'était impossible de quitter ce match, juste pour un coup.
FMB : Et puis un ex de Tottenham ne pouvait pas renoncer contre Arsenal !
(Rires) C'était le scenario parfait : un ancien des Spurs qui inscrit le but de la victoire contre le rival historique, avec tout ce que représentent Tottenham et Arsenal dans le Nord de Londres. J'ai pu rendre heureux des supporters de deux clubs à la fois ! C'est une belle anecdote et les supporters de Tottenham se souviennent encore de mon but marqué à la dernière seconde à David Seaman depuis la moitié du terrain.
FMB : Lors de la finale, Juan Esnaider ouvre la marque avec un enroulé parfait qui épouse le filet... et puis il y a sa célébration icônique qu'il a un peu regretté a posteriori.
Il s'en est expliqué. Je l'adore, il a un immense coeur et un caractère très fort qui a pu lui causer quelques problèmes dans sa carrière. Mais je le prends toujours dans mon équipe. Quand tu voyais Juan courir, presser, tu ne pouvais pas l'arrêter, il se tuait à chaque match pour l'équipe aussi bien défensivement qu'offensivement. Il avait une qualité supérieure, il pouvait jouer des deux pieds. Il a marqué ce but extraordinaire en finale. Il a dit avoir été un peu égoïste dans sa célébration, mais c'était son moment à lui et c'était tout à fait compréhensible. Il nous a tous tirés vers le haut tout au long de la campagne, en marquant de nombreuses fois. C'était un joueur différent et c'est pour ça qu'il a joué au Real Madrid, à l'Atlético, à la Juventus, avec l'Argentine. On parle de l'un des meilleurs buteurs de l'époque et il a même avoué que c'est avec Saragosse qu'il a passé ses meilleures années.
DO : Un joueur majeur de la victoire en Coupe des Coupes est Miguel Pardeza, membre de la Quinta del Buitre du Real Madrid. Il est aussi devenu un mythe du Zaragozismo ?
Michael comme je l'appelle fait partie des joueurs dont on ne sait pas quel pied était le meilleur. Il frappait aussi bien du droit que du gauche. On a quasiment le même âge donc on s'est souvent croisé lors des matches de jeunes, moi avec le Barça lui avec le Real Madrid. On voyait déjà ce qu'il deviendrait : un joueur électrique, un dribbleur difficile à arrêter, avec une frappe lourde des deux pieds. Je me souviens de sa frappe du gauche contre Feyenoord qui nous permet de faire sauter le verrou, avec un contrôle parfait, épuré. C'est très difficile d'allier vitesse et précision et Miguel était brillant.
FMB : C'est la question qu'on a dû vous poser des milliers de fois mais on ne peut pas résister : pouvez-vous nous raconter votre but ? Les mots "génie" et "génial" sont souvent galvaudés mais, en l'espèce, votre lob est véritablement génial, par le geste, la distance, le momentum et l'adversaire.
Je pourrais vous l'expliquer en long en large et en travers mais c'est un geste instinctif qui surgit sans y penser. Je suis en position pour transmettre le ballon à Miguel Pardeza ou Juan Esnáider mais j'ai l'intuition qu'ils pourraient être hors-jeu. Et au même instant, j'ai vu que le gardien était avancé. Je me suis dit que c'était pour moi et j'ai tenté. Sur mille tentatives, tu la réussis une seule fois et c'est arrivé au meilleur moment, à dix secondes de la fin de la prolongation en finale de Coupe d'Europe. C'est sorti de manière naturelle. J'en avais déjà marqué en catégories inférieures, de la même manière instinctive. Tu n'as pas le temps de penser, juste celui pour exécuter le geste. Quand j'en parle aux joueurs de chez moi, à Ceuta, je leur dis qu'il faut toujours essayer. C'est marrant parce qu'on dit "un lob à la Nayim". C'est beau de rester dans les mémoires.
DO : Comment analysez-vous la situation du club aujourd'hui, après tant d'années compliquées sans revenir en Liga ?
Ce sont des années très dures. On a recruté de bons joueurs mais, une fois qu'ils ont enfilé le maillot de Saragosse, ils n'ont plus eu le même rendement. Cela dit, il y a toujours de l'espoir car les nouveaux dirigeants ont l'air disposé à remettre le club là où il mérite d'être, c'est à dire en Liga. Mais ce n'est pas simple car la Segunda est un championnat très difficile, avec de gros clubs, des budgets importants. Il faut se battre et je ne pensais pas qu'on en serait à lutter pour le maintien comme c'est le cas depuis plusieurs saisons. Il faudrait pouvoir changer la dynamique et j'ai la sensation que la direction veut s'en donner les moyens.
FMB : En dépit des résultats, les supporters sont toujours présents. Dans d'autres clubs, ils auraient déserté le stade.
C'est le principal patrimoine du club, sans nul doute. L'afición est tellement loyale. Il y a plus de 20000 abonnés et la Romareda fait le plein quasiment à chaque fois. Quand le public encourage, agite les écharpes, c'est merveilleux ! J'espère que ça ne submerge pas les joueurs. Avant, les supporters étaient très, très exigeants. Aujourd'hui, ils le sont un peu moins mais ils le restent car les Zaragozistas encouragent jusqu'au bout.
DO : La Romareda est en reconstruction et devrait accueillir des matches du Mondial 2030. Quelle influence cela peut avoir sur le club et la ville ?
Très positif, en tous cas je l'espère. Au niveau logistique, Saragosse est idéal pour les infrastructures, les télévisions, les axes de communication, les supporters. Sans le moindre doute, la Romareda doit accueillir la Coupe du monde. Ce sera un grand moment, d'autant que beaucoup de monde viendra découvrir cette ville magnifique qu'est Saragosse.
DO : Ce nouveau stade contribuera-t-il au retour du club en Liga ? La Romareda est mythique mais un peu antique.
Ce sera un stade spectaculaire mais on ne sait jamais si cela suffira car c'est le terrain qui parle. Les tribunes appuient l'équipe mais ce qu'il faut avant tout, ce sont des joueurs capables de faire monter le club, avec ce saut qualitatif nécessaire pour lutter avec les meilleurs. À l'heure actuelle, de nombreux clubs veulent transformer leurs stades pour qu'ils soient meilleurs et Saragosse fait partie de ce mouvement.
FMB : Comment analysez-vous la venue de Gabi Fernández sur le banc ?
Déjà, il faut le remercier de venir aider une équipe aussi mal au point. Ça démontre son amour du club (il a porté le maillot de Saragosse de 2007 à 2011, ndlr), il a beaucoup donné quand il portait ce maillot. J'ai la chance de le connaître comme joueur mais aussi comme personne. Il était humble, travailleur et il veut gagner. Il faut que les joueurs entendent son message et se donnent à 100%. Gabi a joué au plus haut niveau, il a toujours été compétitif et les joueurs doivent suivre cet exemple de professionnalisme, de devoir, de sacrifice. Il faudra tout donner jusqu'à la fin de saison. La situation est délicate, c'est en ce moment que les hommes sont plus importants que les noms, qu'il faut mouiller le maillot. Gabi le transmet mais c'est toujours le terrain qui parle.

DO : Vous avez été formé à la Masia et vous avez débuté au Barça sous les ordres de Terry Venables. Quels souvenirs en gardez-vous ?
J'ai beaucoup appris à la Masía, comme joueur et comme personne. J'y ai appris comment me comporter, avec des valeurs, par le jeu mais aussi par la vie de groupe avec mes coéquipiers. Ce fut une très belle époque mais, malheureusement, je me suis gravement blessé au genou et j'ai mis 9 mois à revenir. Cela a coupé ma trajectoire au Barça et je n'ai pas pu rester. Ça reste une épine dans ma carrière professionnelle mais j'ai eu la chance d'avoir Terry Venables comme entraîneur, celui qui m'a permis ensuite de jouer à Tottenham, un club important en Angleterre. J'ai fait une carrière plus qu'acceptable.
FMB : Comment avez-vous vécu cette finale de la Copa del Rey (FC Barcelone - Real Madrid, 3-2 a.p.), notamment avec des jeunes joueurs qui impressionnent par leur maturité ?
Avec la conjoncture économique du Barça, le club a misé sur ces jeunes qui ont pu en profiter incroyablement. C'est fou de voir ces gamins se battre avec un tel professionnalisme, une telle maturité, cette énergie extraordinaire et en jouant aussi bien. Quand on est passé par la Masía, bien traiter le ballon fait partie de votre ADN. Et puis il y a eu des entraîneurs qui leur ont permis de donner le meilleur d'eux-mêmes et cela porte ses fruits. La finale était difficile mais ils se sont battus jusqu'au bout. Cette équipe si jeune et si mature pourtant montre qu'il faut y croire.
DO : Vous avez été un pionnier espagnol dans le football anglais, vous avez ouvert la porte au moment de l'arrêt Bosman ?
Tout à fait, j'ai été le tout premier Espagnol à évoluer en Angleterre. À l'époque, seuls trois étrangers pouvaient jouer dans une équipe. À Tottenham, il y avait le gardien norvégien Erik Thorstvedt et l'Islandais Gudni Bergsson. Ce fut une très belle époque pour moi car j'ai pu jouer contre les meilleurs, dans une équipe avec beaucoup d'histoire. Je recommande à chaque joueur de vivre le football en Angleterre. Ensuite, les succès de la Selección ont aidé pour valoriser les joueurs espagnols mais, comme me l'a récemment dit Fernando Hierro (qui a évolué à Bolton, ndlr), c'est aussi parce qu'avant, nous avions aussi montré que nous avions le niveau. Le joueur espagnol est très complet tactiquement et techniquement et c'est pour cela qu'il sait s'exporter.
FMB : À votre époque, les coups des défenseurs étaient beaucoup plus durs et les pelouses moins bonnes, ce qui faisait sortir du lot les meilleurs. Comment voyez-vous l'évolution du jeu et des compositions d'équipes car, quand vous avez affronté Feyenoord et Chelsea, c'était digne d'une équipe nationale complète.
L'arrêt Bosman, les sélections, l'argent, l'UEFA, la FIFA, la science, la préparation physique, l'alimentation, la méthodologie, les pelouses : tout a changé. Avant, tu devais d'adapter à des terrains soit boueux soit très secs. Mais pour un professionnel, les excuses ne valent rien parce que ça vaut pour les deux équipes. À mon époque, on devait nous adapter aux circonstances, y compris avec les évolutions du jeu et de la préparation, pour dominer le ballon. Aujourd'hui, les performances physiques sont nettement au-dessus, les équipes tiennent un rythme beaucoup plus élevé.
DO : Vous avez été international U21 avec l'Espagne et vous faisiez partie des joueurs les plus populaires du pays notamment grâce à votre victoire en Coupe des Coupes. Javier Clemente, le sélectionneur de l'époque, était venu vous voir jouer avec Tottenham mais il ne vous a jamais appelé. Comment l'avez-vous vécu ?
Je ne savais pas qu'il était venu. En plus, c'était un match à la maison contre Chelsea, on avait perdu et je n'avais pas bien joué. Le football anglais de l'époque était très robuste et j'étais un joueur différent ce que Javier utilisait avec la sélection. Il avait une idée claire du jeu qu'il voulait et c'est tout à fait respectable. Je n'ai pas eu la chance de jouer d'Euro ou de Mondial, ni même jouer un match, ce qui me reste toujours en travers de la gorge. C'est le football, il y a des circonstances, un sélectionneur qui préférait les joueurs grands et physiques.
FMB : Les bajitos n'étaient pas encore à la mode. Pensez-vous que dix ans plus tard, vous auriez été appelé ?
Absolument, avant c'était la Furia. Puis Luis Aragonés est arrivé et les bajitos avec lui. Dès lors, l'idée a été d'avoir le ballon et de bien le traiter. Andrés Iniesta, Xavi Hernández, Juan Mata, David Silva, Santi Cazorla entre autres ont fait le spectacle avec un grand football et en gagnant. Cette volonté a porté ses fruits et on a vu que nous les bajitos n'étions pas de si mauvais joueurs que ça. C'est le ballon qui dirige et les bajitos l'ont prouvé.
DO : À Tottenham, vous avez côtoyé deux immenses joueurs anglais : Gary Lineker et Paul Gascoigne. Deux personnalités différentes, à tous les niveaux. Comment se passait la cohabitation ?
Ils avaient deux personnalités aux antipodes. Gary était sérieux, très correcte à tous les niveaux alors que Paul adorait faire des blagues, toujours joyeux. Pour un milieu de terrain, avoir Gary devant toi, c'était du bonheur parce qu'il savait toujours se démarquer intelligemment. Paul faisait partie des trois meilleurs joueurs du monde quand j'étais à Tottenham, et peut-être même le meilleur. Il nous a portés en finale de FA Cup à lui tout seul. Tu t'adaptes à chacun de tes coéquipiers, avec la bonne humeur de Paul et le professionnalisme de Gary. Et je n'oublie pas Chris Waddle, avec qui j'ai joué une saison et pour qui je n'ai que des compliments. Il était magique, un pied gauche diabolique. Il avait marqué quelques buts exceptionnels, des coups francs et il avait aussi cette manière de dribbler ses adversaires. Il était très travailleur, très professionnel et il mettait une ambiance formidable. Pour moi, il a été l'un des plus grands joueurs anglais de l'Histoire. J'ai eu de la chance d'évoluer avec de tels joueurs d'amplitude mondiale.
DO : Vous avez côtoyé Gustavo Poyet à Tottenham et à Saragosse. Il a entraîné plusieurs clubs dont le Betis et Bordeaux, il a aussi été sélectionneur de Grèce. Vous vous attendiez à ce qu'il devienne coach ?
Comme joueur, la carrière de Gustavo parle pour lui, en club comme avec l'Uruguay. Je connais aussi la personne et il est incroyable. On n'imagine pas à quel point il a pu être important dans le vestiaire. Il est toujours là pour encourager, pour nous appuyer par son caractère et ses buts. À l'époque, il n'y a pas tant de milieux capables de marquer autant, avec cette qualité de frappe. C'était logique de le voir entraîneur car le football était vraiment sa passion. Il était comme Esnaider dans sa façon d'agir. Gustavo a beaucoup de connaissances, j'espère le voir un jour sur le banc de Saragosse.
DO : Vous avez achevé votre carrière avec le Logroñés, un club historique du football traditionnel espagnol, avec son stade de Las Gaunas, la figure de Tato Abadía. C'est une image nostalgique des années 90.
C'est un club historique, qui a disputé l'Europe, avec un grand pedigree. Je me souviens des multiplex à la radio et qu'on entendait "but à Las Gaunas !". C'est emblématique de cette époque. Logroño est une ville magnifique, avec de grands supporters. Víctor Muñoz m'a fait venir, avec un projet pour remonter en deuxième division. J'y ai joué deux ans mais j'ai dû arrêter à cause de mon genou.
FMB : À présent, il y a deux clubs à Logroño après la disparition du Logroñés ?
Logroño est une ville qui aime le football et quand un club aussi important disparaît, des supporters ont voulu créer un nouveau club pour que ce lien ne se perde pas. Maintenant, il y a deux clubs qui évoluent au même niveau. Ce n'est pas facile car, avant, l'afición était unique et désormais elle est coupée en deux. Il s'est passé la même chose à Salamanque. Je ne crois pas que cela soit positif car ce serait mieux d'avoir un bloc de supporters unique.
FMB : La dernière génération de Saragosse à avoir soulevé un trophée est celle emmenée par David Villa. Elle avait aussi beaucoup de talents.
Quand on analyse bien, on se rend compte que Saragosse a toujours eu de grandes équipes et que de nombreux très grands joueurs sont passés par le club : David Villa, Jorge Valdano, les frères Gabriel et Diego Milito, Fernando Morientes et j'en passe. Depuis cette victoire en Copa del Rey en 2005, les circonstances ont fait que les temps sont devenus difficiles mais je n'ai aucun doute qu'avant de passer sur l'autre berge, je reverrai Saragosse en Liga.
FMB : Il y a des clubs où, quand on y réussit, on est certain de pouvoir aller plus haut. C'est le cas de Saragosse ?
Absolument. Jouer à Saragosse, c'est l'un des meilleurs tremplins, d'abord pour la qualité du club mais aussi pour ses supporters, pour l'histoire. Regardez Morientes qui a joué au Real Madrid comme Esnáider, Villa au Barça. Quand tu joues bien à Saragosse, une équipe offensive, ça attire les très grands clubs.
DO : Saragosse se souvient avec toujours autant de ferveur de cette victoire en Coupe des Coupes, encore plus depuis que le club est tombé en deuxième division ?
Chacun d'entre nous sommes reconnus dans la rue car nous avons fait quelque chose d'important pour le club, les supporters et la ville. Rendre les gens heureux était ma manière de jouer. On voulait gagner et bien jouer et c'est vrai que notre équipe jouait très bien au ballon. Quand on est à Saragosse, on reçoit toujours autant de marques d'affection parce qu'on était une équipe offensive, qui voulait toujours attaquer à la maison comme à l'extérieur, et qui était belle à voir.
FMB : Vous avez même une rue à votre nom !
C'est incroyable non ? (Rires). Avoir de son vivant une rue à son nom dans une si grande ville, c'est presque incompréhensible. Ça montre l'importance de que nous avons réalisé. C'est moi qui ai marqué, certes, mais j'ai toujours dit que c'était la coupe de tout le monde, des joueurs, du club, des supporters et de tout Saragosse.