Plus

Interview Flashscore - Nadjib Mohammedi : "Il faut être acteur de son projet"

Nadjib Mohammedi
Nadjib Mohammedi AFP / Flashscore

Figure incontournable de la boxe tricolore, Nadjib Mohammedi vient de fêter ses 40 ans ce mercredi et fourmille de projet. Boxeur toujours en activité, il est également coach et promoteur via sa société Iron Djib. Alors que son deuxième gala à Aix-en-Provence est prévu pour le mois de mai, le mi-lourd aux 18 ceintures s'est longuement confié pour Flashscore, avec sincérité et honnêteté.

Flashscore : Boxeur, entraîneur et promoteur, vos journées sont chargées !

Nadjib Mohammedi : oui, c'est pas mal, surtout qu'on est en train de préparer notre prochain gala. Ce sera à nouveau au Pasino d'Aix-en-Provence. Sans ce genre de partenaires, on ne pourrait pas y arriver. C'est un cadre prestigieux, ça peut sembler petit mais c'est chaleureux, les spectateurs peuvent vraiment ressentir l'effervescence des combats. Il y a 800 places assises en tribunes et entre 200 et 300 places en bord de ring avec des tables. 

Pour votre premier gala en décembre dernier, vous avez eu Sandy Messaoud qui a ensuite disputé un championnat d'Europe, Emma Gongora qui est nº1 à la WBA chez les plimes et Souleimane Mohammedi-Sofiane Khati en main event : une sacrée carte pour commencer !

C'est une soirée qui n'a jamais été faite en France, avec 3 fédérations représentées, qui plus est avec deux combats franco-français. Ce n'était pas évident mais on veut faire des galas de la même qualité et de la même ampleur. 

Qu'est-ce que cela implique d'être promoteur ?

On passe un peu de l'autre côté et on comprend certaines choses. Je suis un boxeur avec un parcours très atypique, je me suis souvent entraîné seul, je suis parti à l'étranger régulièrement pour faire du sparring. J'ai beaucoup appris sur le métier. Comme je suis un garçon pas trop bête, j'ai vite compris comment pouvait s'organiser le boxing business. Il faut ensuite jouer avec les règles du jeu pour savoir se positionner. Plusieurs fois dans ma carrière, on m'a vu ressortir de nulle part pour un combat avec une grosse ceinture en jeu. Ça fait partie de la particularité de ce sport : vraiment connaître ce business est primordial. 

Votre expérience à l'étranger vous apporte la légitimité et le respect ?

Au-delà de ça, je parlerais de crédibilité. Quand on a affaire à un gars comme moi, on ne peut pas lui faire à l'envers et le piéger. Je connais tous les rouages. C'est aussi pour ça que je n'ai pas beaucoup travaillé avec des promoteurs français : ils ne pouvaient pas m'arnaquer. Ça ne m'a jamais dérangé de partir car un boxeur qui devient champion à l'étranger devient respecté dans son propre pays. Quand on devient champion chez nous, on dit que ça a été fabriqué. À l'extérieur, on n'a pas le choix et on a donc plus de mérite. 

Mohamed Mimoune, Nordine Oubaali ou encore Sofiane Khati nous ont raconté leurs expériences à l'étranger et sur le fait d'être plus reconnu hors des frontières françaises. Cette considération est unanime.

On est beaucoup plus respecté. Par exemple, quand j'ai boxé au Kosovo, j'avais une sécurité, les télévisions et les photographes étaient là. Ma femme, qui est mon binôme dans l'organisation et dans la vie, en était surprise. Même aux États-Unis, je n'avais pas été reçu comme ça ! En France, on nous regarde de haut en bas et c'est dommage car on a de belles choses à offrir et à apporter. On veut donner une nouvelle image de notre sport et de ce business avec cette casquette de promoteur. 

Sur l'importance de la gestion de ses investissements
Sur l'importance de la gestion de ses investissementsAFP / Stats Perform

C'est une remarque récurrente, ce manque de reconnaissance en France malgré les résultats.

Malheureusement, c'est ça. Mais il y a des raisons institutionnelles. On va d'abord mettre en avant la boxe olympique mais, sans boxe professionnelle, il n'y aurait pas de jeunes qui voudraient commencer. La première image, la vitrine, c'est la boxe professionnelle. Aujourd'hui, quand on regarde les listes de sportifs de haut niveau, si tu n'es pas en Équipe de France en amateur, tu n'es pas considéré comme athlète de haut niveau, même si tu es possesseur des 4 ceintures unifiées ! C'est aberrant ! Un boxeur de 16-17-18 ans qui a fait quelques tournois internationaux a droit à de l'argent, du respect, de la crédibilité, des facilités avec les mairies. Je ne comprends pas. J'ai toujours dérangé dans ce métier parce que je dis les choses, dans le respect, et on sait que je ne mens pas, je ne suis pas un tricheur. 

Pendant la campagne pour la présidence de la Fédération, on a senti que de nombreux acteurs de la boxe professionnelle penchaient en faveur d'Estelle Mossely et que Dominique Nato l'a pris en considération.

Sans taper sur la FFB, ce n'est pas le premier souhait de l'instance car elle doit des comptes au ministère des Sports. Je vais prendre l'exemple d'une boxeuse que j'ai entraîné. Elle était en Équipe de France depuis 7 ans et avait gagné un championnat de France en cadets. J'ai mis des choses en place mais, quand on n'est pas de la FFB, on n'a pas accès à certains aspects. Je me suis servi de ce qui était prôné, c'est-à-dire mettre en lien les entraîneurs de clubs et les entraîneurs fédéraux. J'ai demandé à être présent aux entraînements et pendant les tournois mais en ne m'occupant que de mon athlète. On m'a dit qu'il n'y avait pas de souci. Elle a remporté 4 médailles et est devenue vice-championne du monde avec un suivi un peu plus poussé et individuel qu'au sein de l'équipe. Avec toutes les installations disponibles possibles, elle n'arrivait pas à progresser. Ça démontre un manque de savoir-faire. Et j'ai été écarté ! Attention, je m'entends très bien avec Dominique Nato, il nous a aidés pour l'organisation du premier gala. En revanche, je ne demande pas d'argent. Je ne travaille qu'avec des partenaires privés, sans subventions publiques. C'est ce qui se fait à l'étranger. 

C'est aussi en réfléchissant ainsi que vous espérez attirer les diffuseurs ? 

C'est possible et c'est comme ça qu'on travaille. Le premier gala a été diffusé par Fight Nation qui sera aussi là pour le deuxième, avec l'apport peut-être de TV Monaco qui est disponible sur toutes les box. Lors du premier gala, on n'a pas fait payer le PPV aux spectateurs, c'est nous qui avons versé le droit à l'image parce qu'on voulait que les gens puissent voir la réunion. Pour être tout à fait transparent, on était en contact avec RMC et DAZN. Mais c'était respectivement 30.000 et 26.000€ de frais de production. On a validé les montants mais on nous a finalement dit que la carte n'était pas si exceptionnelle que ça ! Même les frères Acariès ne sont pas parvenus à avoir 3 fédérations sur le même gala ! Il faut réaliser ce que ça coûte en termes d'argent : il faut payer les boxeurs, les officiels, les chambres, les transports, la nourriture, les impôts. 

En début de semaine, Johann Duhaupas et Cédric Vitu ont expliqué sur Punchtime leurs mésaventures financières. Ce ne sont pas des cas particuliers ? 

Les torts sont partagés. J'ai toujours veillé et contrôlé ça. C'est mon business, c'est moi qui prends les coups, qui paye mes coaches. Le problème en France, et c'est une réalité, c'est au niveau des entraîneurs. Un entraîneur doit mettre ses athlètes en lumière. Quand il combat, le boxeur doit avoir son nom à lui, pas celui de son coach ou de son club. Car si lui sort, le coach sortira aussi. Il faut arrêter avec la confiance aveugle. C'est du business. Chacun pense à soi. Il faut tout verrouiller, quadriller et être acteur de son projet. C'est triste parce que ça tombe sur de gentilles personnes qui se retrouvent prises à la gorge. Si Johann boxait encore, je l'aurais fait combattre et payé tout de suite.

Dans de nombreux pays, c'est l'entraîneur qui s'adapte au boxeur et en France, on dirait que c'est l'inverse ?

C'est comme ça partout dans le monde sauf en France ! Tous les entraîneurs sont payés et plus tu progresses plus ils sont payés parce qu'après tu défiscalises, tu crées un business. Si les boxeurs aux États-Unis montent leur propre société de promotion, c'est par rapport aux impôts. C'est le système et il faut savoir jouer avec. Et quand on paye les gens, au moins on ne leur doit plus rien. 

Maxime Beaussire a organisé des galas où il était aussi à l'affiche. C'est envisageable de tout mener de front ? 

Pour le premier gala, j'ai pensé boxer mais je me suis dit que je ne pouvais pas laisser ma femme tout gérer. Mon cerveau n'allait pas être là, parce que je n'aime pas trop laisser le contrôle aux autres. Je ne sais pas si je boxerai dans mes propres galas. J'ai 40 ans, ça avance, il faut être conscient d'où en est, il me reste deux ou trois opportunités et après ça, je tire ma révérence. 

Y a-t-il une crainte de la petite mort, même en étant entraîneur et promoteur ? 

Pour l'instant, je n'y suis pas encore. Et puis quand on s'occupe beaucoup, on y pense moins. Je reste actif dans ce domaine, je mets les gants avec mes boxeurs, par besoin et aussi par envie de me défouler. Je n'est pas beaucoup de boxeurs mais je ne veux que de la qualité. Je les entraîne comme s'ils faisaient un championnat du monde, qu'ils soient pro ou amateurs. 

Vous avez parlé de votre travail de sparring à l'étranger : est-ce qu'il y a un manque de business à ce niveau-là en France ?

Totalement. En France, on ne paye pas les sparrings, on se rend service. Mais des boxeurs français avec un peu de moyens, ils font venir des sparrings étrangers... qu'ils payent. Ce n'est pas juste, ils prennent les mêmes taquets ! Et en plus, on a un bon vivier.

Sur le besoin de proposer des combats d'envergure
Sur le besoin de proposer des combats d'envergureAFP / Stats Perform

Vous êtes l'entraîneur de Souleimane Mohammedi et vous n'êtes pas de la même famille ! 

On m'a souvent posé la question, surtout que nos noms ont la même orthographe, mais non (sourire). Son père l'a entraîné au début de sa carrière, il est toujours là mais j'ai pris le relais pour apporter mon expérience, ma vision et de ma jeunesse pour l'aider à évoluer. Il a commencé à l'étranger car il est né en Angleterre. Il a vite évolué, il a pris deux titres mondiaux WBC, il a remporté la ceinture IBF International et il vient d'être pris au Boxing Grand Prix organisée par Riyadh Season. C'est le plus gros tournoi du monde (un total de 128 boxeurs répartis dans 4 catégories de poids, ndlr). On a déjà 5 combats programmés d'avril à décembre cette année, c'est le timing idéal. 

Le Riyadh Season est devenu un objectif pour de nombreux jeunes boxeurs.

L'argent c'est important mais il faut d'abord penser aux résultats. Le reste viendra ensuite. Tant que tu n'as rien, tu ne peux pas prétendre à quoi que ce soit. Je comprends qu'on ait envie de strass et de paillettes. Mais même si c'est le nouveau Las Vegas, ils ne vont pas donner de l'argent à n'importe qui. Il faut assurer derrière, sachant qu'il y a Eddie Hearn et Bob Arum pas loin, sans oublier Dana White qui arrive dans l'anglaise. Si tu veux qu'on te rappelle, il faut assurer parce qu'on te donne une chance, pas deux. 

Dans nos colonnes, Sofiane Khati a sollicité une revanche contre Souleimane : c'est réalisable à horizon 2026 ?

Pour le moment, il y a le Boxing Grand Prix. Comme je dis toujours : si tout se passe bien, les gens se retrouvent plus haut. S'il y a un intérêt pour l'un et pour l'autre pourquoi pas ? C'est vrai que Souleimane était un peu bridé, il avait un peu sur-estimé l'adversaire, avec tout le respect que j'ai pour Sofiane qui, à ce moment-là, avait le niveau national. Mais ce qu'il y a de bien, c'est que ceux qui ont boxé au premier gala le 7 décembre ont tous eu de grosses opportunités de suite derrière. Je veux qu'il y ait de la qualité, que les gens ne sachent pas à l'avance qui va gagner. Je n'invite personne, je ne peux pas me le permettre. Ceux qui viennent sont passionnés et payent. Il faut arrêter de travailler à l'ancienne avec des formats qui ne fonctionnent pas. 

Bakary Samaké va boxer avant le concert de Gazo, ça peut être une solution ?

C'est de la hype mais comment cela sera-t-il organisé ? Où sera le ring ? Où sera le public ? Est-ce que les gens seront patients parce que voir un concert et voir un combat, ce n'est pas la même chose. C'est un pari risqué.