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Interview Flashscore - Jaouad Belmehdi : "Je n'aime pas les combats faciles"

Jaouad Belmehdi après un combat.
Jaouad Belmehdi après un combat.@jaouad_belmehdi / Flashscore

Le 15 août prochain, Jaouad Belmehdi affrontera Can Xu à Pékin pour la ceinture IBO International des super-plumes. Pour le Bitérrois qui s'est notamment préparé avec Sofiane Oumiha, c'est le moment pour signer une grande surprise et progresser dans les classements mondiaux. Pour Flashscore, il a évoqué cette belle échéance mais aussi son unique défaite qui s'est avérée être sa plus grande victoire.

Flashscore : Le 15 août prochain, vous affrontez Can Xu à Pékin pour une ceinture IBO International des super-plumes. À trois semaines de l'échéance, quelles sont vos sensations ? 

Jaouad Belmehdi : C'est un défi, un challenge mais aussi un plaisir. J'ai une envie énorme de performer contre un boxeur qui a été champion du monde WBA de 2019 à 2021. C'est un sacré client. C'est la plus grosse étape de ma carrière, il est devant moi dans tous les classements et je suis très heureux de l'affronter. 

On sait à quel point il est difficile de gagner à l'étranger. Le moyen le plus sûr reste le KO !

C'est sûr (rires). Mais je ne me focalise pas là-dessus. J'ai une boxe très offensive, en principe, il en faut pour me la faire à l'envers mais ça m'est arrivé. J'ai demandé des indications sur la mentalité chinoise, c'est un pays très attaché à l'honneur. J'y vais confiant, pour donner le meilleur de moi-même. À l'extérieur, c'est toujours plus difficile. Quand j'ai battu Alfred Lamptey (le 2 mars 2024 à Abu Dhabi, ndlr), j'étais vraiment au-dessus, il aurait pu être compté mais je gagne seulement par décision partagée. C'est le genre de combat qui me stimule, ça me motive pour m'entraîner. Je n'aime pas les combats faciles. Avant de prouver aux autres, je veux d'abord me prouver à moi-même. Être fier de moi, ça me suffit, sans vouloir être narcissique (sourire). Alors quand on m'a proposé Can Xu, j'ai accepté, sans même regarder la bourse ou le lieu. Et là, je suis comme un enfant la veille de Noël qui attend ses cadeaux. 

Vous vous entraînez au club Marcel-Cerdan de Béziers, Lenny Patrach nous en a dit le plus grand bien. 

Dans le Sud, il y a beaucoup de bons petits clubs. Sans faire de classement, il y a avant tout des clubs qui sont sérieux. En fonction des clubs, il y a des méthodes de travail différentes. Cette rigueur, cette hygiène de vie doit primer et Rudy Ruiz est un entraîneur du feu de Dieu. Dans notre région, il n'y a pas des clubs de l'envergure de Toulouse par exemple. Béziers, c'est sérieux, on n'est pas les plus forts mais on a cette envie de bien faire, cette gnaque. 

Les surnoms sont souvent révélateurs de la personnalité d'un boxeur : vous êtes au club Marcel Cerdan et on vous appelle Le Bombardier Marocain. Il ne faut pas avoir peur !

Au début, c'est parti d'une blague. Je suis d'origine marocaine et mon coach a commencé par m'appeler comme ça. Évidemment, ça fait plaisir mais on ne prend pas ça au sérieux. Au départ, je n'étais pas promis à une belle carrière de boxeur. Je n'avais pas confiance en moi, je perdais souvent en amateur, je n'étais pas sérieux. Mon coach y a cru pour moi et il m'a surnommé comme ça pour me transmettre sa confiance. Je suis passé pro, j'ai fait quelques combats, je suis entré dans le moule. 

Certains boxeurs ont de meilleurs résultats chez les pros car le style leur convient mieux qu'en amateur. 

Mon combat référence, c'est contre Habib Bennama, le fils de Mohammed et donc le frère de Billal qui a été vice-champion olympique. On se boxe depuis qu'on est minots et il m'a toujours battu, en éducative comme en amateur, peut-être 5 ou 6 fois. Et en pro, je le bats par KO. Mais c'est vrai qu'entre temps, je suis devenu plus mature, plus sérieux. On ne m'a jamais poussé pour faire de la boxe. J'allais à la salle seul, je faisais mon truc dans mon coin, je ne savais pas vraiment m'entraîner. 

C'est votre mère qui vous a dit de vous inscrire à la boxe. C'est plutôt rare, d'habitude, les mamans freinent parce qu'elles ont peur. 

Elle ne voulait pas au début mais elle a voulu me faire plaisir. En fait, mon père est décédé quand j'avais 9-10 ans et c'était la période où elle acceptait un peu tout ce qu'on lui demandait avec mes frères. Moi qui n'ai aucune mémoire, je m'en souviens comme si c'était hier (sourire). Elle m'amène à la salle : j'étais trop jeune pour le pieds-poings, mais pas pour la boxe anglaise. J'y suis allé et je ne suis plus jamais sorti (rires). 

Une défaite qui a tout changé
Une défaite qui a tout changéInstagram J.Belmehdi - Stats Perform

Vous êtes devenu champion de France des légers il y a 4 ans avec un KO dès la 1re reprise. Vous l'avez défendu victorieusement contre Sylvain Chapelle, un adversaire qui ne paye pas de mine (17-27-2 au moment du combat, 19-37-3 aujourd'hui)  mais qui n'a jamais fini KO et qui pousse toujours à la décision des juges. Ces deux combats vous ont fait passer un cap mental ?

Je suis très dur avec moi-même et Sylvain Chapelle, j'aurais bien voulu le mettre KO mais je n'ai pas réussi. J'ai beaucoup de respect pour lui. Il a de la bouteille, il a fait beaucoup de combats. J'étais heureux de l'affronter mais je reste très critique de ma performance. Je suis rarement content de mes combats, je suis un insatisfait. Mais avoir été sacré champion de France en 30 secondes contre Sabri Sediri, là oui, j'étais content de moi, surtout qu'on me donnait perdant. 

On dit souvent que les défaites font plus apprendre que les victoires, même si c'est toujours relatif. Mais pour vous, votre revers à la Wembley Arena contre Gary Cully a-t-il changé votre carrière ?

Ça a été un déclic. J'étais encore très jeune. La boxe, c'est bien mais passer du bon temps avec ses amis, c'est mieux. J'habite à Béziers, l'été il fait beau... Ce combat m'a changé la vie. Il m'a rendu exigeant, travailleur... J'avais toujours bossé à moitié, sans jamais vraiment aimer ce que je faisais. Maintenant, j'aime la boxe, j'aime ce que je fais. Cette défaite m'a dit : "qu'est-ce que tu veux faire de ta vie ?". On m'a appelé un mois avant, en plein été. Je faisais la fête mais j'ai accepté. Je me suis entraîné à fond mais 4 semaines quand tu ne t'es pas entretenu pendant des mois... J'y suis allé confiant, même si la préparation n'était pas bonne, avec de mauvaises mises de gants. Quand je m'entraîne, je bosse mais ce sont les périodes hors préparation qui me faisaient mal. Dans ma tête, je monte dans le ring pour l'éclater... Sauf qu'il m'attrape et me fait tourner la tête. J'aurais pu y retourner mais c'est peut-être moi qui me trompe dans ma perception. Ça a été une désillusion totale, je ne pensais pas tomber au 1er round. Ce n'était pas possible ! Je n'avais jamais été envoyé au tapis de toute ma vie ! Je revois le coup, il a touché l'interrupteur, la lumière s'est coupée. Ça m'a mis les pieds sur terre : tu veux faire quoi ? Être boxeur ? Trouver un travail à Béziers pour faire ma vie de jeune ? Je l'ai vécu comme un ultimatum. Depuis cette remise en question, j'ai trouvé ma routine, j'ai une vraie hygiène de vie, je n'ai plus touché à ce qu'il ne fallait pas toucher, je me suis marié. Je pense que cette défaite a fait de moi un meilleur boxeur et une meilleure personne. Je remercie Dieu pour ce KO. J'ai toujours besoin d'une bonne petite chute pour me remettre d'aplomb (rires). La boxe, c'est un choix de vie. 

Parmi vos références, il y a Yvan Mendy. Il a aussi eu une meilleure carrière pro qu'amateur : est-ce que c'est une source d'inspiration ?

Quand tu écoutes les histoires de chacun, tu trouves des points communs. Je connais son histoire, c'est une grande référence, une très grande carrière. On ne se connaît pas personnellement mais il a l'air d'être une personne formidable, avec des grandes valeurs humaines. Quand tu vois de tels boxeurs, tu ne peux qu'être admiratif. Il donne des cours aux enfants, à des gens en situation de handicap, dans les prisons aussi. La boxe, c'est le partage, c'est que tu apportes à la société. Ça ne meurt jamais. 

Vous avez aussi comme références Jean-Baptiste Mendy et Laurent Boudouani. Vous avez 27 ans mais c'est plutôt rare d'avoir comme modèles des boxeurs des années 80-90. 

À Béziers, on est à l'ancienne. J'ai grandi en écoutant les anciens, mon coach et son père, nous parler des grands champions français. Ça m'a toujours intéressé et quand je suis allé voir le combat... Wow ! Jean-Baptiste Mendy (décédé en 2020, ndlr) était surnommé "Le Diamant" et il était terrible. Il m'a toujours impressionné. Et ne parlons pas de Boudouani ! Mon coach fait partie de ma famille maintenant, on en a fait des repas qui s'allongent à force d'anecdotes (sourire). J'aime bien tout cet historique, les dynasties françaises. Et en plus, c'était un autre monde de boxeurs, les galas sur TF1 avec une ambiance enfumée (rires). C'était une atmosphère, une magie, un autre monde. J'aurais voulu vivre à cette époque. 

Un combat qui pourrait tout changer dans sa carrière
Un combat qui pourrait tout changer dans sa carrièreInstagram J.Belmehdi - Stats Perform

Justement, vous allez vivre une grande soirée à Pékin, avec beaucoup d'attentes de la part des fans. Vous faites de grosses mises de gants dans cette préparation ?

J'ai tourné avec Reda Kham, Sofiane Oumiha, Lucas Migotti. Et ce n'est pas fini ! Je vais faire 12 rounds avec Sofiane la semaine qui arrive. Rien ne doit être mis de côté. 

Vous ne prenez pas les moins bons !

Toujours ! Dans mes préparations, je veux m'entourer des meilleurs. En plus de Sofiane, j'ai mis les gants avec Moussa Gholam, au club de Toulouse il y a de très bons boxeurs. Je ne laisse rien au hasard, comme ça, je n'ai pas de regrets. Je ne veux pas vivre avec des regrets. Can Xu a de la boîte, il est très fort physiquement, c'est sa principale qualité. J'ai confiance en mes capacités et je suis prêt. Ça fait deux mois que j'ai signé le combat, c'est ma 6e semaine d'entraînement. J'ai hâte d'y être parce que j'en ai un peu marre de la préparation (rires). En tout, ça fera 8 semaines de travail. Je vais arriver tôt pour m'adapter au décalage horaire. De ce qu'on m'a traduit, son coach a dit dans la presse chinoise que j'avais été choisi comme un test pour viser un nouveau championnat du monde. C'est gratifiant, surtout qu'il a dit qu'il faisait la meilleure prépa de sa carrière. Je ne sais pas si c'est du bluff mais moi, je ne triche pas. Je suis croyant, la spiritualité m'aide mais je dis pas que Dieu va tout faire pour moi. C'est d'abord à moi de faire les efforts. Et dans le ring, je ne serai pas là pour faire le comique...en tout cas je vais essayer (rires). Plus sérieusement, on parle d'un champion du monde chinois, il n'y en a eu que trois, et il l'a défendu aux États-Unis. 

Vous imaginiez ça il y a encore quelques années ?

Franchement ? Non. Moi, je ne suis pas un vainqueur, je ne pensais pas devenir un boxeur qui enchaîne les victoires. Je suis lucide, parce que je connais le niveau. Les boxeurs qui font de l'egotrip, j'espère qu'ils sont sincères, sinon ils mentent aux autres et à eux-mêmes. Je ne suis pas du tout là-dedans. J'ai tourné avec des mecs vraiment bons, je ne peux pas venir et dire "je suis le meilleur". Je n'ai jamais fait ça et, surtout, je n'en ai aucune envie. Ça ne m'intéresse pas. J'ai toujours cherché plus fort pour progresser, c'est ma manière de fonctionner. C'est pour ça que quand on me propose d'affronter Can Xu, ça me fait rêver.