Flashscore : Jean-Charles avait 3 ans quand Sébastien Flute a remporté l'or à Barcelone, vous aviez 10 ans quand Jean-Charles a été vice-champion olympique à Rio. Vous avez consience qu'à votre tour, vous allez susciter des vocations ?
Baptiste Addis : Ça me fait plaisir de recevoir ce genre de messages mais c'est en même temps bizarre car il n'y a pas si longtemps, j'étais aussi dans l'inconnu, à m'entraîner pour devenir plus fort. Je ne suis pas encore habitué à tout ça.
Le cadre des Invalides a-t-il ajouté de l'engouement ? C'est une image marquantes des JO.
Jean-Charles Valladont : moi qui ai vécu 4 JO et pour en avoir parlé avec beaucoup de monde, ces JO ont été exceptionnels. Des monuments et l'histoire du pays ont pu être mis en avant et ça a été le cas avec nous. Tirer sur l'esplanade des Invalides a été magique, il n'y a pas d'autre mot. Mais au-delà de la magnificience du lieu, il s'agissait pour nous d'un résultat sportif. On s'est focalisé là-dessus et ce n'est qu'après le podium qu'on a pris part à cet émerveillement.
Est-ce que les regards ont changé sur le tir à l'arc, notamment par rapport à la difficulté de votre discipline ?
B.A. : dans la mesure où beaucoup de spectateurs se sont déplacés pour le vivre, ils ont vu déjà la distance que ça représente et la difficulté que cela pouvait représenter. Au-delà de ça, quand ils voient 7000 personnes et nous seuls au milieu sans bruit, ils peuvent se rendre compte de la complexité de faire ce geste, également au niveau mental.
JCV : il y a différentes catégories de pratique. Il y a celle du haut niveau où tous les éléments entre en ligne de compte contre la régularité, le stress, les années d'entraînement pour en arriver là. Et puis il y a le loisir, la compétition départementale, régionale ou nationale qui sont accessibles à tous. Tout dépend de l'investissement qu'on veut mettre. C'est un sport qui sollicite le corps et l'esprit. On manie une arme de jet, qui se pratique individuellement, par équipe mais au tir à l'arc, le premier adversaire, c'est toi même. Ça c'est une grande chance.
Ce rapport à soi-même est-il vecteur de frustration car on dépend d'abord de sa propre performance face à la cible ?
BA : quand tu es dans le sport de haut niveau et que tu veux un podium aux JO, tu veux toujours être le meilleur, physiquement, mentalement. Toujours plus. Tu es dans cette optique là et nos entraîneurs nous ont poussé en ce sens.
JCV : c'est la définition du haut niveau, et il faut être un peu dingue (sourire).
Vous êtes licenciés à Nîmes, une ville très importante pour le tir à l'arc tricolore. En 2003, les Mondiaux avaient eu lieu aux Arènes : c'est important d'avoir des lieux emblématiques pour développer la médiatisation ?
BA : j'ai pu le constater avec des camarades de classe qui, quand ils viennent à Nîmes (il est Gardois de naissance, ndlr), voient à quel point c'est bien scénarisé, avec les jeux de lumière et le monde dans les tribunes. Ça rend la compétition captivante. C'était ça avec les Invalides. On n'avait jamais eu 7000 spectateurs et ça crédibilise le tir à l'arc. C'est beau à regarder, c'est spectaculaire.
Tirer aux Invalides était une motivation avant la compétition ? Jean-Charles, vous aviex disputé trois fois les JO avant et les sites n'étaient pas toujours de cette qualité.
JCV : pour le sportif de haut niveau, l'important reste les JO et la médaille. C'est sûr que l'écrin donne de baume au coeur mais on se prépare pour une compétition, il ne faut pas se perdre. Le lieu, les JO à la maison, le public, la famille dans les tribunes, il faut en faire abstraction et se concentrer sur ce qu'on a à faire. Il ne faut pas oublier que 6 mois avant, il y avait eu des sélections très dures, avec un collectif de 6 archers : après une semaine, deux sont partis. Ça peut être perturbant et il faut le mettre dans l'équation. Il faut se battre pour donner le meilleur de soi.

Vous avez connu d'autre cadres tels que celui-ci ?
JCV : En termes d'enjeu sportif, non. Je reviens aux Mondiaux disputés dans les Arènes de Nîmes. Au football, tu es toujours dans un stade mais un stade vieux de 1500 ans ça n'existe pas ! Au tir à l'arc, on a besoin d'un peu de mise en oeuvre, avec la mise en place des cibles mais on a tiré au Trocadero, sur la Plaza de la Constitución de Mexico, des lieux incroyables pour disputer des finales aux 4 coins du monde. Ce sont des choses sur lesquelles on peut jouer pour la médiatisation.
L'avantage que vous avez sur d'autres disciplines, c'est que tout le monde a joué à Robin des Bois et connaît le geste. Et le voir en vrai est impressionnant.
JCV : aux JO, on a tiré avec des cibles à 70 mètres. Le comparatif, c'est un quai de métro parisien et le centre de la cible, c'est la taille d'un CD-ROM. Baptiste n'était pas né pour savoir ce que c'est (rires).
Comment avez-vous fait votre transition entre des JO la tête dans les nuages et la bascule vers les nouvelles échéances ?
BA : repartir a été simple car je savais que les JO seraient un point de passage, peu importe ce qui s'y passerait. On aurait fait un bilan mais c'était planifié. Une carrière est un ensemble et c'était une étape. Le mois après les Jeux est assez dur car on perd l'objectif et ce pour quoi on s'est levé pendant deux ans. Mon entourage m'a aidé mais aussi le fait d'avoir des objectifs à court, moyen et long termes. J'ai les Mondiaux jeunes cette année, les JO 2028, des points de repères en 2026 et 2027. Après un mois sans tirer, une semaine passée en vacances avec des amis et le cerveau qui procrastine, j'ai retrouvé les cours en classe active alors qu'avant j'étais en visio et ça m'a fait du bien. J'ai retrouvé l'équilibre entre les cours et l'entraînement, avec une reprise progressive.
JCV : j'ai le double de l'âge de Baptiste, j'ai disputé 4 fois les Jeux, la situation était différente pour moi. C'était plus délicat car en fonction des résultats, je pouvais décider d'arrêter ma carrière de haut niveau ou pas. Ça s'est bien passé, on a passé deux ans avec Monsieur Oh qui m'a redonné une technique différente et un coup de boost. Pour le moment, je suis toujours au niveau, toujours l'envie et la gnaque. J'ai eu besoin d'une grosse pause, j'ai arrêté deux mois complètement. J'ai repris fin décembre, tranquillement et je me suis rendu compte qu'il y avait un peu de manque. Je n'ai pas d'objectif pur et dur comme gagner le tournoi dimanche, d'autant que Baptiste est là (rires). Il faut être lucide, les meilleurs sont là, mais tout peut arriver. J'avais besoin de réinitialiser pour recharger les batteries. On a tout mis en place pour les conditions d'entraînement soient les plus confortables, avec l'accompagnement du club, de la fédé et de l'État. Je repars pour aller jusqu'aux Mondiaux en fin d'année et peut-être jusqu'aux JO de Los Angeles.
Baptiste, vous avez remporté une médaille olympique avant vos 18 ans. Est-ce que cela vous rend plus léger pour la suite de votre carrière ?
BA : Je ne pense pas parce que c'est une médaille d'argent et par équipe. Ça a un peut être marqué mais dans 20 ans ça ne laissera pas une grosse trace. Mon envie, c'est de faire le maximum sur chaque compétition, tout préparer en amont pour avoir des lignes à mon palmarès aux championnats du monde, en coupe du monde, en individuel, en par équipe. Peut-être que si je n'ai que cette médaille, je me dirais que c'est bien car j'en ai au moins une. Mais actuellement, je veux toujours en chercher plus, pour laisser mon nom.
JCV : une médaille olympique, c'est de l'acquis. Ça peut être mis en avant mais si tu dis que c'est ton apogée, derrière tu n'auras plus la prétention de dire que tu vas continuer le haut niveau. Tant que tu as toujours la volonté d'en faire plus et d'aller toujours plus loin, tu la considères comme un acquis mais si c'est un objectif en soi, tu n'as plus rien qui te porte. Nous, on veut continuer à aller plus loin.
C'était important pour Baptiste, de vous avoir à ses côtés pour scander certains palliers et objectifs, notamment par équipe ?
JCV : c'était important d'apporter ce que je savais, les pièges dans lesquels ne pas tomber mais je ne disais pas ce qu'il fallait faire ou pas, loin de là, et surtout dans un sport avant tout individuel où chacun doit avoir sa vision pour se construire.
BA : j'ai passé les deux années à l'INSEP pour apprendre un maximum de Jean-Charles, éviter les pièges mais pas tous. Il y a un moment où on doit se taper la tête contre le mur mais, justement, il est là pour ne pas la taper 14 fois (rires). On avait un temps limité sur la préparation. Tout a été important, y compris de se sortir seul des problèmes quand c'était nécessaire. Il y a eu des passages nécessaires, comme la réaction à la performance, à la contre-performance, aux entraînements durs. Chacun a aidé l'autre, j'ai pu m'exprimer et me sentir à l'aise pendant les Jeux grâce aux présences de Jean-Charles et Thomas Chirault. Ce n'était pas forcément des discours pendant les Jeux mais tout ce qu'on a créé avant et qui ressort. C'étaient des personnes rassurantes.
Et dans le match pour le bronze aux championnats d'Europe, vous êtes tombé dans le piège contre Jean-Charles ?
(Rires) La semaine avait été très dure et les Europe et la Coupe du monde ont eu un impact décisif pour les JO. En par équipe, on prend l'or mais j'étais nul et en individuel je n'ai pas été performant. Je me suis dit "plus jamais". Pendant le dernier mois, je ne pensais qu'à m'améliorer, sans penser aux Jeux.
Y a-t-il de la data comme dans d'autres sports, sur les pulsations, la vitesse, la trajectoire de la flèche ?
JCV : quand tu tires à 45-50 livres, la flèche monte à 4 mètres ! En fonction de notre état de forme et notre expérience, on va modifier la trajectoire et il faut régler entre chaque flèche.
BA : on travaille beaucoup sur le ressenti. L'analyse vidéo et les feedbacks des entraîneurs interviennent sur certains points et il faut parfois un retour visuel.
Le budget du ministère des Sports a été sérieusement raboté : comment le jugez-vous ?
JCV : nous sommes des sportifs de haut niveau et on laisse l'institution gérer. On espère que les JO susciteront des intérêts.
Monsieur Oh va-t-il rester, sachant qu'il a encore un an de contrat ?
BA : J'espère qu'il va rester mais ça ne dépend pas que de lui, il faut aussi un bon système autour. C'est un ensemble. Il m'a beaucoup apporté, il a l'aspect technique et paternel et ça m'a fait grandir aussi comme personne.
JCV : Monsieur Oh est venu pour la réussite mais aussi intégrer le haut niveau avec le pôle INSEP. Il améliore des points de détail plus aisant quand on les fait à la coréenne et le but est de conserver cet héritage. Tout ce qui est là, c'est du cumul pour la fédé et la filière tir à l'arc. Il y a de plus en plus d'archers, on a parlé de la discipline aux JO et donné aux gens de s'inscrire, même s'il y a toujours un thème concernant les infrastructures. L'histoire du budget aux Sports, c'est sur le comment faire évoluer le sport en France, pour avoir plus de créneaux dans les salles, plus de moyens pour avoir des entraîneurs pour faire grossir nos effectifs et potentiellement notre contingent d'athlètes de haut niveau.