Éphrem Bariko est déjà en tenue au moment de notre interview, pressé de parfaire sa condition physique après avoir passé un mois dans son Congo natal pour se préparer à la dure. Souriant et posé, le poids moyen a évoqué pour Flashscore sa carrière express, sa vocation d'éducateur et sa foi musulmane, ravi de disputer le WBC Grand Prix à Riyad et proche de La Mecque. Ce mercredi, il affronte le Colombien Carlos Sinisterra pour une place en demi-finale.
Flashscore : Quelles sont les sensations avant votre combat contre Carlos Sinisterra ?
Éphrem Bariko : Je me sens hyper bien, avec l'esprit léger.
Vous avez battu l'Ouzbek Sukhrobjon Kayimov et l'Ukrainien Maksym Molodan issus de deux belles écoles de boxe. La confiance est au maximum ?
Exact ! J'ai commencé ce tournoi avec une philosophie de boxeur amateur. Je commence seulement ma troisième année chez les professionnels. Sur ce Grand Prix, on n'a pas eu d'infos sur les adversaires, le tirage au sort est fait le jour même. En fait, je me suis retrouvé. Il faut savoir s'adapter et c'est une chose à transmettre aux plus jeunes. En amateur, on fait ses armes avec des boxeurs de pays différents. Si tu n'as pas les outils, c'est très compliqué.
Vous avez été vice-champion de France amateur, vous aviez battu Baptiste Cheval qui réalise une grande carrière aux États-Unis.
C'est vrai que j'ai affronté des monstres comme en 1/8 finale avec Bigot Marseille. On ne me voyait pas aller aussi loin et j'ai créé la surprise. C'est une fierté de l'avoir fait en seulement 2 ans de carrière amateur.
Chez les pros, vous avez remporté le challenge Bouttier, avec là aussi des combats rapprochés. On sait à quel point le rythme est important chez les rémunérés.
Je suis un boxeur actif depuis que j'ai commencé. C'est une discipline à avoir mais il faut aussi que le corps puisse tenir. En amateur, j'ai fait 23 combats en un an et j'en ai 12 en deux ans et demi chez les pros. Plus tu boxes, plus tu es actif et moins tu souffres du manque du ring.
C'est ce background qui vous a permis d'entrée dans le tableau du Grand Prix ?
Je me suis inscrit à 27 ans, soit un de plus que la limite requise au départ. Mais ma participation a été une demande de leur part que j'en fasse partie. Ce sont les organisateurs qui m'ont contacté avant de parler avec mon coach-manager Sofien Bahi. C'était une grosse opportunité à saisir.
Vous partagez votre vie entre Blois et Châteauroux ?
J'habite à Blois et je vais une fois par semaine à Châteauroux où je suis licencié. Au niveau boxe dans la région, la réputation est excellente et signer dans cette team, il n'y a rien de mieux.
Vous allez affronter Carlos Sinisterra qui a subi sa seule défaite contre Souleimane Mohammedi à Aix-en-Provence. Comment analysez-vous cette nouvelle façon de boxer ?
C'est un boxeur qui n'a pas un gros bagage technique mais il compense par beaucoup de coeur. C'est un adversaire qui s'impose par son physique et sa puissance. On a pu voir ses deux combats. Souleimane l'a battu car il est technique, il contre, il se déplace beaucoup et ça l'a gêné. J'ai un style de boxe différent, j'aime bien la guerre et je suis préparé pour ça (rires).
Vous avez passé un mois au Congo pour votre préparation. Ça vous aide par rapport aux conditions saoudiennes ou tout est annulé par la climatisation à fond ?
La clim', c'était une dinguerie ! Là où ça m'aide de me préparer au Congo, c'est mentalement. Quand tu fais une prépa au bled, où tu n'as que le basique par rapport à la France, tu te coupes de tout, y compris de la famille. C'est un sacrifice mais au moins tu te concentres que sur ça. Tu n'as rien mais il faut que tu trouves quelque chose pour te préparer, tu remplaces le sac par beaucoup de course et du shadow. Tu prends confiance, ton cerveau fait un reset. Avant, je me disais que je partais faire une guerre mais tu as toujours ton taf et ta famille à l'esprit. Là, je n'ai pas eu la tête à gauche, à droite.
La vie de boxeur est souvent monastique.
C'est très bien résumé (sourire)
Pour les boxeurs, savoir se vendre est capital. Vous avez créé une chaîne Youtube très bien réalisée avec de nombreux vlogs et des documentaires. Comment vous êtes-vous lancé dans cette forme de promotion ?
Par mon identité et mes valeurs. Avant d'être un boxeur, je suis un éducateur et j'aime transmettre. J'ai commencé seul, j'ai acheté du matériel, lu des livres pour m'améliorer et monter des vidéos. J'ai commencé avant d'être pro, ça m'a toujours attiré. Je me suis ensuite entouré d'un staff. Mon contenu, c'est de la transmission. Tout peut s'arrêter pour moi dans la boxe et ce qu'on retiendre, c'est ce que j'ai transmis. Tout va vite pour moi parce que je sors de l'ombre et je veux dire aux gens de se battre avec ce qu'ils ont, de prendre exemple. C'est toujours bien de pouvoir inspirer, alors je continue.
Vous êtes aussi très croyant. La boxe et la spiritualité sont souvent connectées ?
Quand on boxe, il faut avoir la foi, sinon on ne va pas loin. Je ne prends pas en compte le facteur religieux pour dire ça. Il faut avoir la foi pour gagner, pour faire mal à l'adversaire, pour admettre que tout peut changer sur un seul coup. Le sport te donne un apaisement spirituel, le contrôle, l'acceptation de la victoire comme de la défaite, la combativité. C'est une boussole pour continuer à avancer.
Ce sont deux formes de routine qui structurent la vie d'un athlète de haut niveau.
Tous les croyants font une prière avant de monter dans le ring. À notre niveau, on sait qu'on peut y laisser quelque chose alors on demande la protection de notre Créateur pour soi et pour son adversaire. On ne le dit pas à voix haute mais on cherche cette protection. Peu importe le résultat, il faut avoir la santé. Il y a ce que l'on maîtrise et ce que l'on ne maîtrise pas. C'est un rapport avec le divin. On a cette croyance de laisser ce qu'on ne maîtrise pas dans les mains de Dieu. Par exemple, je n'ai pas la même confession que Lancelot de la Chapelle mais nous partageons des choses en commun liées à la foi. Plus il y a du danger, plus il y a la foi.
Vous êtes Musulman. Boxer à Riyad, proche de La Mecque, cela doit avoir une résonance en vous toute particulière ?
Chaque musulman peut aller faire un petit pèlerinage, qui est différent du grand pèlerinage, beaucoup plus long. Dès le premier combat en avril, c'était une obligation de le faire. C'est jouissif de se connecter à sa foi, ça ajoute une dimension de boxer dans un pays musulman.
Vous avez évoqué votre travail d'éducateur. Cela vous est venu comment ?
Je fais du bénévolat depuis 2016 et c'est mon travail depuis 2018. Cette relation avec les jeunes me passionne. J'ai commencé en étant éducateur spé mais ça ne m'intéressait pas de devoir refaire des années de formation non payées. Je suis dans l'éducation sociale par le sport et grâce à mon bagage de vie, je peux transmettre des valeurs qui me tiennent à coeur.
Vous constatez une forme de repli, notamment liée aux écrans ? Partager, c'est aussi une routine finalement.
Le sport m'a beaucoup aidé et je m'en inspire avec les jeunes. La boxe, c'est très dur et ceux qui restent, on voit qu'on a changé leur manière de voir les choses et l'évolution de leur comportement. Ils conservent les valeurs de respect, de travail, de solidarité. Ça rend fier.
Revenons-en au combat : vous êtes au poids ?
J'ai un métabolisme assez rapide donc je suis très tôt au poids, à condition de faire attention. La dernière fois, je n'ai pas fait attention, il me restait deux kilos à perdre 2-3 jours avant le combat et je l'ai senti. Physiquement, j'y ai laissé des plumes. J'ai pris le temps de bien manger, je bois beaucoup d'eau, je n'ai aucune inquiétude là-dessus. J'ai trop souffert la dernière fois, je ne veux pas le revivre (rires). Pour mon 1/8 de finale, j'ai dû faire deux saunas à vapeur en deux jours et on ne parle pas de sessions de 10 minutes. Je l'ai vécu comme un traumatisme. Je reviens tous les ans en Afrique mais là je ne suis pas venu en touriste alors que d'habitude, je mange de tout.
Outre votre poids, vous avez eu un changement d'adversaire au dernier moment. C'est perturbant ?
Ça a impacté le combat en lui-même. Ce n'était pas ce qui était prévu au début mais je suis allé chercher la victoire avec les tripes. Dans ce tournoi, tu ne sais jamais. Tu peux préparer ton combat mais jusqu'au jour J tout peut changer. Ton adversaire peut se blesser, il y a aussi un repêchage. Il faut s'adapter. C'est un tournoi avec beaucoup d'enjeux, avec des boxeurs qui viennent avec leurs promoteurs, des personnes puissantes qui peuvent décider ce qu'elles veulent. Si tu n'es rien, tout peut changer face à un tel pouvoir. Même pendant le combat, il faut briller et faire le taf parce que tout peut varier en fonction des arbitres mais aussi de ce qui se passe en coulisse.
La catégorie des moyens est la plus dense. Vous sentez que tout peut basculer dans votre carrière avec ce tournoi ?
En tous cas, ça frappe. À ce niveau-là, c'est solide. C'est une catégorie très observée. Il y a de tout mais tout peut se jouer sur un coup, il y a eu plusieurs KO en 1/8. Il y a tous les styles, ça cogne, il faut s'adapter. Avec mon adversaire, nous serons deux frappeurs, on verra bien ce que ça peut donner.