Flashscore : Vous n'avez pas commencé par l'anglaise, vous avez débuté par le pieds-poings ?
Emma Gongora : j'ai fait du full-contact, du kick-boxing, du K1. J'ai commencé assez tard pour avoir une carrière, à 19 ans. Mon club était dans l'Ardèche profonde et j'ai commencé la boxe par des connaissances. Au départ, je faisais de l'athlétisme à haut niveau, en 400m haies. J'avais envie de changement, il me manquait ce petit truc que j'ai trouvé avec la boxe, dès le premier cours. Je pouvais me libérer mais avec des règles et de la discipline.
Le 400m haies sollicite à la fois le cardio tout en ayant de grosses impulsions pour passer dix haies.
C'est une discipline difficile. Déjà que le 400m plat, c'est compliqué, en plus tu ajoutes des haies (rires).
Vous êtes passée pro en 2020, quel a été votre cheminement avant cette décision ?
J'ai commencé à faire des combats 3-4 mois après avoir débuté à la salle. Je suis devenue championne de France amateur de full-contact et de kick-boxing. Je suis passée semi-pro, j'ai continué à franchir les paliers jusqu'à devenir pro : championne de France, championne d'Europe et championne du monde de kick-boxing K1. En 2020, il y a eu un mélange de Covid et changement de coach qui font que je me dirige vers l'anglaise. Moi qui pensais que le kick-boxing était mon sport de prédilection, je m'aperçois qu'en fait, c'est la boxe.
Quelles sont les différences dans la gestion de l'effort par rapport à l'anglaise ?
Au tout début en anglaise, je gardais ma distance de kick-boxing parce qu'en pieds-poings, elle se gère avec les jambes. Je travaillais beaucoup en low-kicks, des coups de pied dans la cuisse alors qu'en boxe, la distance se fait avec le jab. Tactiquement, je mets beaucoup plus de stratégie en boxe parce qu'il y a plus de rounds, jusqu'à 10. C'est un jeu d'échecs qu'on met en place tout au long du combat. En kick-boxing, c'est plus frontal, avec des 3x3 minutes ou des 5x3 minutes quand il y avait une ceinture en jeu. J'avais des tactiques mais c'était plus "tout droit". En boxe, tu vois au fur et à mesure, la tactique des combattants. L'anglaise nécessite plus d'intéressemment et de culture pour comprendre la stratégie.
Avoir fait du 400m haies, avec la jambe tendue pour franchir, ça a dû vous aider en pieds-poings !
Ce n'est pas un lien logique mais c'est vrai. Mon coup de prédilection, c'est le front-kick, qui rappelle le franchissement d'une haie J'étais plutôt à l'aise (rires).
Yvan Mendy et Hassan N'dam nous confiaent leur besoin d'avoir du temps pour développer leur tactique et avoir des repères dans le ring, c'est ce que vous appréciez aussi ?
Exactement. La boxe n'est pas un sport de bourrin. Quand tu ne réfléchis pas, ta carrière ne va pas très loin.
Vous évoquiez les rounds en 3 minutes en kick-boxing. En anglaise, les femmes boxent avec des reprises de 2 minutes. Est-ce qu'il pourrait y avoir une demande des boxeuses pour avoir des rounds de 3 minutes ?
Deux minutes, ça peut ne pas être assez, par exemple dans le cas où une boxeuse a la possibilité de terminer le combat. Mais avec ce temps limité, il faut démontrer tout son potentiel, physique et tactique. C'est un challenge supplémentaire parce qu'en 3 minutes, le débit de coups sera moins important. D'ailleurs, il y a autant de coups lancés chez les femmes en 2 minutes que chez les hommes en 3. On ne peut pas dire que les gens s'ennuient devant un combat féminin.
D'où vient votre surnom "Valkyria" ?
J'aime tout ce qui est l'esprit viking et les Valkyries sont des guerrières nordiques, déterminées, autonomes, indépendantes. Elles sont l'allégorie de la femme forte. Je ne voulais pas m'inventer une deuxième personnalité mais c'est un symbole de force et d'inspiration. Et puis Valkyria, ça rime avec Emma et Gongora (sourire).
Comment décririez-vous votre style ?
C'est une question difficile parce que je m'adapte à la boxeuse en face de moi et ce serait me restreindre que de me définir d'une manière ou d'une autre. Ça réduit la marge de victoire et de possibilités. Par exemple, j'ai sparré avec une Italienne qui ne faisait qu'avancer. J'ai modifié ma façon de faire, c'est moi qui ai dirigé l'assaut et elle ne me touchait plus. L'adaptation, c'est la clef. Sans un panel de technique, tu ne peux pas évoluer. Dans le ring, l'élément connu, c'est toi avec ta préparation, et il y a un élément inconnu qu'il faut gérer avec une fille qui veut te casser la tête. Si une chose ne fonctionne, tu dois en avoir d'autres dans tes poches et c'est ça qui fait la force d'un combattant.
Il faut parfois évoquer les tâches rouges sur les palmarès. Vous avez débuté votre carrière par deux défaites : la première contre Rima Ayadi, la deuxième contre Estelle Mossely. Pas n'importe qui. Vous avez persévéré, avec réussite, mais est-ce que vous avez douté de la suite ?
Quand je prends Rima en février, je n'avais pas encore arrêté totalement le pieds-poings et j'avais un combat en mars, finalement annulé à cause du Covid. J'ai fait une belle performance mais il n'y a pas de vidéo disponible pour revoir le combat. Je ne suis pas du tout déçue et ce sont mes ressentis et mes sensations qui comptent. Les gens ont pu voir que j'étais technique, que je ne prenais pas de bras arrière en pleine face. Je suis sûre que j'ai quelque chose à faire en anglaise. Ce n'est pas un début de carrière normal. En théorie, on grimpe les échelons petit à petit, on n'affronte pas de boxeuses aussi expérimentées tout de suite. À ce moment-là, j'ai quelqu'un dans mon coin qui ne prend que des one shot et qui ne s'occupe pas de ma carrière. C'était assez flou. Pendant et en sortie de Covid, je m'entraîne comme une dingue et on m'appelle le lundi soir 22h pour un combat le vendredi contre Estelle. J'avais vu son dernier combat en direct et je m'étais dit "imagine, un jour tu la prends". Et donc je dis oui automatiquement. Ce n'était pas un choix juste mais je voulais montrer la boxeuse que j'étais, sur un 8 rounds. J'essaie de sortir tout mon panel, elle ne me fait pas mal, je ne suis pas impressionnée, pas stressée alors j'y vais à fond. Je savais où j'allais. Elle avait la ceinture IBO des légères à ce moment-là, elle était championne olympique et elle m'affronte alors que j'ai une défaite pour mon seul combat. Dans la boxe pro, tu en vois souvent des trucs comme ça. Si je ne venais pas, elle ne pouvait pas faire le combat, son adversaire avait attrapé le Covid. Je savais qu'on ne me donnerait pas le combat, sauf si je la surclassais.
Il y a une crainte légitime de la défaite mais une défaite peut vous ouvrir des portes sportives et financières. On peut prendre l'exemple récent de Dylan Colin qui a affronté Daniel Lapin en sous-carte d'Usyk-Fury.
Et l'opportunité qu'il a eu dans la foulée, c'est d'être le sparring d'Artur Beterbiev. On a fait partie du même d'entraînement au Canada. Les choses peuvent changer très rapidement. Par exemple, si je n'avais pas été prête pour affronter Estelle Mossely, j'aurais loupé une opportunité de me conforter dans mon choix de rester en anglaise, avec une marge de progression énorme. Même si la victoire n'est pas là, on peut gagner autre chose.
Vous êtes Marseillaise, l'exemple de Bruno Surace doit forcément vous parler ?
Il a redoré le dicton "impossible n'est pas Français" et il l'a démontré aux yeux de tous. Il donne de l'espoir aux jeunes et à ceux qui galères, en prouvant qu'il ne faut pas avoir peur de saisir des opportunités qui peuvent effrayer. Quand l'enjeu est important, la victoire en est plus belle. J'espère simplement que les gens continueront de l'encourager même s'il ne revient pas avec la victoire lors de sa revanche contre Jaime Munguía. Il ne mériterait pas ça.
Revenons à vous : vous avez ensuite remporté la ceinture WBC francophone, ce qui n'est pas rien.
Ça m'a permis de monter dans les classements. Quand on est déterminé, on continue le chemin.
Vous étiez en légères, vous êtes en plumes désormais ?
Je suis redescendue de deux catégories parce quand j'étais en pieds-poings, je combattais à 55kg et les régimes m'ont traumatisé. Au moment de choisir l'anglaise, je ne voulais plus en faire. 57kg, c'est mon poids naturel et en plume ça se passe très bien.
Vous êtes classée nº1 WBA, il y a donc un championnat du monde en prévision ?
Je suis détentrice de la ceinture WBA Gold, depuis le 7 décembre dernier à l'occasion du premier gala organisé par Nadjib Mohammedi. Je suis entrée nº9 à la WBA, puis je suis montée à la 5e et cette ceinture vacante me propulse à la place de nº1. Au-dessus de moi, il y a une championne intérim, l'Espagnole Jennifer Miranda. On a demandé à la WBA de pouvoir l'affronter mais la fédération a d'abord ordonné une défense, un combat éliminatoire pour devenir challengeuse officielle. Ce sera le 24 mai à Aix-en-Provence, contre la Mexicaine Joana Chavarria López.
On connaît le style mexicain, avec du combat rapproché : vous vous préparez à cette éventualité ?
Ce n'est pas ma distance car elle mesure 1.60m et moi 1.70m. Ce sera à celle qui imposera son style. Elle a moins de combats de moi mais elle n'a pas peur, elle y va, elle tape. J'ai envie de montrer ma technique. J'aimerais dire aux gens que c'est une énorme opportunité et que ça peut mener à de grandes choses, comme un championnat du monde en France, voire à Marseille et sa région.
Le premier gala organisé par Nadjib Mohammedi a été un succès : vous l'avez vécu comment de l'intérieur ?
Il a frappé fort et il a impressionné beaucoup de monde. Il y avait une telle qualité dans sa carte avec 3 ceintures en jeu de 3 fédérations différentes ! Avoir une ceinture, c'est déjà compliqué et en plus il y a eu un accueil monstrueux. Pour moi qui ai fait beaucoup d'événements dans le Sud, en boxe comme en pieds-poings, je lui tire mon chapeau car c'est rare d'avoir de telles organisations. Il a envie de construire et de palier un manque. Il y a toujours une étape pour les boxeurs et pour une question de promotion, on peut perdre tout ce pour quoi on a travaillé. Je sais qu'il sera là par la suite et c'est génial de le savoir.
Vous revenez d'un training camp au Canada : qu'en avez-vous retiré ?
Quand je préparais mon combat du 7 décembre, Leila Baudoin, évolue en super-plumes, m'avait envoyé un message pour me dire que si je voulais, elle pouvait venir sparrer. J'avais besoin d'une gauchère, donc ça ne s'était pas fait. Mais fin janvier, je lui ai dit que j'avais un combat prévu le 1er mars et que j'avais besoin d'aller voir ailleurs pour m'entraîner. J'y suis allée deux semaines et demi. J'étais déjà venue à Montréal pour des combats mais là, je me suis un peu plus installée. C'était entraînement matin et soir, une autre manière de s'entraîner, du sparring un jour sur deux, avec elle et avec l'équipe nationale canadienne. J'ai tourné avec des filles aux poids différents, c'était vraiment qualitatif.
Est-ce qu'il y a un risque en sparring de se voir trop facile alors qu'on vient d'abord pour aider un(e) combattant(e) à préparer une stratégie contre un adversaire qui n'est pas soi ?
Les sparrings, c'est de l'entraînement pour te servir en combat. Mais on ne sait pas ce que l'autre est en train de mettre en place. C'est là que tu tentes des choses. Il faut garder son humilité et ne pas oublier que la boxeuse en face de toi veut tester des choses peut-être pour la première fois.
C'était dans le club de Marc Ramsay ?
Oui, et il y avait Artur Beterbiev, Christian Mbilli et d'autres boxeurs de chez Eye Of The Tiger avec qui j'avais fait mon premier disputé au Canada. J'en suis revenue avec des étoiles plein les yeux, des souvenirs, des méthodes d'entraînement. Ça m'a conforté.
La France souffre de la comparaison par rapport à "l'économie du sparring" ?
Au cours de ma carrière, j'ai pu aller en Espagne, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, au Canada. Récemment, une Allemande et une Italienne sont venues ici. Ce sont des opportunités qu'on se crée. C'est comme dans la vie, tu peux pas rester là et attendre. Si tu veux remplir ton objectif, il faut s'en donner les moyens et le fait de bouger te permet de créer encore plus d'opportunités en rencontrant de nouvelles personnes. Mais c'est vrai que, quand je vois que Leila avait un coach focus sur elle, un prépa physique, tout de cadré, y compris avec les sponsors... Elle avait juste à s'entraîner. Moi, je dois chercher les sponsors, faire leur promotion, garder le lien et je ne me débrouille pas si mal. Je dis bravo à ma team car on fait ça avec les moyens du bord. J'ai été invitée à un gala avant de partir et j'ai été bluffé. Camille Estephan connaît tous les boxeurs, leurs vies. J'aime la façon dont c'est vendu, y compris lors des conférences de presse car les combattants sont vraiment mis en avant. C'est une question de culture.
Votre père a un double rôle dans votre team ?
C'est mon manager et mon cutman. Ça s'est fait naturellement car il a toujours été dans mon coin et il s'est rendu compte qu'il y avait un manque de cutman en pieds-poings et il s'est formé. Il m'accompagne sur ces deux aspects. Il ne vient pas du milieu de la boxe et c'est pour moi qu'il le fait. C'est génial parce que c'est rassurant pour moi, on se connaît par coeur, il sait comment je me sens mentalement, avec un point de vue extérieur. Mon coach reste mon coach mais avoir une figure familière avec toi, c'est important.
Vous avez aussi votre propre marque ?
Elle s'appelle "Carré cordé", je l'ai créée en 2021. On s'est rendu compte qu'il y avait de la demande en France mais pas d'offre. On vend en ligne tout le matériel de bandages et de soin, pour toutes les disciplines. J'apporte de la légitimité au produit parce que j'en suis l'image et que je sais de quoi je parle.