Flashscore : Vous allez disputer votre 7e combat professionnel. Quel a été votre parcours ?
Émilie Sonvico : Je suis venue à la boxe par hasard, car j'avais besoin d'un sport pour me défouler. Pendant mes études, mon meilleur ami faisait de la boxe thaï et m'a conseillé de l'accompagner. Je suis allée dans une salle de boxe anglaise et je me suis aperçue que je n'étais pas mauvaise (rires). La suite n'était pas vraiment prévue, je ne voulais pas forcément me lancer dans la compétition. J'ai été repérée mais on était aux prémices de la boxe féminine et on ne pouvait pas vraiment en vivre. J'ai fait le choix de continuer mes études et de travailler. Mais j'ai été championne en France en 2010, j'ai arrêté, j'ai vraiment repris en 2015. L'Equipe de France m'a contacté pour les JO de 2016. J'ai fait deux cycles pour Tokyo et Paris et j'ai attendu 2024 pour passer professionnelle.
Votre trajectoire est impressionnante : vous êtes championne d'Europe et vous allez boxer pour la prestigieuse WBC Silver. Comment jugez-vous cette rapidité ?
J'ai un style de boxe professionnelle naturelle. Dès que je suis entrée dans une salle, on m'a dit que le style amateur n'était pas fait pour moi, même s'il m'a appris beaucoup de choses et fait gagner beaucoup d'expérience. J'ai été suivie dès le cycle de Tokyo pour passer pro. Mon bagage a aidé. J'ai aussi vite compris compris comment fonctionnait l'algorithme des classements. Je voulais affronter les meilleures mais j'ai pris des murs, ce qui était normal car je ne leur apportais rien vu le risque. J'ai dit à mon coach que je ne voulais pas des filles qui ne tenaient pas debout mais des filles qui, même si elles avaient des défaites, allaient me permettre de faire des rounds. C'était ma condition pour apprendre et voir comment cette transition de l'amateur au professionnel se faisait et comment mon poids réagissait. On m'a proposé la WBC Silver après mon troisième combat et c'est moi qui ai freiné car j'avais encore beaucoup de temps. Je voulais aussi avoir le titre de championne d'Europe parce que j'aimais bien la couleur de la ceinture (rires).
Un titre de champion(ne) d'Europe, c'est aussi une belle carte de visite au moment d'aller chercher des sponsors, plus qu'une WBC Silver qui parle principalement aux suiveurs réguliers ?
Cet aspect financier entre en ligne de compte. J'ai eu les deux possibilités sur la table et j'ai décidé de disputer la ceinture européenne. Si tu fais le calcul financier et sportif, tu fais le même choix que moi.
En plus, vous avez rempli les arènes d'Uzès, une grande réussite.
Ah oui, c'était le top ! Boxer dans des arènes, c'est dingue !
Souffrez-vous d'un manque de reconnaissance vu les résultats de la boxe féminine tricolore ces dernières années ?
Il y a de très bons résultats chez les féminines. Je pense déjà à Anne-Sophie Mathis et Myriam Lamare qui ont ouvert le chemin. Il y a aussi les premiers JO avec Sarah Ourahmoune. Le niveau a augmenté, il y a eu le titre d'Estelle Mossely à Rio. La génération qui viendra sera encore meilleure. Je vois des jeunes filles qui ont un niveau technico-tactique très impressionnant, quand elles vont arriver ça va être violent. Le niveau est là. Après en France, il faut avoir les moyens d'organiser et ça coûte beaucoup d'argent. On reste sur un modèle associatif. Il y a des questions qui se posent. Doit-on prendre un match maker ? Un promoteur ? Comment le gère-t-on ? Et puis il y a les impôts à payer. Certains comprennent cela, des entreprises acceptent l'idée d'un prêté pour un rendu, le département, la communauté de communes et la mairie suivent aussi. C'est comme ça qu'on arrive à organiser une WBC Silver hors de Paris. Même la fédé nous a demandé comment on a fait. Le style de boxe est important aussi car il faut aussi plaire et être bankable. C'est du business et tout entre en ligne de compte.
Vous avez aussi la chance d'être à Uzès, une ville touristique et solide au niveau entrepreneurial.
C'est sûr, Uzès n'est pas une ville pauvre. Beaucoup de touristes viennent visiter, il y a l'usine et le musée Haribo qui drainent énormément de monde, au point que ça arrive par cars entiers. On a souvent reproché à Uzès de trop en faire pour les touristes et pas assez pour les habitants et les jeunes et, franchement, tout le monde a été extra, il faut le souligner.
Parlons de votre adversaire Dee Allen. Comment préparez-vous votre combat ?
Je garde ma manière de fonctionner. Je regarde ce qui m'intéresse de mon adversaire. En fait, la boxe est un sport mouvant. Il y a des mimiques, des combinaisons qui restent mais le style peut évoluer d'un combat à l'autre. J'ai fait le choix de ne pas m'adapter aux autres et c'est aux autres de s'adapter à moi. J'ai ma ligne directrice autour de laquelle je peux broder. Je suis instinctive.
Votre passé en amateur, avec des tournois où on croise avec des styles différents sur une période réduite, vous sert de base pour ne pas trop intellectualiser ?
Exactement. Ça m'est déjà arrivé d'avoir des défaillances et il faut être capable d'analyser tes propres capacités pour rester sur ta stratégie ou la faire évoluer. D'où l'importance d'être polyvalente. Avoir un cadre te permet aussi de pouvoir réagir rapidement. Le coach peut t'appuyer mais finalement c'est toi qui boxe, tu es seule avec toi-même et ce sont tes décisions. Lors des championnats de France, sur un contact au premier round, je me suis fait les croisés. J'ai fini le match mais le médecin m'a dit qu'il ne savait pas comment j'avais fait. Je n'ai pas fait de pas latéraux, juste du "in and out". À l'adréaline, beaucoup de choses peuvent se réaliser.
Êtes-vous un poids welter naturel ?
Faire le poids est un peu plus dur pour une femme que pour un homme à cause des hormones. J'ai boxé à 69kg pendant longtemps avant que ce soit abaissé à 66kg. Faire le poids en amateur c'est difficile parce qu'à un moment, ton corps pense surtout à manger des raclettes (rires). J'ai fait des régimes très jeune et je l'ai payé ensuite. Je n'aime pas souffrir donc je ne vais pas m'amuser à arriver à la dernière semaine avec 6-7kg de trop et cutter avant la pesée. Si je dois perdre avant, ce sera 1kg avec de la sudation. J'essaie de mettre mon corps le moins en tension possible.
La reprise de poids après la pesée peut devenir dangereux.
Oui, c'est pour ça que s'il faut perdre encore un peu, je peux régler ça en une demi-heure. C'est aussi l'avantage quand tu boxes à domicile parce que tu peux rester chez toi le plus longtemps possible, faire ta pesée et repartir récupérer. Dans les sports avec des catégories de poids, il n'y a pas la culture de la nutrition. Il y a des diététiciens de plus en plus présents mais c'est difficile d'inculquer que tu peux perdre du poids en mangeant 3 ou 4 fois par jour car le métabolisme fonctionne. Le corps a une mémoire, ce que tu fais mal, tu le paieras. Je le sais parce que je l'ai vécu.
Vous avez fait le plus dur, l'échéance approche.
Ma préparation dure depuis 3 mois, il faut que le combat arrive vite parce que j'en ai marre (rires).
Quel est votre rythme d'entraînement ?
Je n'aime pas m'entraîner pour rien, m'entraîner pour m'entraîner. Si la séance doit faire 30 minutes, elle fera 30 minutes et pas 2 heures. J'en ai parlé avec des jeunes de mon club qui pensent que, parce qu'ils récupèrent, ils prennent du retard. Je travaille en qualité et il faut le faire quand tu prends de l'âge. Le corps n'est pas une machine, il faut aussi du repos mental. Mon entraîneur me connaît. Et puis je suis comme David Haye : je déteste mettre les gants (rires). Pour moi, les gants, c'est juste pour les matches. Je fais très peu de sparrings parce que ça retire mon agressivité et je suis moins performante derrière. Je n'ai pas besoin de confrontation, au contraire. Je fais du travail physique, technique, tactique et ça me convient. J'ai fait du padel, je me suis entraînée chez les pompiers. Vasyl Lomachenko pouvait faire du tennis, de la natation et ça ne l'a pas empêché d'être une référence générationnelle.
Varier, c'est important pour conserver sa fraîcheur physique et mentale ?
S'il n'y a pas de logique intellectuelle, ça ne va pas me plaire. C'est important d'avoir des coaches qui comprennent ça et soient ludiques. Quand tu arrives à un certain niveau, tu peaufines plus que tu ne progresses réellement. Samedi, le combat va sûrement être âpre et difficile mais j'ai hâte d'y être et de prendre du plaisir.
