Plus

Interview Flashscore - Elhem Mekhaled : "C'est d'abord le style de boxe qui crée les opportunités"

Elhem Mekhaled
Elhem MekhaledFrank Franklin II / AP / Profimedia / Flashscore
Numéro 1 française des super-plumes et classée 10e par Boxrec, Elhem Mekhaled est l'un des grands noms d'une catégorie ultra-relevée où trône Katie Taylor. Pour Flashscore, la volubile Lyonnaise entraînée par la référence Joseph Germain a longuement évoqué son parcours, ses victoires comme ses défaites et son futur proche.

Flashscore : Comment êtes-vous venue à la boxe ? 

Elhem Mekhaled : c'était lors d'une fête de fin d'année scolaire, j'étais en classe handball et mon père m'avait inscrit en gymnastique. J'avais accompagné mon petit frère et il y avait un ring mobile. Aucune fille ne voulait essayer et un entraîneur m'a proposé de monter. Il m'a trouvé des qualités et demandé de le rejoindre à la MJC de Vaulx-en-Velin. Quand je suis arrivée, je ne savais pas qu'il y avait plusieurs styles de boxe et je me suis retrouvée en full contact. J'en ai fait un an mais je n'ai pas trop aimé. Et puis, j'ai retrouvé cet entraîneur, Bob Mbayo (champion de France des moyens en 1991, ndlr), et tout a vraiment commencé. Mais il y a aussi une question d'éducation. 

Dans quel sens ? 

J'ai grandi avec mon papa car j'ai perdu ma maman le 6 février 1996, la veille de mes 5 ans. C'est quelqu'un d'assez dur, il voulait que je sois indépendante, que je réussisse, que je me batte et me donne les moyens sans m'arrêter pour franchir les barrières. C'est très similaire à la boxe car je suis toute seule dans le ring. J'ai retrouvé ces valeurs-là. Quand on fait un sport individuel, on ne peut compter que sur soi. C'est le sport qu'il me fallait. 

Parce que dans la vie comme dans le ring, rien n'est offert ?

Je le lui dis souvent sur un ton ironique mais, même quand j'étais ado, il me parlait de la retraite (sourire). Alors il m'a trouvé des petits boulots, en parallèle de mes études. Il voulait que j'aie mon permis rapidement. Il faut en vouloir sinon on ne va pas loin. Cette détermination, je la mets dans le ring. 

Cela se perçoit dans votre style de boxe : vous cherchez toujours à avancer sur votre adversaire.

C'est vrai mais c'est aussi parce que, chez les femmes, on a des rounds de 2 minutes contre 3 chez les hommes. Ça va très vite et il faut tout donner. Cette combativité me surprend moi-même. Contre Alycia Baumgartner, même si je suis tombée au troisième round, mon entraîneur a été surpris que je reparte à la bagarre. Ça reflète ma volonté de ne jamais lâcher l'affaire. Tant que tu es encore là, vas-y (rires). Ça se passe beaucoup dans la tête, c'est plus psychologique que physique. 

Vous avez eu Fabrice Tiozzo comme entraîneur. Il fut un des plus grands boxeurs français de l'Histoire, on le connaît aussi comme consultant : comment est-il comme coach ?

Il était comme quand il s'entraînait, très assidu et déterminé. Avec Fabrice, j'avais un sacré physique pour pouvoir faire mal. Il voulait que je fasse mal comme lui. 

Qui est votre entraîneur aujourd'hui ?

Je suis avec Joseph Germain à Noisy-Le-Grand. Il a été le coach de Jean-Marc Mormeck, de Carlos Takam, Tony Yoka et maintenant il s'occupe aussi des frères Toutin. Il a vraiment vu passer de grands noms. C'est une référence et je culpabilise même de ne pas l'avoir connu plus tôt. 

Jo Germain, c'est une vraie légende ! Qu'a-t-il de différent dans sa manière de travailler ?

Je l'ai connu via Ali Oubaali et la première fois que je l'ai rencontré, je voulais vraiment qu'il me valide (sourire). À l'entraînement, même si je souffre, même si j'ai mal, je me tais. Jo est très réservé, je ne savais pas ce qu'il pensait. Mais ce jour-là, il m'a offert une corde à sauter de... 7 kilos ! Elle était super lourde mais j'étais tellement contente (rires). On en rigole encore ! Il est très calme et c'est ce que j'apprécie chez un entraîneur. J'ai besoin de ça car je peux vite monter dans les tours. Dans le ring, je n'ai plus de conscience, je fonce et Jo est là pour me ralentir, m'apaiser. Il est très réfléchi, pédagogue et à l'écoute. C'est important pour une femme. 

La qualité d'un boxeur ou d'une boxeuse se lit aussi à la qualité de ses adversaires et même de ses défaites. Vos trois revers ont été contre ce qui se fait de mieux en super-plume et en super-légère. 

J'en ai récemment parlé avec Jo qui me disait que je ne me rendais pas compte de ce que je pouvais faire dans le ring. Ça a commencé contre Delfine Persoon, et sans me chercher d'excuse, je me suis retrouvée face à elle alors que je voulais arrêter la boxe car, initialement, je devais affronter Alycia Baumgartner mais elle s'est blessée. Je n'avais plus envie car je devais disputer un championnat du monde car j'avais remporté la ceinture WBC par intérim. Ça a tourné en rond, j'avais un promoteur mais ça s'est fini dans un procès que j'ai gagné. Je devais affronter Terrai Harper mais la société MTK m'a contacté un mois avant. J'ai refusé car c'était la chance de ma vie et je ne voulais pas la rater. Je voulais plus de délai et c'est Alycia qui a disputé le combat. 

Proche de raccrocher les gants puis défier Persoon à Abu Dhabi : vous êtes passée du tout au tout !

Je suis repartie du début, avec seulement 3 semaines de préparation. Avec Jo, je n'avais disputé qu'un seul combat, pour la ceinture EBU que j'avais organisé à Feyzin et trouvé les sponsors. Ça n'avait duré qu'un seul round, j'étais dégoûtée. Ce combat contre Persoon a reboosté ma carrière, même s'il y avait eu un report d'une semaine après un décès dans la famille royale. Normalement, dans les pays musulmans, on ne peut pas organiser de fête pendant 40 jours. On m'avait dit de partir et on m'a rappelé deux jours après. C'était une galère mais je n'avais rien à perdre et, en plus, j'avais déjà eu 50% de ma prime (rires). 

Vous dites que ça vous a relancé : à quel niveau ? 

Après trois semaines de préparation et une autre de report, j'étais au-dessus techniquement et, sur les images, j'avais l'impression que Delfine faisait mal. Dans la réalité, ce n'était pas pareil. Attention, je m'entends rien avec elle, elle m'a aidé à préparer mon combat contre Chantelle Cameron, mais quand j'avais vu son combat contre Katie Taylor... elles s'étaient cognées ! Certes, il ne fallait pas que je me jette en prenant mes risques mais mettre la première et avancer. 

Vous avez enchaîné directement contre Baumgartner, sans combat entre les deux. 

Alycia, c'était un peu pareil : très impressionnante sur les images. Mais le physique ne m'impressionne pas, même si elle avait un grand gabarit bien musclé. Elle m'a touché et c'est en voulant me terminer et elle m'a poussé, ce qui m'a permis de récupérer. J'ai continué à faire le combat, à avancer. Après, c'est mon a priori, mais juste après le combat, elle vomit et six mois après, elle est prise au dopage. Donc on se pose des questions. 

Votre dernier combat était en juillet 2024, contre Chantelle Cameron, l'une des meilleures pound for pound. Et vous changez de catégorie. Pour quelles raisons ?

On ne me propose aucune opportunité mis à part Chantelle deux catégories au-dessus. Je sortais d'un combat en -59kg, il fallait que je prenne du poids. Je n'ai mangé que des pâtes et des protéines ! On a l'impression qu'elle fait mal quand on voit ses combats contre Taylor mais, dans le ring, ça ne faisait pas vraiment mal. La stratégie était de conserver la distance et d'avoir la garde haute pour éviter les mêmes erreurs que contre Alycia. Je lui ai demandé une revanche dans le vestiaire, elle a souri et elle est partie (rires). 

Contre Persoon à Abu Dhabi, il n'y a pas encore beaucoup de monde dans la salle. Est-ce que c'est dérangeant de boxer dans ces conditions ?

Honnêtement, à domicile ou à l'étranger, avec du public ou sans, je fais abstraction. La seule chose que je veux entendre, c'est la voix de mon entraîneur. On me dit souvent que, quand je suis à l'extérieur, on finit par m'apprécier pour mon style de boxe. Je viens pour faire mon combat, je ne suis pas influencée. 

Les combats de boxe féminine sont souvent très spectaculaires, au point qu'ils peuvent voler la vedette à un main event masculin. Comment vous l'expliquez ?

Beaucoup d'hommes aiment me regarder boxer et me disent que je suis féline, technique, combative. À haut niveau, toutes les filles ont ces qualités. Quand on voit Katie Taylor contre Amanda Serrano, c'est technique, c'est stratégique, il y a du sang et ça attire forcément du monde.

On a l'impression que chez les femmes, il y a moins de crainte d'affronter les meilleures, contrairement aux hommes où on a l'impression qu'ils s'évitent le plus possible. Il y a des opportunités à ne pas manquer ? 

C'est ça. Quand on m'a proposé d'affronter Persoon, j'y suis allée. Contre Alycia, c'était un championnat du monde. Et contre Chantelle, je n'avais pas de meilleure proposition. Je n'ai pas peur et si j'ai l'aval de mon entraîneur, je fonce. Mais à chaque fois, il me manque le petit truc. J'aurais peut-être eu besoin d'un entre-deux avant de franchir l'étape au-dessus. Or comme j'ai rapidement eu le titre WBC par interim, je suis allée très vite au haut niveau.

Chez les filles, il y a une difficulté qui s'ajoute : trouver des sparrings. Vous tournez principalement avec des hommes ?

C'est un mélange de tout et je sais m'adapter. J'ai la chance de faire beaucoup de technique au club avec Thaïs Larche qui boxe en amateur une catégorie au-dessus. Je travaille aussi avec des garçons mais je suis partie en Belgique avec Persoon. En 2023, Ellie Scotney m'a demandé de l'aider mais, l'année suivante, j'avais décliné car elle affrontait Ségolène Lefebvre. Avant d'affronter Baumgartner, je devais mettre les gants avec Amanda Serrano mais j'ai eu un problème de visa avec les États-Unis. Après, je n'aime pas tourner avec des adversaires potentielles.  

C'est important d'avoir un manager établi aux États-Unis ? 

Pas forcément. Je crois que c'est d'abord le style de boxe qui crée les opportunités, en plus des titres qui attirent les promoteurs. 

On évoque souvent la difficulté de perdre du poids. Mais avez-vous eu des problèmes pour en prendre quand vous êtes montée en super-légère ? 

Oh oui ! Je n'ai jamais autant mangé pendant ma préparation contre Cameron, même sans avoir faim. La difficulté était surtout de passer d'un combat en 59kg à un autre à 63,5 en deux mois. En temps normal, je n'aurais pas accepté mais c'était une opportunité à ne pas manquer et je suis très contente de l'avoir fait. 

On en revient à l'importance de votre entourage pour vous accompagner. 

Mon entraîneur me protège, dans le sens où son analyse et son expérience me donne encore plus de confiance. Quand il estime que j'en suis capable, ça me libère. Jo, c'est la plus belle rencontre sportive que j'ai fait dans ma vie. 

Vous avez un travail la journée : comment pouvez-vous tout cumuler ?

Je suis gestionnaire sinistre en assistance à la Matmut et je vois la boxe comme un deuxième travail, avec des horaires. Je ne peux pas me permettre de manquer, c'est comme si j'avais des comptes à rendre à mon entraîneur. En plus je vis à Lyon et lui est à Noisy-Le-Grand. Au moment d'entrer en préparation, je veux être en forme. J'ai besoin de me respecter mais aussi de le respecter. 

Justement, comment vous organisez-vous avec lui ? 

Quand je n'ai pas de date de combat, je m'entraîne six fois par semaine. Quand un combat est validé, Jo me dit d'entrer en préparation, deux ou trois mois avant. En plus, mon préparateur physique qui est à Paris m'envoie les bases physiques avec beaucoup de spécifique. 

On a l'impression que les boxeurs ne se relâchent plus comme avant entre deux combats ?

J'ai échangé avec des boxeurs et il y en a encore qui en s'entraîne pas quand ils n'ont pas de combats. Je me permets de leur dire que c'est dur ce qu'ils font car le corps en prend un coup. C'est aussi compréhensible car ils ont des horaires de travail compliqués, ils rentrent tard, il faut s'occuper des enfants. Mais la boxe c'est dur, physique, violent. Moi, je ne peux pas me permettre. 

Quels sont vos objectifs pour 2025 ? 

On est en train de voir avec mon manager mais il y aura peut-être un combat avec une ceinture en fin d'année. La ville de Besançon s'est engagée avec moi, ça m'a fait très plaisir. Ça laisse le temps de tout bien organiser. Ce sera en fonction des opportunités mais ce sera soit en plume soit en légère. 

Longtemps en France ces dernières années, la boxe féminine s'est résumée médiatiquement à Sarah Ourahmoune et Estelle Mossely, probablement par facilité alors que le vivier est immense. C'est dû à la place prise par la boxe olympique par rapport à son pendant professionnel ? 

Ce n'est pas le même style et le grand public ne saisit pas toujours la différence. La boxe olympique est plus médiatique et puis Sarah et Estelle ont ramené des médailles avec de la très belle boxe. Chez les professionnels, on est certes rémunérés mais on n'est pas exposé en France. Pour avoir vécu des combats à l'étranger, j'ai vu la différence. En Angleterre, mon soigneur m'a confié avoir été impressionné par l'ambiance dans la salle. Il avait l'impression d'être à un match de foot ! 

Avec les résultats récents de Bruno Surace et Sofiane Khati, Bercy qui accueillera le très attendu Mbilli-Sadjo, est-ce que vous espérez un nouveau souffle qui profiterait aussi à la boxe féminine française ?

Quand j'ai commencé à travailler avec une manager américaine, j'ai tout de suite eu la possibilité d'affronter Baumgartner. Je pense que les managers français ont les moyens de nous trouver des combats internationaux. Je suppose que la différence se fait sur les contacts. Mais surtout, c'est l'argent et il faut respecter ça. Par exemple, si Baumgartner vient faire une revanche en France, elle ne va pas venir pour 10.000€. Et puis en France, on n'a pas la culture de mettre 150€ pour voir un gala. Au niveau de la diffusion, j'aurais adoré que mon combat contre Cameron soit diffusé, elle est la seule à avoir battu Taylor quand même ! Mais qui allait regarder un combat de boxe pro féminine avec une Française qui n'a pas été championne du monde ? Quelque part, je comprends la réticence, il faut bien que ce soit rentable.