Cédric Vitu (48-5-1) est l'un des boxeurs les plus suivis et supportés de France, ce qui ne l'empêche pas d'être lucide, très voire trop critique envers lui-même malgré une belle carrière marquée par trois titres de champion de France, quatre titres européens EBU et un championnat du monde WBA. Le 4 octobre à l'Adidas Arena, il sera de retour dans le ring contre Salahdine Parnasse, star du MMA français. Pour Flashscore, "Titi" a évoqué son parcours et ce nouveau défi alors qu'il fêtera ses 40 ans dans quelques semaines.
Flashscore : On vous pensait à la retraite et puis vous revenait dans un combat en 6 rounds contre Salahdine Parnasse, star de MMA qui débute en boxe anglaise.
Cédric Vitu : Pour moi, la retraite c'est un gros mot. Je n'ai que 39 ans, pas 60 ! Il me reste au moins 20 ans à travailler ! Ce combat, ça fait un bon bout de temps que ça traîne. Déjà en 2019, quand j'ai affronté Michel Soro à Bercy, Salahdine voulait ensuite boxer l'un de nous deux. À l'époque, on ne s'était pas entendu sur le montant de la bourse. Cette fois-ci, ça se concrétise. On boxera à 71kg. J'aurais préféré un 10 rounds, mais la fédération voulait au départ empêcher le combat car, comme Salahdine n'a jamais boxé en anglaise, il ne pouvait pas affronter un adversaire de groupe A. J'ai dû écrire une lettre pour être rétrogradé en groupe B pour valider le combat.
En France, c'est une première de cette magnitude. Ça vous plaît de jouer un rôle de précurseur ?
C'est un beau défi mais j'ai aussi une grosse pression quand je vois les commentaires depuis l'annonce. Je porte la boxe anglaise face au MMA français.
Floyd Mayweather avait battu Conor McGregor mais Francis Ngannou a mis Tyson Fury au tapis. Vous êtes sur vos gardes ?
Vu la bourse de Fury, je pouvais prendre un Ngannou par bras (rires). Pas de problème !
Vous appréciez la Thaïlande, vous allez effectuer une partie de votre préparation là-bas ?
J'y suis allé plusieurs fois en vacances mais là, ce sera trois semaines pour un camp. Il paraît que c'est à la dure mais je ne connais pas. Mais il y aura des sparrings de qualité. De toutes façons, je n'ai jamais lâché l'entraînement, je suis prêt, je m'entretiens tout le temps.
Ça vous frustre de voir que la boxe a quelque part besoin du MMA pour avoir une certaine forme de médiatisation ?
La boxe anglaise, ça restera la boxe anglaise, pareil pour le MMA. Mais ça ne peut que mettre en lumière la boxe anglaise parce que la lumière est sur le MMA en ce moment. Tony Yoka a fait à peine 2000 personnes à l'Adidas Arena... Ça ne fera pas de mal à la boxe anglaise en France parce qu'elle est morte.
Votre dernier combat a eu lieu en 2024 à la Villette, une défaite aux points en 8 rounds. Cela faisait 3 ans que vous n'étiez pas revenu dans un ring, comment vous étiez-vous senti ?
Je ne me suis pas préparé avec mon père, j'ai voulu changer. J'ai été accompagné par Giovanni Boggia, comme au début de ma carrière, qui est très compétent sur la boxe et la préparation physique. Je veux être clair là-dessus et que ça ne soit pas mal interprêté. J'ai voulu réessayer mais ce n'était plus pour moi, ça ne me correspondait plus. Et puis surtout, je me suis fêlé une côte trois semaines avant, je n'ai pas pu faire la moindre mise de gants en sparring. Je me suis dit que, comme les Géorgiens aiment le corps à corps, j'allais travailler de loin et que ça passerait. Irakli Jeranashvili avait 15 victoires et 15 défaites, normalement, ça aurait dû passer... mais j'ai perdu.
Quand on progresse dans sa carrière, est-ce que la conception de l'entraînement évolue à la même vitesse ?
Mon péché est justement là : il faut que j'écoute. À un moment dans ma carrière, je n'écoutais plus. Et quand tu n'écoutes pas ton coach... Mais plus tu vieillis, plus tu évolues et quand tu veux devenir champion du monde, il faut avoir dans son entourage quelqu'un qui a été champion du monde ou qui a entraîné un champion du monde, quelqu'un qui connaît le truc, qui l'a vécu. Moi, je me suis entraîné à Creil, ma ville natale, pour battre le Real Madrid et le Barça réunis. Contre Brian Castaño, dès l'entraînement public j'ai perdu le combat. Je suis parti avec mon sac sur l'épaule, avec mon père et mon frère, livrés à nous-mêmes comme on avait toujours fait finalement. Lui, il est venu avec tout un staff complet et une grande sérénité. Il avait un préparateur physique, un nutritionniste, le médecin de son père qui était cycliste. Quand j'ai vu ça... Moi je n'ai bu que ça (il montre sa bouteille d'eau qu'il descendra pendant toute la durée de l'interview, ndlr). Je ne savais même pas ce qu'étaient des protéines ! J'ai fait toute ma carrière, sans apport nutritionnel, même des oeufs. Le matin, c'étaient trois Belvita et je sautais le déjeuner. J'avais des facilités parce que j'ai grandi dans la boxe mais physiquement, on ne me mettait pas la bonne essence.
Quand vous devenez champion d'Europe en 2015 contre Orlando Fiordigiglio en Italie, tout le milieu de la boxe était heureux pour vous. Vous l'avez ressenti ?
Franchement, j'ai eu un public de malade. Quand je suis revenu boxer au Cirque d'Hiver (sa première défense contre Roberto Santos, ndlr), quand je levais les bras, j'étais applaudi, j'étais quelqu'un. C'est magique ce que j'ai vécu. Le top, tout simplement.
Vous faites trois défenses victorieuses, puis vous battez par KO Marcello Matano en demi-finale mondiale WBA pour affronter Castaño.
Je n'en pouvais plus, c'était dur en vérité. Je n'avais pas de vie.
Il y a une solitude du champion de haut niveau qui pense toujours à sa prochaine échéance toujours plus élevée ?
Oui, c'est dur. Par exemple, tu dois toujours faire attention au poids. Et puis la boxe m'a rendu solitaire. Tu es tout le temps seul. Parfois c'est tant mieux parce que tu n'as pas à attendre après les gens. On s'habitue mais c'est surtout l'après-boxe, la reconversion qui est difficile. On n'est pas préparé à ça. Moi, j'ai fait tapis sur la boxe. Je suis passé pro à 20 ans, je n'ai jamais travaillé de ma vie. J'ai gagné ma vie avec la boxe, j'ai bien vécu mais je ne me suis pas préparé à l'après.
Cette période post-carrière, vous l'avez imaginé ?
On m'a posé la question mais moi, j'avais la certitude de devenir champion du monde. Je disais que je ne savais pas mais, dans ma tête, j'allais devenir champion du monde et compter mes sous. Ce n'est pas que je rêvais, mais c'était réel : j'allais être champion du monde. Mais quand j'en reparle, une chose me revient : quand on était face à face avec Michel Soro, je lui ai que je croyais en ma bonne étoile. Je suis perché (sourire). Lui m'a répondu : "moi, je crois au travail". Là, il a gagné. Si tu veux être champion du monde, il faut travailler. Lui, il a bien fait, il a quitté la France. Je ne veux pas cracher dans la soupe mais je ne vois pas qui va être champion du monde en France. On sera toujours des ex-futurs champions.
Vous avez disputé un championnat du monde en France, ce n'est pas donné à tout le monde. C'est encore moins anodin quand, par la suite, Castaño a affronté Erislandy Lara et deux fois Jermell Charlo.
Avec le recul, j'arrive à me dire que j'ai fait une belle carrière. Mais je l'ai mal vécu de ne pas être champion du monde. Je sens toujours les gens qui sont derrière moi, j'ai toujours une petite tape dans le dos, les gens sont bien avec moi. Je n'ai pas été champion du monde mais j'ai gagné le coeur des Français et du monde de la boxe française.
Derrière vous, on voit votre armoire à trophées. Elle est bien garnie !
Il manque une ceinture (rires). Il y en a trois de champion de France, la WBC Méditerranéenne, l'EBU Union Européenne et EBU. J'ai toujours mes gants de Bercy, le cadre de meilleur champion d'Europe 2016. Et j'ai été élu combat de l'année en 2015 contre Fiordigiglio.
Que vous a-t-il manqué pour vous doter d'une équipe comme Castaño ?
Je n'ai pas été suivi, un peu abandonné mais, en même temps, je n'ai pas cherché non plus. Je ne voulais pas quitter mon père, je voulais être champion du monde avec lui. Après mon championnat d'Europe perdu contre Rabchenko en Angleterre en 2013, je suis passé à Sheffield pour mettre les gants avec Kell Brook (champion du monde IBF des welters entre 2014 et 2016, ndlr) et j'aurais dû rester. Je ne veux pas dénigrer les entraîneurs français mais on n'a pas les compétences pour faire devenir champion du monde. Ou alors, il faudrait que les frères Acariès reviennent parce qu'eux savaient le faire. Le père Acariès, il me disait (il l'imite) : "mon fils, avec moi, tu serais devenu champion du monde !". Et c'est vrai, parce qu'il m'aurait mis un combat... c'est du business.
Vous avez évoqué Michel Soro. Ce combat est peut-être le dernier qui a rempli une très grande salle et qui a montré qu'il y avait toujours de l'engouement en France malgré le manque de médiatisation.
Aujourd'hui, il n'y a plus vraiment de boxeurs bankable. Fabrice Tiozzo, c'était un sacré champion, il avait son public. Pareil pour Julien Lorcy ou Jean-Baptiste Mendy. Samprace Toutin est celui qu'il faut suivre, il est vendeur, il est sérieux. Et puis, il y a les promoteurs. Sébastien Acariès me doit encore les trois-quarts de ma bourse de Bercy contre Soro en 2019. Je pète les plombs avec cette histoire. Je veux ouvrir ma salle mais je dois me contenter de coaching. J'aime être dans l'humain. En ce moment, je m'occupe d'un gamin qui ne parle pas à son père et, comme j'ai vécu cette situation, j'ai tous les mots qui le touchent et j'arrive à le sortir de ses conneries. J'ai vécu en foyer, la boxe m'a sorti de la merde parce que j'aurais pu avoir les mauvaises fréquentations et mal finir. C'est pour ça que, même maintenant, je reste souvent seul.