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Interview Flashscore - Anne-Sophie Mathis : "Mon introduction au Hall of Fame ? J'étais stupéfaite !"

Anne-Sophie Mathis
Anne-Sophie Mathis JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Championne du monde des super-légères et des welters, Anne-Sophie Mathis sera introduite à l'International Boxing Hall of Fame en juin prochain. Pendant une heure, la Lorraine a raconté sa carrière, ses deux combats iconiques contre Myriam Lamare mais aussi son titre remporté aux États-Unis contre Holly Holm et ses face-à-face avec Cecila Braekus.

Flashscore : vous serez introduite à l'International Boxing Hall of Fame cette année. Comment faudra-t-il vous appeler désormais ? 

Anne-Sophie Mathis : Toujours pareil (rires). J'ai déjà été introduite au Hall of Fame féminin à Las Vegas en 2021. Cette fois, c'est hommes et femmes confondus. Je suis invitée dans l'Etat de New York du 5 au 8 juin. J'ai été surprise par cette nomination à l'IBHOF, faite par des journalistes et des historiens de la boxe. J'étais stupéfaite !

Pour quelle raison ? 

Pour moi, c'était surtout quelque chose de très américain. Mais j'ai un palmarès avec beaucoup de KO et le fait d'avoir détrôné Holly Holm sur ses terres par KO. Ça a dû jouer. 

En France, vos deux combats les plus médiatisés ont été contre Myriam Lamare, avec deux victoires. 

En regardant le combat entre Katie Taylor et Amanda Serrano (le 15 novembre dernier, ndlr), c'est le même genre de combat. Ça fait depuis 2006 qu'on n'avait pas vu ce style de combat, il a presque fallu attendre 20 ans. C'est bien... mais c'est long (sourire). 

À l'époque du premier duel, à Bercy, Myriam Lamare avait une belle cote dans les medias, alors que vous, en revanche, étiez quasiment inconnue pour le grand public. Cette différence vous a nourri ? 

Elle avait dit que la boxeuse qui la battrait n'était pas née... Ça m'a un peu vexé et ça m'a donné envie de montrer que personne n'est imbattable. Quand on est champion, quoi qu'il arrive, on est toujours la personne à abattre. J'avais juste envie de prendre sa place et je l'ai fait. J'ai perdu moi aussi par la suite, on n'est pas irréprochable dans la vie (sourire). C'était la chouchoute des medias et elle devait 80% des fans avec elle, moi 20%, essentiellement ceux de ma région. 

Vous avez remporté la revanche à Marseille, le fief de votre rivale : c'est encore plus fort !

Elle n'a pas su adapter son style de boxe face à une adversaire grande et frappeuse. Elle n'était plus elle-même dans sa nature, elle n'y arrivait pas. Elle mettait un coup sans remiser derrière, elle n'était pas bien, ça se voyait. J'avais su le faire à Paris alors que mon entraîneur me hurlait de ne pas aller à la bagarre. Je savais qu'elle était techniquement meilleure, qu'elle frappait fort aussi et il fallait que je fasse la différence par ma ténacité. Alors j'ai toujours avancé, en prenant forcément des risques. Je n'ai pas écouté mon entraîneur, heureusement d'ailleurs, sinon je pense que je me serais faite ratatinée (rires). 

Anne-Sophie Mathis et Myriam Lamare à Marseille en 2007
Anne-Sophie Mathis et Myriam Lamare à Marseille en 2007BORIS HORVAT / AFP

La difficulté pour vos adversaires était de casser la distance ?

Elle devait jouer sur les esquives, venir à mi-distance et ressortir de l'axe. Au premier combat, elle l'a fait mais sans sortir de l'axe, ce qui me permettait de réattaquer. Selon moi, elle était vraiment meilleure à Paris mais elle a pris beaucoup de coups. Par la suite, elle a voulu éviter de refaire la même chose. 

Ces deux combats auraient-ils dû être des points de départ pour le développement de la boxe féminine professionnelle en France ? Il a fallu attendre la médaille d'argent de Sarah Ourahmoune aux JO 2012 et l'or d'Estelle Mossely pour Rio pour retrouver un minimum de médiatisation. 

À l'époque, Canal+ n'a jamais vraiment été intéressé, Michel Acariès n'y croyait pas spécialement non plus. Et d'un point de vue financier, il ne faut pas rêver. Ce qui aurait pu nous aider à nous développer, c'était de nous faire boxer en amont du main event, dans deux catégories de poids différentes, Myriam en super-léger et moi en moyen. Ça aurait été très intéressant, on aurait boxé l'une et l'autre et après avoir battu plusieurs combattantes, on se serait affronté. Au lieu de ça, on a effacé une championne alors qu'on n'était déjà pas nombreuses. 

Vous avez subi une défaite dès votre deuxième combat, c'est particulièrement rare pour un(e) futur(e) champion(ne) du monde. Vous êtes quasiment une exception. Que vous-êtes vous dit à ce moment-là ?

Cette défaite, contre la Néerlandaise Marischa Sjauw, j'estime que je n'aurais jamais dû l'avoir. À l'époque, j'étais aussi en pied-poing et on m'avait proposé ce championnat d'Europe. À l'époque, on allait à la guerre, sans combat de préparation, totalement à l'arraché. J'avais déjà été championne du monde de pied-poing mais je n'avais aucune reconnaissance. Je suis allée en boxe anglaise mais je n'aurais jamais dû faire ce combat. 

Votre victoire contre Holly Holm vous a-t-elle mis définitivement placé au rang des meilleures de l'Histoire ? 

C'est ce qui a fait le plus parler les fans car j'ai reçu des messages parfois de très loin. Holm avait un très grand palmarès, elle avait affronté les meilleures et elle les avait toutes battues. C'est mon entraîneur qui l'a compris : Albuquerque est en altitude et si on ne se préparait pas en prenant en compte cela, on n'aurait pas les capacités à faire plus de 2-3 rounds. En juin, on était allé faire une conférence de presse en prévision du combat en décembre. Les organisateurs ont fait une grosse erreur !

Laquelle ?

On a demandé à notre traducteur français si on pouvait venir en amont sans en parler aux medias avec quelqu'un qui nous loge, nous trouve une salle et des sparrings adaptées pour un mois. Cela fut très profitable, on a été super bien accueilli. On a été très discret, personne ne le savait jusqu'à une semaine du combat. Quand Holm l'a su, ça lui a mis un coup. Elle en avait même pleuré avant une conférence de presse d'avant-combat. Elle n'était pas à l'aise, très stressée. Mais pour la revanche, on n'avait pas pu faire cette préparation, on a essayé avec les nouveaux boxes d'altitude de l'INSEP. J'ai été l'une des premières à les essayer mais ça n'avait pas marché. En plus, mon entraîneur avait eu des problèmes de santé, on est arrivé à la dernière minute et j'ai senti dès le 2e round que j'avais les jambes coupées. Je savais que c'était foutu. 

Vous avez eu cette sensation aussi rapidement ? 

Je me suis dit qu'elle avait un bon niveau mais que c'était aussi par rapport à ce lieu qu'elle gagnait tous ses combats. Elle disputait tous ses combats chez elle au Nouveau-Mexique. Je ne remets pas en cause ses capacités car c'était une très bonne boxeuse, mais l'altitude y a beaucoup fait. On a rapidement plus de jus, plus d'oxygène. Si on n'y est pas préparé, ce n'est pas la peine. 

Ségolène Lefebvre nous a confié sa difficulté pour trouver des sparrings féminines. Vous vous prépariez essentiellement avec des hommes également ? 

Forcément car on en est toujours au même stade en France, sans assez de boxeuses de très haut niveau. En revanche, en étant proche de la frontière, on allait régulièrement mettre les gants en Allemagne. Mais mon entraîneur me mettait face à des adversaires de toutes catégories, de tous âges, de tous niveaux, femmes comme hommes, pour que je sache m'adapter à tout. En période de préparation, j'allais en Allemagne pour m'entraîner avec des boxeuses à la morphologie équivalente à mon adversaire et aussi dans le style. On ne se prépare pas contre une gauchère quand on affronte une droitière. 

Anne-Sophie Mathis a reçu le Gant d'Argent en 2007
Anne-Sophie Mathis a reçu le Gant d'Argent en 2007JEFF PACHOUD / AFP

Vous avez aussi affronté Cecilia Braekhus, un momument de la boxe féminine qui a unifié les ceintures IBF, IBO, WBC et WBO en welter. Vous êtes allée la première fois à la décision, pas la seconde. Comment est-elle dans le ring ?

Très intelligente. Elle s'est adaptée à ma taille, ma puissance, ma force, ma technique. Elle a été la meilleure et la plus dure à affronter car elle n'avait pas le style qui m'allait. J'avais des difficultés par rapport à sa posture et sa technicité. Elle l'a très bien compris et quand elle a vu que ça fonctionnait, elle est restée sur cette longueur. Quant au deuxième combat, je n'ai pas peur de le dire, c'était juste financier. La boxe, c'est très dur et on n'en gagne pas bien notre vie en France. J'ai reçu une très bonne proposition alors que ça faisait 4 ans que j'avais arrêté. Je m'y suis remise en 6 mois mais on sait très bien que c'est rien. Je ne suis pas montée pour perdre car on se dit toujours que si on gagne, on peut avoir d'autres combats, d'autres promoteurs. J'ai négocié moi-même et on m'a proposé 50.000€, bien plus que ce que je pouvais prendre, de l'ordre de 35.000€. Ce n'était pas rien. Mais comme les tractations étaient par mail, j'avais le temps de réfléchir et je me suis dit que si on commençait par cette somme-là, c'est qu'on pouvait aller au-dessus. J'avais une boule au ventre car je savais que je devrais tout reprendre de A à Z, surtout que je savais comment elle boxait. Je ne voulais pas y aller pour rien. J'ai dit que je faisais le combat pour le double, 100.000€. J'ai attendu deux jours avant qu'on ne me dise OK. Je me suis dit que j'aurais pu demander directement 150.000€ (rires). Ça a été accepté donc je n'ai pas eu le choix de repartir. Mon entraîneur n'était pas dans les thèmes d'argent mais comme j'avais eu une longue carrière sans gagner grand-chose, il a accepté de me coacher.

Ça a tourné court malheureusement...

Au 2e round, j'envoie le bras arrière avec la tête, elle contre en envoyant la tête aussi et ça m'ouvre l'arcade. On est chez elle, l'arbitre m'arrête mais je suis quand même bien sonnée. J'aurais pu repartir car, quand on voit le combat d'Amanda Serrano où elle a la paupière arrachée et qu'on la laisse continuer...Ce combat a surtout servi à mettre en avant Braekhus qui devait battre la "Mike Tyson au féminin" comme on m'a appelé là-bas dans les journaux. C'est ce qui s'est passé et c'est sans regret car j'attendais une revanche, même très tardive. C'est grâce à mon agent Christel Aujoux qui a su aller chercher ce combat. 

Disputer un tel combat est aussi révélateur de votre carrière : ce n'est pas donné à tous les boxeurs de finir par le haut. 

Certains continuent avec de petits combats pour prendre un billet parce que c'est aussi ça qui fait qu'on a envie de continuer. Je n'avais pas cette envie là, j'avais eu une belle carrière, ça n'avait pas de sens. J'ai fait un dernier combat de pied-poing à domicile parce que ça s'est présenté, mais pour le fun. En boxe anglaise, je ne voulais pas finir sur une mauvaise note. 

Vous travailliez en parallèle ?

J'avais un contrat de sportif de haut niveau avec le département et la ville qui m'ont aidé à m'entraîner. Hors période de combat, je reprenais le travail au conseil général des sports, avec des réunions mais sans poste précis. 

Avez-vous des contacts avec des boxeuses françaises ? 

Non et c'est ce que je reproche un peu à la France : on ne sait pas s'entraider. À titre personnel, je suis blessée et la boxe, c'est définitivement fini pour moi car j'ai de l'arthrose à la cheville. À l'époque, je ne me voyais pas le faire, solliciter des boxeuses quand on est en préparation. On ne m'a jamais proposé de mettre les gants. Cela dit, Myriam Chomaz qui est venue m'aider, j'ai aussi tourné avec Nadya Hokmi qui était en lègère et l'Equipe de France, notamment Estelle Mossely. Si on ne va pas chercher les gens, on ne le fait pas de nous-mêmes alors qu'il ne faut pas hésiter à demander. 

En France, la boxe olympique prend beaucoup de place par rapport à la professionnelle. C'est aussi votre avis ? 

Chez les filles, on a d'excellentes boxeuses amateur mais le problème, c'est quand elles passent pro, il n'y a plus rien. D'ailleurs, je n'apparais pas sur le site officiel de la fédération parce que je n'ai jamais été amateur ! Quand on n'a pas les connaissances pour évoluer, on stagne. Même si les promoteurs ne vont pas être d'accord, la FFB devrait reprendre la boxe pro en main. On est trop indépendant, trop mis de côté. Si cela n'a pas été fait, c'est qu'il doit y avoir des raisons... On se rend compte que la boxe est en train de mourir, mais c'est surtout par rapport à la boxe pro. Si elle est relevée et que ça marche, cela aurait de bonnes conséquences sur la boxe amateur. Il faut raccrocher les wagons pour avancer. On a des possibilités, on doit travailler ensemble et cela passe par la FFB, notamment avec des tarifs de base pour les bourses.