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French Delicates-seum ou l'aigrie-culture à la française

French Delicates-seum ou l'aigrie-culture à la française
French Delicates-seum ou l'aigrie-culture à la françaiseAFP
La défaite en finale du Mondial contre l'Argentine a remis à l'honneur la tradition de la défaite à la française, quand le vainqueur ne peut être qu'un tricheur ou un imposteur.

Serait-il possible de perdre sans en faire toute une histoire, en félicitant l'adversaire, en analysant ses propres failles, en relativisant, en acceptant le chambrage, même s'il n'est pas particulièrement fin, en laissant simplement au sport la place qu'il a réellement ? Depuis 1976 et les fameux poteaux carrés de Glasgow sur lesquels se sont heurtés les tentatives stéphanoises lors de la défaite contre le Bayern Munich en finale de la Coupe d'Europe des clubs champions, il faut toujours qu'un revers français s'accompagne de reproches à l'égard du vainqueur, toujours chanceux quand il n'est pas rustre, roublard, tricheur, violent. 

En 1982, au stade Sánchez-Pizjuán, la France se saborde, submergée par ses propres émotions, la sortie lunaire non sanctionnée d'Harald Schumacher sur Patrick Battiston et une séance de tirs au but manquée, déjà. 40 ans plus tard, on en fait encore des documentaires, preuve que ce match est fondateur dans l'imaginaire collectif du valeureux mais trop gentil français, vaincu par le cynisme étranger. 

En finale du Mondial 2006, le méchant Marco Materazzi a privé le gentil Zizou d'une deuxième étoile. La finale de l'Euro 2016 ? Perdue contre des Portugais s'évertuant à refuser le jeu face à une France flamboyante. Deux ans plus tard, alors que la Belgique a dominé sans conclure, les Français se moquent du "seum" des Diables rouges, bien conscients d'avoir manqué le coche. Le chambrage dure depuis plus de 4 ans. 

Mémoire sélective

Apparemment, ce seum est contagieux. Lors de l'Euro en 2021, la Suisse n'est qu'un accident, la France a été tellement meilleure... En 2022, en finale, il n'y avait pas penalty sur Ángel Di María, ce qui, rétrospectivement, est savoureux quand on se souvient qu'en finale en 2018, la faute qui amène le coup franc sur l'ouverture du score est fort généreux et que le penalty du 2-1 est accordé après une vérification interminable de la VAR. Le 3e but argentin ? Il aurait dû être invalidé car deux joueurs étaient sur le terrain à l'autre bout du stade. Des arguments avancés par une partie de la presse française qui s'est ridiculisée dans le monde entier ! Dans le même cas de figure à la 123e minute, à ceci près que les remplaçants tricolores étaient du côté où se déroulait l'action, la validité de la frappe de Randal Kolo Muani n'aurait soulevé aucun problème et les éventuelles plaintes argentines auraient été moquées. 

La violente Albiceleste qui aurait eu, en plus, le mauvais goût ne pas féliciter immédiatement les Bleus plutôt que célébrer le titre d'une vie, les penalties toujours tendancieux marqués par Lionel Messi (penalties toujours explicitement décomptés, mais opportunément oubliés pour évoquer le triplé de Kylian Mbappé, dans une sorte de remake footballistique du bon et du mauvais chasseur), l'obscène Emiliano Martínez qui a, crime de lèse-majesté, osé chambrer l'étoile Mbappé dans le vestiaire et pendant la parade à Buenos Aires (alors que la satire et la moquerie ne concernent que les grands, pas les subalternes) : tout est bon pour se plaindre. Toujours plus simple que d'expliquer pourquoi les Bleus n'ont eu aucun impact et ont été sans solutions les 3/4 du match, ont dû attendre la 71e minute pour enfin tirer aux cages et la 80e pour cadrer... sur un penalty venu de nulle part tant la domination adverse était sans partage. Et d'oublier que les tirs au but se travaillent, surtout quand aucun joueur n'a échoué face à un gardien français depuis la transversale de Luigi di Biagio en 1/4 de finale du Mondial 1998...

Jusqu'à preuve du contraire, c'est bien Mbappé qui a lancé les hostilités, en mai dernier, dans un entretien télé accordé à TNT Sports, une chaîne mexicaine : "L'avantage qu'on a, nous les Européens, c'est qu'on joue toujours entre nous et on a des matches de haut niveau tout le temps, comme par exemple la Ligue des nations. Quand on arrive à la Coupe du monde, on est prêts, là où le Brésil et l'Argentine n'ont pas ce niveau-là en Amérique du Sud. Le football n'est pas aussi avancé qu'en Europe. C'est pour ça que les dernières Coupes du monde, quand vous regardez, ce sont toujours les Européens qui gagnent". Vous pensiez sérieusement que la violence de ces déclarations serait oubliée dans toute l'Amérique du Sud, voire par Neymar, Marquinhos et Messi s'ils devenaient champions du monde ? 

Le droit au silence

De plus, ce n'est pas le président argentin, sagement resté à Buenos Aires quand son pays connaît une inflation de plus de 90% (et qui a été snobé par les joueurs, fait inédit depuis le retour de la démocratie), qui s'est donné en spectacle dans la loge officielle avant de s'incruster sur la pelouse. Le comportement exubérant d'Emmanuel Macron, aussi sincère et spontané soit-il, a été pointé du doigt partout dans le monde, et ce n'est pas forcément pour en dire du bien. Et c'est sans parler de la tenue débraillée de Noël Le Graët, représentant d'une institution de plus de 2 millions de licencié(e)s, lors de la remise des médailles et du trophée.

Sans oublier, l'intervention radiophonique ce jeudi de Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (?!) qui réclame à la FIFA la destitution de "Dibu" Martínez comme meilleur gardien du Mondial, alors que le mot d'ordre en début de compétition du président et du gouvernement était de ne pas politiser le sport au moment des polémiques sur le travail des ouvriers immigrés, de la place de la femme dans la société qatarie et du port du brassard "One Love" en soutien à la cause LGBTQ+... Et vu les récents et nombreux cas de violences dans les stades français (sans oublier les agissements des forces de l'ordre lors de la finale de la Ligue des Champions en juin dernier qui est une humiliation pour la France autrement plus grave qu'une poupée dans une parade de l'autre côté de l'Atlantique), nous ne sommes peut-être pas les plus à même de juger la violence des autres... 

Que la mauvaise foi soit l'apanage des supporters, c'est de bonne guerre. Les stades sont rarement des temples du bon goût et aucun d'entre nous ne peut jurer n'avoir jamais eu un comportement imbécile dans une enceinte sportive. En revanche, quand la presse et la classe politique s'en mêle, c'est autrement plus accablant car cela véhicule les clichés, les stéréotypes et les contre-vérités. C'est à elles de prendre de la hauteur. Peu importe le pays, c'est toujours monnaie courante et c'est accablant à chaque fois. Mais de la part d'une Nations qui joue les parangons de vertu et dont l'arrogance est abhorrée (ce n'est pas seulement pour Messi que l'Argentine avait la cote partout sur le globe), il faudrait peut-être, pour une fois, faire profil bas. Juste pour voir comment ça fait. C'est peut-être moralisateur de l'exprimer, mais face à d'autres moralisateurs... Car en voyant les réactions aussi outrées que surjouées de nombreux Français, notamment sur les réseaux sociaux, la tentation d'en rajouter est encore plus forte chez le pays vainqueur. Alors probablement que l'Argentine ne sait pas gagner, qu'elle en fait trop et mal, qu'elle manque de classe dans la victoire. Mais la France, elle, n'a jamais su perdre autrement qu'en geignant.