Comment vous vous sentez avant de jouer cette demi finale contre l’OL ?
Très bien, mais c'est vrai qu’on sent un petit peu de fatigue en cette fin de saison. De la fatigue physique et mentale, mais comme chaque année. Mais sinon globalement, très bien. On a fait une belle saison donc ça fait du bien. On a moins de pression que les années précédentes, où on ne savait pas si on allait se maintenir ou pas. Ce n’est vraiment pas la même chose quand on se bat pour se maintenir ou pour être dans le top 4. Ça change tout, ça fait vraiment du bien.
Il y a deux ans, vous vous êtes sauvées lors de la dernière journée. Vous y avez pensé quand vous vous êtes qualifiées pour ces playoffs ?
On n’était pas vraiment satisfaites de nous après le match nul contre Montpellier (0-0), donc le sentiment était un peu mitigé malgré la qualification en playoffs. Mais on pense quand même à ces saisons-là. Parce qu'on a vécu des années très difficiles. Et d'être là où on est aujourd'hui, c'est une motivation supplémentaire. Ce sont des moments qu'on a vécu ensemble, qui nous ont soudés aussi bien. On revient de très loin avec peu de moyens. Donc, en global, si je regarde les dernières années, c'est quand même incroyable.
Au début de la saison, vous ne vous imaginiez pas jouer cette quatrième place ?
Non, pas forcément. On savait qu'on voulait s’améliorer, comme chaque année, mais de faire une saison aussi au top, je ne l’ai jamais imaginé. Et avec le temps, on s'est mis des objectifs un peu plus haut. Dans le foot, tout peut changer très vite. Mais je n’aurais jamais pensé être ici.
"On était très bas, on s’est battu pour se maintenir et là maintenant on joue les playoffs."
C’est quoi selon vous la clé de ce succès ?
Il y avait beaucoup de nouvelles joueuses dans l’équipe, mais le vestiaire fonctionne très bien. Entre nous, on a une bonne ambiance, la concurrence est très saine. On a un bon mélange entre des joueuses internationales et des Françaises et pour moi, ça c'est un point le plus important. Match après match, après, on se connaît mieux maintenant sur le terrain. On a une équipe qui est assez stable, ça aide beaucoup. Quand je regarde un petit peu les autres équipes sur les dernières années, il y a beaucoup de changements. Et c’est difficile d’être constant dans ces circonstances-là. Je pense que c'est un des points fort dans notre équipe : il y a toujours une même base qui est restée à Dijon.
Et vous justement, vous faites partie de ces piliers de l’équipe (elle est arrivée en 2022 à Dijon).
On a travaillé dur. Je me souviens en avoir discuté avec Vicky Pinter, qui est là depuis un an, qui m'a dit : "Vous, vous voyez tout le chemin parcouru, mais moi je suis nouvelle !" Et c'est ça exactement : on était très bas, on s’est battu pour se maintenir et là maintenant on joue les playoffs. On ne s'est jamais imaginé pouvoir être là un jour.

En championnat vous n’aviez pas été ridicule face à l’OL (défaites 0-2 et 0-3), comment vous abordez cette demi-finale ?
On n'a vraiment rien à perdre. On fait déjà une super belle saison. Après, il ne faut pas se mentir, c'est une équipe qui joue le très haut niveau. Et notre effectif est un peu réduit en ce moment avec les deux Chinoises qui sont parties (en sélection, ndlr) et qui vont revenir juste là ce week-end. Donc ça va difficile pour nous mais on va tout faire pour mettre cette équipe en difficulté. C'est comme un match de coupe. La coupe amène un petit peu cette insécurité, de pouvoir perdre contre n'importe qui. Peut-être que dans les playoffs, c’est un un peu pareil.
Il y a d’autres facteurs qui font que ça fonctionne bien cette saison ?
On a eu un bon dialogue avec le staff au début de saison sur tout ce qui concerne la santé féminine et le cycle menstruel. Ce qui sont des choses différentes des garçons. Le staff est plus à l'écoute aussi. Et pour gérer une saison, c'est très important. Ce sont des choses que l’on demandait aussi au staff, nous les taulières du vestiaire. Mais le plus important, ça reste le travail de l’équipe. C'est nous qui avons fait tout le boulot. On est un bon groupe, avec des joueuses qui jouent au haut niveau et qui savent jouer au foot. Pour moi, c'est pour ça qu'on fait une belle saison.
Il y a plus de professionnalisation cette saison, vous le ressentez ?
Moi je trouve que oui, même s’il y a encore beaucoup de choses à faire. On a déjà fait un grand pas envers la santé des joueuses, pour les garder en forme et en bonne santé. J'ai l'impression que ça va en s’améliorant en général dans le sport féminin.
Qu’est-ce qui a été mis en place précisément au quotidien ?
C’est suivre comment je mange, le tracking des joueuses pour savoir dans quelle phase de cycle sont les joueuses pour adapter le pré-échauffement, les séances de force… On a individualisé un peu cette saison. Moi perso, je travaille comme ça depuis cinq ans en sélection, mais c’est bien que ça soit fait en club, qu’on nous écoute.
"Des fois c'est quand même le bazar, on parle toutes les langues pendant les séances."
Dans le groupe de Dijon cette saison, il y a neuf nationalités différentes. Comment on construit une équipe avec autant de cultures différentes ?
C'est une bonne question. Je pense qu'on a besoin de quelqu'un comme moi qui parle cinq langues. Ça aide déjà beaucoup. Mais aussi des joueuses françaises qui n'ont pas peur de parler anglais. Parce que j'ai remarqué que c'est un peu difficile pour des Françaises de parler anglais, mais on a vraiment un groupe qui, des deux côtés veut s’intégrer, veut parler, veut se comprendre. C’est le plus important. Des fois, même si on ne comprend pas, tu peux montrer où tu veux le ballon avec tes mains… Le plus important c’est qu’on s’entende sur le terrain. Des fois c'est quand même le bazar, on parle toutes les langues pendant les séances. On rigole aussi beaucoup de ces moments-là, c’est un mélange entre être sérieux et savoir rigoler, mais ça nous rapproche.
Sur les vidéos, on voit que Sébastien Joseph, votre coach, donne les consignes en anglais parfois. Il parle d’autres langues ?
Non, il ne parle que français et anglais, mais c'est déjà bien pour la France. Quand il parle anglais, les Françaises ne comprennent pas. C’est bien de leur montrer aussi que c'est difficile quand tu es étrangère et que tout le monde parle français. On s'est toutes améliorées je trouve.
Vous avez pris du plaisir à jouer toutes ensemble ?
Avec les joueuses qu'on a aujourd'hui, oui, c'était un plaisir de jouer avec elles. Surtout quand tu gagnes des matchs, après en avoir perdu beaucoup… Je pense que je n’ai jamais perdu autant de matchs que lorsque je suis arrivée à Dijon. Et après, tu commences à gagner des matchs, ça fait du bien et ça te donne de la force aussi.
En-dehors des terrains, cette saison a été difficile, avec des licenciements économiques en cours de saison…
Elle a été difficile pour tout le monde. Pour le club, pour les gens qui y travaillaient, pour les garçons aussi… Mais en même temps, on se disait qu'il fallait qu'on rende cette saison plus belle pour leur redonner un petit peu ce qu'ils méritent. Je suis super fière de mon équipe parce qu'on est resté focus, on est resté concentré sur nous et sur nos résultats. Mais j'avoue que ce n'était pas facile pour nous.
Et vous leur aviez affiché votre soutien en avant match avec des pancartes.
On est une équipe qui a des valeurs, des joueuses qui, comme moi ou d’autres, sont là depuis longtemps ou qui jouent du foot depuis longtemps. Donc ça s’est fait naturellement. Moi, je suis de la génération qui s'est battue aussi pour pouvoir jouer au foot. Ce n'était pas toujours facile. Donc, on se bat pour le droit de jouer, pour le futur du foot féminin. On ne le fait pas que pour nous. Les valeurs du foot féminin, ce ne sont pas que du foot, c'est beaucoup plus que ça.
Est-ce que pour vous, c'est la meilleure saison de votre carrière ?
Non, je ne peux pas dire ça, parce que je me suis fixé des objectifs que je n'ai pas encore accomplis. Mais globalement avec l'équipe, oui. Je pense qu'en championnat, c'était notre meilleure saison. Moi, personnellement, je pense qu’on aurait pu faire encore mieux dans un autre contexte. Mais peut-être que je suis un peu trop ambitieuse. Mais non, globalement, pour le DFCO, pour nous tous, pour l'équipe, c'était une des meilleures saisons à Dijon, ça c'est clair.

J’imagine que quand vous entendez qu’après une telle saison, le DFCO réfléchit à se séparer de sa section féminin, c’est décevant.
D'un côté oui, au début c'était compliqué. Surtout en termes de communication avec la direction. Mais beaucoup de temps s’est écoulé depuis et le plan a changé. On a eu des conversations très importantes. Parce qu'à Dijon, c'est important que le DFCO ait une équipe féminine mais aussi une formation. Parce qu'on est le seul club professionnel de la région. Donc il va y avoir un futur très intéressant pour nous. On va rester dans le club. On va juste changer les structures. Je trouve que c'est important pour tous les clubs en France d'être indépendant des garçons, d'avoir une stratégie qui convient au foot féminin en général.
Le président a mis ça en place, avec une agence qui est derrière le foot féminin ou le sport féminin en général. Et c’est un bon signal. Je pense que le président a eu des difficultés au début quand il a repris le club, parce que le club est endetté financièrement. Et pour nous, ça a bien changé. Donc la vision, c'est d’être indépendante et je pense que ça c'est un bon pas vers l’avant.
"Je ne suis plus inquiète pour le football féminin à Dijon, mais je suis inquiète pour le football féminin français en général."
Donc vous n’êtes pas inquiète pour l’avenir du football féminin ?
À Dijon, non. Je ne suis plus inquiète. On a eu des discussions qui ont été importantes les dernières semaines et je pense que cette indépendance, c’est la clé. C'est important pour le foot féminin en général en France .Il y a beaucoup de clubs qui sont dans la même situation. Il y a des présidents qui veulent se séparer de leur équipe féminine. Donc, c'est un thème commun. Mais à Dijon, je peux dire qu'on est sur la bonne voie pour créer quelque chose d’important pour le football féminin.
Mais je suis inquiète pour le football féminin français en général. Si on le compare avec les autres pays, ces dernières années, il n'y a pas grand-chose qui a changé. Il y a d'autres clubs qui ont de grandes difficultés aussi. Mais j'espère qu'il va y avoir un moment où tout le monde va réaliser que le foot féminin va exister avec ou sans nous, sans des gens qui sont déjà là ou qui vont partir. Pour moi, c'est aussi à la fédération de mettre ça en avant et de se battre pour de meilleures structures.
Et vous, les joueuses, vous pensez avoir votre part de responsabilités là-dedans, pour faire bouger les choses ?
Ah oui, bien sûr. Je pense qu'on est même responsable de parler de tout ça, d'être honnête ouvertement et de dire aussi à tout le monde, à la maison, à ceux qui nous regardent ou qui viennent au stade, qu'on n'est pas au top encore aujourd’hui, qu’on n'a pas les bonnes bases et il faut que tout le monde le sache. J’avais l'impression que tout le monde se foutait un petit peu du foot féminin et il faut qu'on parle, il faut qu'on se soutienne toutes. Les joueuses des autres clubs aussi, celles de l'OL ou de PSG, qui sont dans de meilleures conditions que nous, par exemple. Elles qui doivent se battre pour nous. J’ai déjà entendu des joueuses comme Eugénie Le Sommer ou Wendie Renard en parler. C’est important, pas seulement pour nous, mais aussi pour toutes les générations qui arrivent après.