Comment ça va ? Comment se passe votre début de saison ?
Ça va bien, merci. Le début était bon. Je suis revenue un peu plus tard car j’étais avec la sélection, donc j’ai rejoint le groupe sur la fin de la préparation. Mais j’ai enchaîné une ou deux semaines très solides pour rattraper le rythme des filles. J’ai joué un match de pré-saison contre l’Ajax puis notre première rencontre de championnat contre Lens la semaine dernière.
Ce premier match s’est soldé par un nul face à un promu. En affrontant Nantes maintenant, j’imagine que vous voulez faire mieux.
À 100 %. Parfois ça arrive, on ne prend pas les trois points. Mais pour une équipe comme la nôtre, le PSG, l’objectif est de gagner chaque match. On peut dire que c’était la reprise, etc., mais on a clairement davantage à montrer, davantage à donner. Ce match est derrière nous ; on n’a pas pris les trois points, mais à l’avenir, face à un promu, on doit s’imposer.
Vous n’avez joué qu’un match de championnat et vous étiez off le week-end dernier, en raison de la Coupe LFFP où les clubs européens ne jouent pas. C’est difficile de gérer un début de saison aussi morcelé ?
Un peu. J’aurais préféré enchaîner les matchs pour garder de la continuité. Cela dit, nos entraînements sont très intenses : on essaie de recréer les exigences d’un jour de match quand on n’en a pas le week-end. On a fait le travail à Poissy et on aborde la prochaine rencontre comme si on avait joué.
Nantes vous avait posé des problèmes la saison dernière en championnat, chez elles à domicile, mais vous aviez gagné 6-1 en Coupe de France. À quoi vous attendez-vous cette fois ?
Nantes, c’est toujours piégeux. Le premier match avait fini 1-0, le second 6-1. Elles jouent souvent en 3-5-2, ce qui n’est pas simple à attaquer. Contre nous, la plupart des équipes adoptent un bloc bas pour protéger le but et misent sur les transitions pour ne pas s’exposer. Je m’attends donc à un bas bloc, avec des sorties rapides. À nous d’être prêtes : chaque match sera disputé.
On a l’impression que beaucoup d’équipes de milieu et bas de tableau se sont renforcées. Est-ce que ça complique encore la tâche du PSG, alors que vous êtes attendues chaque week-end ?
Forcément, mais c’est la norme ici et c’est ce qu’on veut : vivre avec ces attentes. On est dans un club qui vise haut : gagner le championnat, aller loin en Ligue des champions, etc. Tout le monde se renforce, c’est le but des périodes de transferts. Chaque année, c’est plus dur, pour nous comme pour les autres.
"On veut tout gagner"
Contrairement à l’an passé, vous êtes assurées de jouer la Ligue des champions. Ça change quoi dans le groupe ?
Personnellement, pas tant que ça. Que ce soit un tour préliminaire ou la phase de ligue, un match de Ligue des champions reste un match que tu veux gagner. Ce n’est pas parce qu’il reste d’autres matchs derrière que celui-ci compte moins. Chaque rencontre est importante et tu dois la gagner pour te mettre dans la meilleure posture. Donc je ne pense pas que ça soit vraiment différent de la saison passée, en tout cas de ce que je ressens.
Mais c’est un peu moins de pression que l’an dernier, quand vous aviez perdu face à la Juventus et n’étiez pas aller en phase de poules…
Oui, on peut dire qu’il y a un peu moins de pression. Le format change aussi avec une phase de ligue, comme chez les hommes, on a deux matchs de plus. Pour la préparation, ça ne change pas fondamentalement mon approche : qu’il y ait cinq ou dix matchs, on veut tout gagner.
Votre équipe est particulièrement jeune cette saison, avec peu d’expérience européenne. Comment gérez-vous ça ?
Il faut élever son niveau et montrer l’exemple. Je n’ai pas non plus une énorme expérience, je suis encore jeune mais dans ce groupe je fais partie des plus âgées. À nous d’être des repères, de soutenir celles qui ont déjà de l’expérience et d’accompagner celles qui arrivent.
On sent un changement de projet au club avec davantage de jeunes formées au PSG.
Oui, il y a plus de jeunes, et ce sont de très bonnes joueuses. J’ai totalement confiance : à 17 ans, elles font des choses que je ne faisais pas à leur âge, elles ont énormément de potentiel. Je crois pleinement en ce projet. C’est rafraîchissant qu’un club fasse confiance à ses joueuses formées. Notre rôle, c’est aussi de les aider à être prêtes pour les grands rendez-vous. Peut-être que ça sera une demi-finale de Ligue des champions où une joueuse 17 ans devra faire son entrée. Il faut se soutenir et rester une équipe.
Que leur dites-vous si elles ont un peu d’appréhension ?
Je ne parle pas vraiment avec elle parce que je parle anglais, alors je fais des "high-five", j’apporte des ondes positives pour faire retomber la pression et garder de l’intensité sans rendre l’environnement hostile. Je peux être très sérieuse mais aussi légère et faire des super blagues. Il y a des moments pour rigoler et d’autres pour être super sérieuse. Je veux juste qu’elles se sentent libres d’exprimer qui elles sont, qu’elles aient confiance en leur jeu. Ce n’est pas que "l’équipe des anciennes", c’est la leur aussi, donc il faut créer un cadre sain et joyeux, c’est ce qui fait gagner un groupe.
Votre nouvel entraîneur Paulo Cesar veut justement cette ambiance très positive.
Clairement. C’est la culture qu’on veut renforcer. Quand l’environnement est sain, toute l’équipe, pas seulement les onze joueuses titulaires, peut performer.
"Je veux garder la faim et la motivation de la remplaçante qui doit prouver chaque semaine"
Avec les départs de l’été, vous avez un nouveau statut : titulaire indiscutable, l’une des plus expérimentées, alors que vous n’avez que 24 ans. Comment le vivez-vous ?
Je ne dirais pas "indiscutable", rien n’est garanti dans le foot. Disons que mes chances sont plus élevées. Et c’est nouveau pour moi : depuis que j’ai quitté la fac il y a deux ans, j’ai toujours été cette joueuse obligée de prouver qu’elle méritait sa place, qui n’était jamais une titulaire régulière. J’ai souvent dû tout donner pour avoir des minutes, sans jamais pouvoir "gérer". Je sortais du banc chaque semaine. Quand ton statut évolue, on peut se reposer, mais je veux éviter ça. Je veux garder la faim et la motivation de la remplaçante qui doit prouver chaque semaine. Que je joue 90 ou 10 minutes, je veux aider l’équipe et montrer ce que je sais faire.
C’est dur d’avoir confiance en soi quand on n’est pas titulaire chaque semaine…
Oui. Toutes les joueuses aiment la constance. L’an dernier, au PSG, je pouvais enchaîner deux titularisations puis ne pas démarrer le match suivant. C’est usant. Mais c’est l’environnement que j’ai choisi : plus on monte en grade, plus c’est compétitif. Dans un des meilleurs clubs du monde, c’est normal. Tu peux aller dans un club moindre pour être sûre d’être titulaire, mais tu pousses tes limites moins loin.
Votre parcours entre les Pays-Bas où vous êtes née, l’Angleterre où vous avez grandi, puis les États-Unis, où vous avez éclos forge aussi le caractère.
Oui. J’ai vécu et joué dans plusieurs pays, et j’en retiens toujours quelque chose, sur et en dehors du terrain. Ces expériences m’ont façonnée et j’en suis reconnaissante.
Ce nouveau statut au PSG s’accompagne-t-il d’une pression particulière ?
Il y a de la pression, oui, mais cela fait deux ans que je n’étais pas une titulaire régulière et c’est ce que je voulais depuis longtemps. Je ne sais pas de quoi la saison sera faite, mais je suis surtout excitée : j’ai enfin l’occasion de montrer vraiment ce que je sais faire. C’est difficile d’alterner une semaine oui, une semaine non. J’espère que cette saison sera différente.
Que vous a dit le coach à propos de ce nouveau rôle ?
Il attend plus de moi que la saison dernière, vu qu’on l’a eu un mois l’an passé, notamment d’apporter de l’énergie et des ondes positives à l’entraînement. Il ne m’a pas dit que j’étais "titulaire indiscutable", et je ne suis pas quelqu’un qui a besoin qu’on me le dise.
"Cette saison, je me sens beaucoup plus libre"
Sur le plan du jeu, qu’attend-il de vous ?
Je suis milieu offensif, une 10. Mon rôle, c’est marquer, faire marquer, créer, conserver le ballon, et contribuer défensivement. En tant que milieu, je dois soutenir tout le monde autour de moi et créer du jeu. Il me laisse aussi de la liberté, c’est là que je suis la meilleure. En tant que joueuse, quand votre entraîneur vous limite à une ou deux choses, vous commencez à vous prendre la tête et à douter de vos propres capacités. J'apprécie toujours quand un entraîneur reconnaît rapidement que je suis meilleure quand je suis libre, pas seulement dans le sens où je fais ce que je veux, mais aussi en termes de créativité. En tant qu’entraîneur, vous devez laisser vos joueuses être aussi créatives que possible et essayer de ne pas trop les limiter. Cette saison, je me sens beaucoup plus libre, tout en recevant des consignes claires.
On vous sent encore plus tournée vers l’attaque cette saison. Vous vous êtes fixée des objectifs de buts ou passes décisives ?
J’ai dépanné en numéro 9 contre Lens parce que Romee (Leuchter) était malade, mais sinon mon rôle reste le même. Chaque année, mon objectif c’est 10 buts et 10 passes décisives. Si je finis au-dessus, tant mieux. Au minimum, c’est mon seuil pour estimer avoir fait une saison correcte.
Qu’attendez-vous de la saison personnellement ?
Je veux qu'on gagne tous les matchs et qu'on joue ensemble, comme une équipe. Ce sera difficile, nos plus grands rivaux sont Lyon et le Paris FC mais les autres matchs ne seront aussi pas faciles. Je veux qu’on récupère la Coupe de France qui nous a échappée la saison passée, bien lancer notre campagne européenne avec confiance, et surtout afficher un vrai jeu collectif. Quand l’équipe joue bien, les résultats suivent.
Certains médias et fans disent que le PSG a perdu des stars cet été sans recruter de grands noms. Vous restez positive ?
À 100 %. Je crois en mes coéquipières et en le staff. Une équipe n’a pas besoin que de "grands noms" pour performer. Parfois, quand il y a trop de stars, cela ne fonctionne pas. Il faut un équilibre. Je trouve qu’au PSG nous avons trouvé un équilibre sain : nous avons recruté, il y a des grands noms et des jeunes affamées. Je vois ces filles chaque jour à l’entraînement. De l’extérieur, on ne voit qu’un match, bon ou mauvais, mais globalement, nous on est optimistes.
"J'ai eu l'impression de perdre connaissance pendant une demi-seconde"
Vous avez manqué une partie de la pré-saison à cause de la CAN, que vous avez remportée avec le Nigeria. Qu’avez-vous ressenti en revenant au club avec ce titre ?
C’était super. Je ne suis pas une grande fêtarde, donc je suis arrivée tranquille, j’ai dit bonjour à tout le monde, c’était une journée normale pour moi. Mais les filles ont été adorables. Tout le monde me félicitait et elles m'ont accordé un peu d’affection, puis elles ont commencé à me taper avant l’entraînement… Mais c’était amical (rires) !
La finale était folle : vous étiez menées 2-0, vous finissez par gagner 3-2, comment vous avez vécu le match ?
Honnêtement, je ne démarre pas le match et je vois les deux buts encaissés en 20 minutes… Je me suis dit : "Ça va être le jour le plus long de ma vie". Puis je me suis reprise et je me suis dit que je ne pouvais pas penser comme ça, que nous devions continuer à travailler, que je devais continuer à encourager les filles depuis le banc. Je me suis dit : "Continue à encourager, et si tu entres, tu donnes tout !" Dans les vestiaires, on s’est dit qu’on était trop passives en première période et je pense qu’on aurait pu commencer la rencontre en les pressant davantage. Je pense que nous leur avions accordé un peu trop de respect. Nous nous sommes dit qu’il nous restait 45 minutes, et que nous n'avions absolument rien à perdre, qu'il fallait juste les presser à fond. Je suis entrée vers la 55e, on a pressé, marqué, marqué, marqué et fini par renverser le match, 3-2. Et c’était un très très bon moment.
Et vous inscrivez le but de la victoire. Vous avez eu quelles sensations à ce moment-là ?
C’était vraiment dingue. J'ai l'impression qu'avant que la balle ne m'arrive, j'ai perdu connaissance pendant une demi-seconde, comme si elle était tombée juste devant moi. Et je me suis dit qu'elle avait rebondi, alors j'ai juste frappé la balle. Je ne le touche même pas vraiment du pied, plutôt ici (elle montre le haut de sa cheville). Je me suis dit : "Allez, touche-la, s'il te plaît, touche-la, Joe", et puis elle est entrée. J’ai commencé à courir partout, j’étais tellement heureuse !
C’était votre premier titre avec le Nigéria, qu’est-ce que ça signifie pour vous ?
Cela signifie beaucoup pour moi. On a parfois des difficultés structurelles : des questions fédérales, des demandes sur les primes, l’équipement… Alors j'ai souvent l'impression que les choses sont contre nous et on se dit : "Wow, on est déjà désavantagés, ça va être difficile à cause de telle ou telle chose !" Donc quand on gagne on se dit que malgré tout ça, on a gagné. Imaginez comment cela sera quand les choses commenceront à aller mieux. Je pense que cela nous a donné confiance dans le fait que nous formons une bonne équipe. Ça m'a rendue enthousiaste pour l’avenir. J'espère que les choses vont continuer à s'améliorer et que cela apportera plus d'investissements dans le football féminin et plus de confiance de la part des dirigeants. Il y a encore une autre CAN l’an prochain, puis la Coupe du monde, beaucoup de beaux défis.
Avant cette CAN, la pression était énorme : tout le monde vous imaginait déjà en finale contre le Maroc, que vous "deviez" gagner. Comment vous avez géré ça ?
Pendant le tournoi, je n’ai pas ressenti tant de pression. Je pense que cela vient beaucoup des réseaux sociaux, et on peut s’en préserver en n’étant tout simplement pas sur les réseaux sociaux. J'évitais simplement certaines choses, certaines pages, j’essayais de me restreindre à ce dont j’avais réellement besoin. Si vous êtes quelqu'un qui ressent beaucoup de pression, ne restez pas sur les réseaux sociaux, si vous êtes quelqu'un qui s'en fiche, allez-y autant que vous le pouvez, mais trouvez simplement ce qui vous convient personnellement. Je ne ressens pas vraiment de pression mais j'ai quand même évité certaines choses.
"Des jeunes me regardent, c’est touchant"
C’est facile de se tenir à l’écart des réseaux sociaux quand on a 24 ans ?
Au début du tournoi, quand on a affronté l’Algérie… Les supporters algériens sont très engagés, ils sont très nombreux donc ils venaient me faire une blague ici ou là. Mais quand vous en recevez des dizaines… Je suis plus âgée et j'ai vécue plus de choses et j'ai pris confiance en moi en tant que joueuse, je sais ce qui m’affecte, la quantité de messages que je reçois…
Vous arrivez parfois à vous déconnecter de cette pression et du football ?
Oui. Quand on a des jours off, je décroche. Cela dépend du nombre de jours que j’ai : sur une journée, je reste à la maison, je range et nettoie un peu. Mais si j’ai deux jours, je pars voir un peu ailleurs. Je suis allée à Annecy le week-end dernier, j’ai visité, changé d’air, déconnecté de ma réalité comme joueuse de foot.
Vous n’avez pas de passions en dehors du foot ?
Pas vraiment… J’hésite à m’acheter une guitare… ou un ukulélé ! Comme ça je peux l’emmener dans le bus (rires). Je sens que les filles vont être fâchées contre moi si je fais ça, je le sais.
Vous êtes un modèle pour beaucoup de jeunes Africaines. Vous en avez conscience ? Comment le gérez-vous ?
J’imagine que oui, même si j’y pense peu : je me sens encore jeune et que je dois encore prouver. Mais je sais que des jeunes me regardent, c’est touchant. C’est même un peu amusant. Ma « méthode », c’est d’être moi-même : je poste un peu sur Snapchat, je danse, je fais des blagues. Il y a ce cliché de la footballeuse, où on vous dit de faire votre travail et de jouer au foot, et qu'après ça, vous n'avez pas de vie. Moi, j’ai une vie : je vais faire du vélo autour du lac, je faire telle ou telle chose. Et côté foot, je montre aussi mes séances à l’intersaison, mes entraînements. Si je m’entraîne chez moi avec mon coach, je lui demande de filmer pour partager. Et si le soir je sors dîner (pas en club !), je le montre aussi : c’est un jour sans entraînement.
Avec tout ce que vous avez déjà vécu, les différents pays où avez vécu, les différents clubs, la CAN… C’est un peu fou d’avoir vécu tout ça à seulement 24 ans ?
Un peu, oui. Mais quand on est dedans, on ne s’en rend pas compte. C’est quand quelqu’un te dit : "Tu as vécu ici, là, tu as fait ci, ça" que tu réalises. Au quotidien, tu avances jour après jour. Je suis très reconnaissante pour toutes ces expériences, ça m'a vraiment aidée à devenir qui je suis aujourd’hui.