Exclu - Alexandre Lafitte : "Le Stade d’Abidjan, c’est un géant qui était endormi"

"Le Stade d’Abidjan, c’est un géant qui était endormi", Alexandre Lafitte en interview dans Flashcore.
"Le Stade d’Abidjan, c’est un géant qui était endormi", Alexandre Lafitte en interview dans Flashcore.Stade d'Abidjan

Le Stade d’Abidjan reçoit ce samedi 7 novembre les algériens du CR Belouizdad au stade Félix Houphouët-Boigny, au cœur de la capitale ivoirienne, pour le compte de la deuxième journée de la phase de groupes de la Ligue des Champions de la CAF - Confédération Africaine de Football.

Un match au combien symbolique car cela fait plus de 50 ans que le Stade d’Abidjan n’avait plus participé à la Ligue des Champions, la dernière présence était en 1970.

L’équipe d’Abidjan a déjà re-découvert la compétition depuis quelques semaines. Au mois d'août ce fut le premier tour de qualification et une victoire aux penalties 5-4, après le match nul 2-2 sur l’ensemble des deux rencontres face aux sénégalais de Teungueth FC. Puis ce fut au tour des guinéens du Milo FC sur le score de 3-2 lors du barrage d’accès à la phase de groupes.

Le Stade d’Abidjan, pour la première journée, s’est déplacé chez les égyptiens d’Al Ahly, douze fois vainqueur de la compétition. Un retour remarqué car malgré la défaite sur le score de 4-2, l’équipe ivoirienne a marqué deux buts, ce qui n’était plus arrivé aux égyptiens depuis plus d’un an en Ligue des Champions.

Ce samedi, ce sont les retrouvailles avec le public ivoirien et la confrontation avec les algériens du CR Belouizdad qui se sont inclinés, 1-2, face aux sud-africains d'Orlando Pirates, à domicile, lors de la première journée.

Le moment était donc idéal pour discuter avec Alexandre Lafitte, 27 ans, le plus jeune coach d’un club professionnel au monde, qui est à l’origine de ce retour au premier plan d’un géant endormi qui a été le premier club ivoirien a remporté la Ligue des Champions africaine de football en 1966. L’unique victoire lors de cette compétition pour le club aux cinq titres de Champions de Côte d’Ivoire.

L’entraîneur français nous y révèle sa passion pour le football qui l’a fait bifurquer rapidement vers la carrière d’entraîneur plutôt que celle de footballeur.

Alexandre Lafitte est un homme pressé mais qui sait prendre son temps pour mener son équipe vers la victoire. Il nous raconte également ici, son aventure sur le sol ivoirien qu’il souhaite pleine de succès.

Alexandre Lafitte, le plus jeune entraîneur de foot professionnel au monde
Alexandre Lafitte, le plus jeune entraîneur de foot professionnel au mondeStade d'Abidjan

Q: Quel est le bilan de ce début de saison en championnat et en Ligue des Champions? 

R: A vrai dire, il est plutôt encourageant et satisfaisant. En championnat, je pense qu'on a fait une grosse série, à un moment donné, avec six victoires. Ensuite, forcément, on a perdu un peu d'énergie avec la Ligue des Champions. Et puis, après, on peut dire que le début de saison est vraiment réussi avec cette qualification pour la phase de groupes de la Ligue des Champions, 56 ans après (!) Donc ça, c'est quand même un exploit pour l'équipe et pour le club. Parce qu'il y a deux ans, quand je suis arrivé, l'équipe était relégable. Donc on peut dire pour l'instant que les feux sont au vert. 

Q: On va débuter par cette Ligue des champions. Que peut-on dire sur ce match face aux Algériens du CR Belouizdad? 

R: C’est un match décisif. On sait que si on veut se qualifier, on est obligé de prendre des points et de gagner à domicile face à une équipe qui a perdu, chez elle. C'est un adversaire qui, qualitativement et à la base, est supérieur. Mais. Mais je pense qu'avec la prestation qu'on a fait face à Al Ahly, et qu'avec le niveau que l'équipe progresse, je pense qu'on peut se donner les moyens d'aller chercher trois points. Mais on va jouer face à une équipe qui a Slimani devant, qui a des atouts offensifs et il faudra être très vigilant, notamment sur le secteur défensif, parce qu'on sait que les Algériens vont venir avec l'ambition de gagner parce qu'ils n'auront pas le choix. 

Q: Ça peut être plus compliqué d'étudier l'adversaire en Afrique?

R: Non. Pour la Ligue des Champions, on peut travailler très correctement avec la vidéo, et on peut analyser les matchs sans aucun souci. En championnat, en Côte d'Ivoire, on fait également ce travail, mais c'est un peu plus difficile pour certaines équipes qui ont moins de visibilité. Mais pour la Ligue des champions, on a des données, des stats, et des datas. C'est moins poussé que la Ligue des champions en Europe, mais on peut très bien travailler. 

Q: Lors de la première journée, ce fut une défaite 4-2 face à Al Ahly, quel résumé peut-on faire de ce match? 

R: Il y a deux choses. Il y a le côté frustrant par le résultat et le scénario du match. Et après aussi encourageant parce qu'on a réussi a marqué deux buts contre Al Ahly alors que ça faisait un an qu'ils n'avaient pas encaissé de but à domicile en Ligue des champions. Mais derrière, les erreurs se payent cash. Et ça, c'est frustrant . On avait identifié des choses que, malheureusement, sur les 30 premières minutes, peut-être à cause de l'environnement, du contexte, ça a payé cash. On a peut-être eu un ou deux joueurs qui ont été en dessous et, sur le secteur défensif, face à des joueurs de très haut niveau, ça ne pardonne pas. Mais c’est encourageant. Il faut se servir de ce match pour la suite, mais il ne faudra pas reproduire les mêmes erreurs. 

Q: Est-ce qu'il y avait un peu de stress de se retrouver en Egypte face à Al Ahly? 

R: Moi, pour le coup, au contraire, j'étais plutôt excité, et ambitieux. Mais je pense qu’il y a certains joueurs, pas beaucoup, mais certains, oui. Ça nous a causé du tort. Je pense qu'il y a eu un peu d'appréhension, notamment au début du match, où on les a un peu trop regardés dans certains secteurs de jeu. Je pense que si on change ça et si on était arrivé plus conquérants, en les regardant dans les yeux, on aurait pu soit perdre avec un but d'écart ou même peut être ne pas perdre ce match. 

Q: L’ambiance était comment? 

R: L’ambiance était top. Après, il n'y avait que 20 000 personnes sur 60 000. Car la CAF n’avait autorisé au maximum que 30 000. Mais c’était une ambiance de Ligue des Champions contre une très grande équipe. 

Q: Et qu'est-ce que cela représente pour vous d'être présent dans cette Ligue des champions africaine? 

R: C'est une fierté, un accomplissement de beaucoup de travail et de persévérance. Et c'est une étape en plus sur mon chemin. C’est une fierté et c'est une étape. Quand on prend une équipe, qu'on est avant-dernier, et qu'en deux ans, on arrive à l'amener à jouer et à lutter contre la meilleure équipe d'Afrique, on se dit que le chemin est incroyable. Même s'il n'a pas toujours été facile. Et il y a la volonté de continuer à faire ce que ce qu'on fait, et que le travail qu'on produit est récompensé. Il faut que ça continue ainsi. 

Q: Vous vous êtes qualifiés pour la Ligue des champions, vous avez passé deux tours de qualification et vous avez réussi à vous hisser en phase de groupes. C’est une surprise pour vous? 

R: Pour moi, non. Pour les joueurs, non plus. Mais pour l'environnement extérieur, oui. Alors c'est sûr que lors des qualifications, on n'a pas joué face à Al Ahly ou à des équipes marocaines. Mais on a joué, quand même, face à des équipes qui, à la base, ont été, potentiellement, supérieures à nous, de par le vécu, l'expérience sur les cinq dernières années. Des équipes qui étaient habitués à ces phases-là, à ces tours préliminaires. Et nous, on n'était pas surpris parce qu'on y croyait. On savait nos qualités, mais pour l'environnement, pour les gens, peu de personne pensait qu'on était capable de se qualifier pour la phase de groupes.

Q: Qu'est-ce que cela a provoqué à Abidjan, le fait de réussir à se qualifier pour cette phase de groupes? 

R: Moi je sais pas trop. Je pense qu'on le verra déjà samedi. Parce que la problématique, c'est qu'il y a beaucoup de clubs à Abidjan. Après, forcément, il y a un peu plus de curiosité, de reconnaissance, avec notamment la venue de Roger Assalé. Ce sont des joueurs qui créent un emballement mais ce n'est pas non plus exagéré. On verra quand on va jouer à domicile, ce samedi, si le public sera en nombre et je l’espère bien évidemment. 

Q: On va également parler de la saison dernière, où vous terminez deuxième. Comment avez-vous réussi à emmener cette équipe à cette deuxième place en 2023/2024? 

R: Il faut savoir qu'à la trêve, l'année dernière, on était neuvième. On fait un parcours de deuxième partie de saison exceptionnelle. Je crois qu'on fait douze victoires sur quinze. On a réussi à créer un groupe très solidaire, avec un style de jeu bien affirmé et on a cru en nous. On s'est dit qu'on pouvait aller chercher la Ligue des champions. Match après match, c’est assez surprenant, on sent que ça va le faire. Vous êtes dans une série, vous savez que vous allez aller au bout, parce que tout est pour vous, parce que tout ce que vous avez fait, vous le réussissez. C'est une demie saison exceptionnelle. 

Q: Est-ce que vous avez pensé à un moment au titre de champion Côte d’Ivoire? 

R: A un moment donné, on y a pensé, à cinq ou six matches de la fin du championnat, mais malheureusement, il y a eu un faux pas et là on s'est dit que c'était trop loin. Mais je pense que s’il nous restait deux ou trois matchs, on allait les chercher. Parce que devant ça a calé et nous on poussait très fort. 

Q: Qu'est-ce que cela représentait pour vous quand vous avez signé, en janvier 2023, au Stade d'Abidjan, qui est un grand club africain, qui était endormi et que vous avez réveillé?

R: C'était une fierté. J’arrive, j'ai 25 ans, donc je deviens le plus jeune entraîneur. Il y a beaucoup de curiosité mais aussi on se demande ‘qu'est ce qu'il fait là?’. Donc c'est un gros challenge. Moi je voulais ça, donc j'étais très fier, et j'ai pris ce challenge. Je me suis dit que c’était la chance de ma vie. Donc j'y suis allé et on a réussi à maintenir le club lors de la saison 2022/2023. Et après, on a pu partir sur un autre projet pour aller chercher cette Ligue des champions l'année dernière, en 2023/2024. 

Q: Quel est le parcours d'Alexandre Lafitte? Comment en arrive-t-on à signer au Stade d'Abidjan? 

R: C'est un concours de circonstances. A un moment donné, je cherchais à être numéro un, à un entraîneur principal. C’est ce que je voulais. En fait, à la sortie du Paris FC, la section féminine, j'ai compris que s'il n'y avait pas de réseau, je pouvais être le meilleur du monde, je ne pourrais pas y arriver. Et donc, à partir de ce moment-là, j'ai essayé de me donner les moyens pour créer un réseau, pour trouver des opportunités. D’ailleurs, j’avais eu une opportunité, un an avant, au Ghana, mais j’ai refusé parce que je sentais que les conditions n'étaient pas appropriées. Puis un jour, un ami, de par différentes relations, m'appelle et me fait rencontrer le président du club, c’était en octobre 2022. Et derrière, on se voit dans un hôtel à Paris, et puis après, on se revoit en décembre, et finalement on décide de s'engager. Mais c'est la résultante d'un parcours où je me suis formé partout en France, en Europe où c'était un accomplissement, c'était une volonté. C'est-à-dire que j'étais prêt à prendre ce genre de challenge. Je ne veux pas dire que c'est le hasard ou la chance d'être arrivé là comme ça. Mais ça a été long pour moi. Je suis arrivé jeune, mais pour moi ça a été long, ça a été des moments assez durs, pour trouver l'opportunité que je souhaitais. Voilà, donc c'est pour ça que j'ai pu relever ce challenge. J'étais très engagée et motivée à le réussir. 

Q: Quand on a 25 ans et qu'on veut déjà être entraîneur principal, c’est très ambitieux? 

R: Effectivement, c'est être ambitieux. Les gens peuvent vous croire arrogant. Mais j’ai aussi compris l'environnement du football. Et c'est pour ça que je faisais en sorte de ne pas le dire, mais de le montrer ou de le dire aux personnes qui pouvaient potentiellement m'aider. 

Q: Comment décide-t-on de devenir entraîneur aussi jeune?

R: Déjà côté carrière de joueur, je n’aurais pas réussi au haut niveau. Et après je ne sais pas, mais mon père a été entraîneur au tennis de table, donc depuis tout petit, j'étais avec lui. Il y a cette fibre de transmettre. Quand je jouais, j'étais souvent capitaine. J’apprécie ce côté leader, leadership, volonté de transmettre, de porter le groupe. Après, j'étais dans une période où il y a eu l'émergence de Mourinho ou de Guardiola. Donc il y a un peu tout ça qui a fait que j'avais cette détermination, cette motivation à prendre des équipes parce que je suis quelqu'un aussi qui aime la compréhension des choses, la stratégie. Je pense que c'est un mélange de tout qui a fait que j'étais obnubilé par cette volonté d'être entraîneur. 

Q: Est-ce qu'on peut dire que vous allez à contre-courant? Les spécialistes du football vous disent, bien souvent, qu’il faut avoir été un joueur, qu’il faut avoir joué au haut niveau pour devenir un bon entraîneur.

R: Comme on dit, je suis l'exception qui confirme la règle. Ce n’est pas normal d'être entraîneur à mon âge. Aujourd'hui, à 27 ans, être là, ce n’est pas normal. Mais c'est un parcours atypique parmi tant d'autres. Je suis l'exception, mais ça ne serait pas bon s'il n’y avait que des profils comme moi. Un ou deux, comme moi, c'est possible. Dans d'autres nationalités, on le voit. 

Q: Vous arrivez à enlever ce stress de vos épaules? D’être jeune, d'être vu comme le jeune entraîneur, et d'être bien souvent plus jeune que certains joueurs.

R: Je n’ai pas de pression, sincèrement. Mais il faut être capable de rassembler les joueurs pour un même objectif, et de leur donner les moyens de progresser. Et ça on l’obtient avec le travail. En fait, c'est dans le travail qu'on lutte contre l'anxiété et qu'on lutte contre ce stress qu'on peut avoir. Quand vous êtes entraîneur, il y a plus de moments difficiles que faciles. Quand ça ne va pas, c'est toujours vous. Et puis quand ça va, ce n'est pas forcément vous, ce sont les joueurs. Mais ça fait partie du travail. Peut-être que ça fait partie de mon trait de caractère qui fait que j'aime ça. 

Q: Par rapport aux objectifs cette saison, quels sont-ils en championnat et en Ligue des Champions? 

R: En championnat, on aimerait au minimum être en compétitions africaines et potentiellement se qualifier pour la Ligue des champions. Et après, on verra si on peut aller chercher un titre de champion, ça serait magnifique. Et pour la Ligue des Champions, l'objectif principal, c’était la phase de groupes. Mais là, maintenant, l'objectif c'est de sortir de la poule, en finissant dans les deux premiers. On verra si c'est possible, mais voilà les objectifs pour notre saison. 

Q: Un message pour les Ivoiriens, pour les habitants d'Abidjan, avant ce match de samedi? 

R: Il faut venir voir le match. C'est la Côte d'Ivoire qui joue. Quelle que soit l'équipe qui joue, là, c'est la Côte d'Ivoire. Quand on gagne, on ramène des points pour la Côte d'Ivoire. Ça permet d'avoir plus d'équipes en compétitions africaines. Ça permet de mettre les joueurs ivoiriens en lumière. Ça va permettre de mettre le stade en lumière, et la ville également. Il faut que les Ivoiriens viennent au stade pour encourager le Stade d'Abidjan. Quand le Stade d'Abidjan joue, c'est la Côte d'Ivoire qui joue. 

Q: Quelle est la sensation de vivre en Côte d'Ivoire, après avoir vécu autant d'années en France? 

R: C’est différent. Mais Abidjan, c’est une ville où, en tant qu'Européen, on peut vivre très bien, et c'est très développé. Culturellement, il y a des choses qui changent, c'est normal, c'est un pays dans un continent différent. Sincèrement, l'accueil est très chaleureux, les ivoiriens sont top humainement donc c'est une super expérience. 

Q: Aucun problème d'adaptation?

R: Non. Après, il y a forcément des choses à dire sur le contexte professionnel où il faut s'adapter. Il y a une passion incroyable, des gens très émotionnels. Tout ça dans le côté professionnel, ça peut être dur, ça peut être usant, mais sur le côté de la vie de tous les jours, en dehors du travail, c'est très agréable.