Le défenseur, alors âgé de 21 ans, a vécu une soirée cauchemardesque à Rabat : son erreur a mené à l’un des buts marocains et sa prestation globale a été vivement critiquée.
Ce qui a suivi fut une vague d’insultes. Les réseaux sociaux n’ont laissé aucun répit, les supporters faisant de lui le bouc émissaire de l’élimination précoce du Ghana. "Ça a été très difficile pour moi", confie Yegbe à Flashscore lors d’un entretien exclusif organisé par la Ligue 1.
"Après ce match, j’ai dû m’éloigner des réseaux sociaux, car plus tu es en ligne, plus tu vois tes photos, des légendes négatives, des gens qui disent tout et n’importe quoi. Bien sûr, nous sommes humains, nous avons des sentiments. J’ai commencé à douter de moi – peut-être que je ne suis pas assez bon."
Cette nuit à Rabat aurait pu marquer sa carrière à jamais. Au lieu de cela, elle a été un tournant.
Le parcours avant la tempête
Avant les critiques et les remises en question, l’ascension de Yegbe avait été régulière et méritée. Né à Akatsi, dans la région de la Volta au Ghana, il a perfectionné son jeu à l’académie WAFA – la même qui a formé plusieurs stars de la sélection nationale. Il a ensuite rejoint Vision FC, un club de division inférieure à Accra, pour poursuivre sa progression.
"Je pense que ça a été un peu difficile au début", se souvient-il. "Venir de WAFA, où tu as ta liberté et une structure, puis aller à Vision, ce n’était pas pareil. Les six premiers mois ont été très compliqués car je ne parlais même pas le twi, donc l’adaptation a été dure. Mais avec le temps, ça s’est amélioré. On a commencé à gagner des matches et j’ai repris du plaisir."
Ses performances n’ont pas tardé à attirer l’attention à l’étranger. Mais comme beaucoup de jeunes Africains, Yegbe a d’abord connu des désillusions avant de saisir sa chance.
"Je devais partir à Midtjylland au Danemark, mais mon visa a été refusé deux fois. Ça m’a affecté mentalement. J’ai commencé à penser que les gens chez moi avaient raison quand ils disent : ‘tu peux être un bon joueur, mais tu n’y arriveras pas.’ C’était dur, mais le président du club m’a encouragé à persévérer."
Cette persévérance a fini par payer lorsque le club finlandais SJK l’a recruté.
Des débuts glacés en Finlande et la révélation
Si les refus avaient mis sa patience à l’épreuve, la Finlande a testé sa résilience.
"Passer du Ghana où il fait 28 degrés à moins 15, c’était fou", raconte Yegbe en riant. "Il faisait si froid que j’avais du mal à bouger, mais je me suis dit que je n’étais pas là pour abandonner à cause du climat. Je suis resté, j’ai travaillé dur, et l’année suivante, je suis passé de l’équipe de l’académie à l’équipe première."
Ses prestations régulières en Veikkausliiga ont attiré l’attention du grand club suédois IF Elfsborg, où il a continué à progresser.
"À Elfsborg, tout s’est bien passé", dit-il. "La première année a été excellente. J’ai failli rejoindre la Premier League en janvier, mais ça ne s’est pas fait. Malgré tout, je me suis dit que j’allais continuer à travailler. Ça fait partie du parcours."
Le revers chez les U23 et les leçons des critiques
Ce parcours a connu un coup d’arrêt lors de la CAN U23 au Maroc. La défaite 5-1 du Ghana les a éliminés de la compétition et a exposé Yegbe à une vague de moqueries en ligne.
"J’ai compris que c’est le métier que nous avons choisi", analyse-t-il aujourd’hui. "Les gens parleront. Certains t’aimeront, d’autres non. À ce moment-là, il faut juste s’éloigner des réseaux sociaux et se concentrer sur le fait de revenir plus fort. Ça fait mal, mais on ne peut pas lutter contre l’avis de tout le monde."
Le retour de Yegbe s’est fait discrètement, sans bruit. À l’été 2025, il a rejoint le FC Metz – un transfert qu’il attribue à un appel opportun de son agent et aux conseils de son ami proche Augustine Boakye.
"Je venais de rentrer de l’entraînement quand mon agent m’a appelé pour me dire que Metz te veut vraiment. J’ai parlé à Augustine, il m’a dit que c’est un bon club, une bonne ville, et qu’ils font progresser les joueurs. Alors j’ai dit, 'pourquoi pas ?' En trois ou quatre jours, tout était réglé."
Désormais à Metz, Yegbe a évolué à la fois comme arrière gauche et défenseur central. Sa polyvalence lui a rapidement valu la confiance du staff technique.
"Jouer arrière gauche est plus exigeant car il faut monter, redescendre, attaquer et défendre. Je suis plus à l’aise comme défenseur central gauche, c’est mon poste depuis plus de cinq ans", explique-t-il.
Ses premières impressions de la vie en France sont très positives. "C’est incroyable, surtout de jouer à domicile", sourit-il. "L’ambiance, les supporters. C’est vraiment un bel endroit."
Reconnaissance nationale
En novembre 2024, les bonnes prestations de Yegbe ont été récompensées par une première convocation en équipe A du Ghana pour les qualifications à la Coupe d’Afrique des nations contre l’Angola et le Niger.
"C’est arrivé très vite", se souvient-il. "Mon agent m’a appelé vers 4 ou 5 heures du matin en disant : 'prépare tes affaires, Otto Addo vient d’appeler, tu pars en sélection.' J’étais à moitié endormi, mais c’était un moment de grande fierté pour moi, ma famille et ma communauté à Akatsi."
Pour un joueur que certains supporters de son propre pays avaient déjà écarté, cette convocation avait une signification particulière.
Foi, concentration et avenir
Demandez à Yegbe ce qui lui a permis de garder les pieds sur terre malgré les hauts et les bas, il répond sans hésiter : la foi et l’humilité.
"Je dirais que ce n’est pas seulement le travail, c’est Dieu", affirme-t-il. "À WAFA, on nous disait que tout le monde ne deviendrait pas footballeur professionnel. Donc pour moi, être ici aujourd’hui, je ne peux qu’être reconnaissant."
Il continue d’étudier le football de près, citant l’Autrichien David Alaba comme modèle. "J’adore son calme balle au pied. J’essaie d’apprendre de ses vidéos, de voir comment il se place, comment il utilise le ballon. Je veux progresser."
En dehors du football, Yegbe trouve son équilibre dans la musique. "J’écoute beaucoup Shatta Wale, Stonebwoy, Black Sherif, parfois King Promise quand je veux juste me détendre."
Quant à la suite, le joueur de 22 ans affiche ses ambitions avec clarté. "Mon objectif, c’est d’aider Metz à rester en Ligue 1 et d’être en sélection. J’espère être appelé à nouveau, ou même faire partie du groupe pour la Coupe du monde. Je dois juste continuer à travailler."
Le parcours de Terry Yegbe est encore en train de s’écrire, mais sa façon de surmonter l’adversité en dit déjà long. Passer d’une soirée difficile à Rabat aux échelons du football européen montre comment sa résilience est en train de transformer son image.
