Flashscore : Comment ça va en ce début de saison ?
Romy Salvador : Très bien, on commence bien en tous cas. On est 10e ou 11e au classement il me semble (8e au moment où nous publions ndlr), et on est sur une bonne dynamique.
C'est votre troisième saison ici à l’Espanyol. Quel regard portez-vous sur vos années ici ?
Quand j'ai signé la première année, on était en deuxième division. C'était une première pour moi aussi, parce que j'avais toujours joué en première division. Donc, jouer en deuxième division, ça a été un changement. Finalement, j'ai aidé le club comme j'ai pu à monter en première division. Depuis, je pense que je ne fais que progresser et c'est top.

C’est différent de jouer la montée ?
Franchement, ce sont les plus belles émotions. C'était impressionnant. C'est vrai que quand on joue au plus haut niveau, il n'y a pas d'ascension. Mais la montée, c'était impressionnant. C'était vraiment dur, mais c'était top. Je suis contente d'avoir pu aider le club à remonter en Liga F.
Ce sont des saisons où vous avez beaucoup de victoires…
Oui, c'est ça. Vous avez plus de réussite. C'est vrai qu'il me semble que j'avais fait 14 ou 15 cleansheets. Ça change de la première division (sourire).
Quel est le rapport entre les équipes masculines et féminines au club ?
C'est assez séparé. Ils ne viennent pas nous voir. Nous, on va voir tous leurs matchs. On paye même pour aller les voir. Eux ne viennent pas. Quand je jouais à Montpellier, on faisait beaucoup de trucs avec les mecs : on faisait la photo ensemble et beaucoup d’activités. C’était vraiment en fusion. Ici, ce n'est pas du tout ça. On ne se mélange pas du tout. C'est assez distant.
Vous allez jouer au RCDE Stadium ?
Oui... si on gagne la Copa de la Reina. Ici il faut travailler, travailler, travailler et peut-être recevoir ensuite. C’est ce qu’ils nous disent tout le temps.
Quel objectif vous fixe le club chaque saison ?
On se le fixe entre nous. On fait des réunions et on établit un objectif correct et envisageable. Cette année, c’est d’être dans les 8 premières. L’année dernière, j’ai fait 8 ou 9 cleansheets. Pour une première saison en Liga F, c’était pas mal. Donc je veux faire mieux, forcément. J’en suis déjà à trois. L’année dernière on en avait pris 13 en deux matchs contre le Barça et le Real Madrid donc déjà on part mieux.
"Mon année à Montpellier ça m'avait un peu dégoûtée du foot"
À l’Espanyol vous êtes numéro 1, ce n’était pas le cas avant en Europe. Comment vous avez fait pour vous imposer comme titulaire ?
Dans ma trajectoire, c'est juste à Montpellier où j'étais numéro 2. Avant, j'étais aux États-Unis pendant 5 ans et j'étais numéro 1. À Montpellier, j'étais numéro 2, mais la première gardienne s'est prise 7 matchs de suspension, donc j'ai eu la chance de pouvoir jouer. Je pense que c'est ça qui m'a aidée à trouver un club après. C'est vrai que ce n'est pas facile, parce que le poste de gardienne, ce n'est pas un poste qui bouge beaucoup normalement. Il y a vraiment une numéro 1 et une numéro 2. Je pense qu'avoir signé ici en venant de première division et en jouant en deuxième division, j'avais plus le niveau d'une première gardienne. Je me suis imposée directement. Depuis, ça n'a pas bougé.
En championnat féminin, il y a moins de matchs, moins de clubs que chez les hommes. C’est plus dur de se faire une place, d'avoir des opportunités ?
Franchement, je n'ai joué qu'un an à Montpellier et je n'ai pas joué pendant six mois. J'ai recommencé à jouer en Coupe de France mais on s'est fait éliminer. Ensuite, j'ai eu la "chance" d'avoir un carton rouge de la première gardienne, mais il faut continuer à travailler, saisir sa chance quand on l'a. Des fois, on ne l'a pas. C'était difficile, très compliqué. Mentalement, ce n'était pas facile de passer de titulaire dans un club à ne plus jouer mais je n'ai rien lâché. J'ai attendu le moment où j'ai eu ma chance. Mais c'est vrai qu'après mon année à Montpellier, je ne savais plus trop si j'avais envie de jouer.
Ça a remis en cause votre carrière ?
Mon année sans jouer à Montpellier, parce que je ne sentais pas la confiance du coach, ça m'avait un peu dégoûtée du foot. Je n'ai pas eu une très bonne expérience à Montpellier. Yannick Chandioux était le coach, alors qu'humainement je l'adore. En plus, je joue souvent un amical contre elles en pré-saison. Mais c'est vrai qu'au moment où j'étais au club, je n'avais pas l'impression d'avoir la confiance des coachs.
"Le match contre le Barça, ça te donne l'adrénaline à fond !"
À l’Espanyol apparemment, vous êtes très bien intégrée dans le groupe et vous avez une très bonne réputation. Dolors Ribalta qui dirige la section nous a dit : "Romy es de 10" !
Oui, ça se passe très bien. C'est vrai que j'ai eu un rôle très important la première année, et je pense que j'ai vraiment aidé le club à monter. L'année dernière, j'ai fait une très très bonne saison en Liga F. Les filles ont confiance en moi, et puis maintenant je dispute ma troisième année en jouant avec les mêmes joueuses.
Vous avez encaissé très peu de buts, même contre les gros que sont le Real Madrid (défaite 0-1) ou le Barça (défaite 0-2)… Vous n’avez pas gagné mais c'est encourageant ?
Je peux arrêter les buts mais pas en marquer ! (Rires) C’est vrai qu’on a encaissé très peu de buts. Je suis fière de ça parce que quand on voit qu'elles en mettent 8 à la moitié des équipes, en prendre que deux, ça fait du bien au moral. L'année dernière, sur les deux matchs contre le Barça, j'ai pris 9 buts. Et on en a pris 10 contre le Real Madrid. Je n'avais joué que l'aller, car j'étais blessée au retour, mais on avait perdu 5-0 à chaque fois.
Ça veut dire que l’écart se resserre ?
Je pense qu'on a vraiment progressé dans l'équipe au niveau individuel et collectif. C'est beaucoup plus haut. L'expérience aide aussi. Après un an en première division, je me rends compte que je ne fais plus les mêmes erreurs qu'avant et qu'on s'habitue au rythme.
Ces matchs contre le Barça ou le Real Madrid vous transcendent ?
Oui, clairement. Je sais que le match contre le Barça, toute la journée, je suis excitée, j'ai envie de jouer. Ça me le fait pour tous les matches, mais c'est vrai que celui-là, il te donne de l'adrénaline à fond parce que ce sont des matchs où tu joues contre les meilleures joueuses du monde. Et puis, en tant que gardienne, ce sont les meilleurs matchs, car c'est là il y a le plus d'action, et c'est là où on peut se faire voir. Honnêtement, tous les matches sont… On est tellement médiatisés dans cette ligue que tout est excitant. On va au match, il y a des caméras partout, des photographes, des spectateurs… C’est bien !
"C’est mon rêve qu’il y ait un coup franc au milieu de terrain et que je marque"
Par rapport à la France, il y a aussi une différence au niveau du jeu au pied...
Jouer avec les pieds, c'est mon point fort. À l’OL, ils m’ont signée comme numéro 10 et j’ai fini dans la cage (rires). Ici, on joue beaucoup avec les pieds, comme une gardienne de but moderne, et c'est vrai que c'est un des points forts, donc j'aime bien participer au jeu.
Ça requiert un travail particulier ?
On travaille tous les jeudis les sorties de balles, les déplacements. On a des signes, donc on a des automatismes. C'est vrai que la première année, quand ils m'ont demandé de faire des passes à deux mètres, je n’étais pas trop habituée. Finalement, ça vient avec le temps. Mais il ne faut pas se rater…
Votre style n’est pas du tout celui d’une gardienne française classique, ce n’est pas vraiment ce qu’on apprend en centre de formation…
On ne m'a jamais appris à faire ça, mais finalement, quand je suis arrivée ici, on jouait comme ça, donc je me suis vite adaptée. J'ai toujours eu un bon jeu au pied. C'est une de mes qualités premières, c’est venu naturellement. Vu que j'avais cette expérience d'être joueuse de champ et que je l'ai toujours en moi, ça revient petit à petit. Il y a des situations où l’attaquante vient dans mes pieds et je me retrouve à la dribbler ! Ça marche pour l’instant, mais j’aime bien ce jeu qui change beaucoup par rapport au jeu français.

Vous participez aux séances avec les joueuses de champ pour travailler ces automatismes ?
On intègre parfois des séances de possession, mais on ne joue pas comme joueuse. Moi, tu me fais un entraînement de joueuse je me fais un croisé je pense (rires).
Si un jour on a besoin de vous au milieu de terrain, vous iriez ?
Pas du tout, je n’ai plus le cardio. La technique je l’ai, mais plus le cardio. En revanche, je veux marquer un but, sur corner ou sur un coup franc. C’est mon rêve : coup franc au milieu de terrain et je marque. J’ai la vision à chaque fois. Je tire tout le temps du milieu de terrain à l’entraînement, je marque tout le temps, mais je n’ai pas eu l’opportunité encore.
On parlait des gardiennes françaises. Vous, vous avez un style assez atypique. Est-ce que vous avez eu des modèles en grandissant ?
Quand je jouais au PSG, il y avait Ann-Katrin Berger. Elle, c'était une force tranquille, quelqu'un de très calme, super impressionnante quand elle jouait. C'est une des gardiennes qui m'a le plus marquée, mais sinon, je n'ai jamais vraiment eu de modèle.
Comment vous vous définiriez comme gardienne ?
Explosive, avec de très bons réflexes et un bon jeu au pied.
"Le sport à l'étranger, c’est tellement mieux"
Vous avez fait vos études aux États-Unis, comment cela a impacté votre carrière ?
Les plus belles années de ma vie, parce que c'était incroyable. Je l'ai fait surtout pour les études puisque j'ai un master maintenant. Mais je pense que ça m'a ralenti sur ma carrière professionnelle, clairement. J’ai progressé en tant qu'athlète, donc au niveau du corps, pour être plus puissante. Mais au niveau du football, je n'ai pas progressé. Tu passais plus de temps à la salle de sport que sur le terrain. Il n’y avait pas de tactique. C'était : tu prends le ballon, tu tires loin devant et tu cours.
Si j'étais restée au PSG, j'aurais pu avoir une meilleure carrière au niveau européen. Je suis revenue à 25 ans des États-Unis, c'est déjà assez tard quand même. Mais je ne regrette pas de toutes façons. Ça m'a forgée et ça m'a apporté beaucoup de positifs aussi. Et puis finalement, je suis là et je suis très bien ici.
Vous avez effectué votre formation à l'OL puis vous avez signé au PSG. Quelle est la différence entre les deux ?
C’est incomparable. J’ai fait ma formation depuis que j'avais 9 ans à l'OL, des U11 aux U19. Et après, j'ai signé troisième gardienne professionnelle au PSG. J'étais directement dans le groupe des pros, donc j'ai fait les bancs en Champions League. Je n'ai pas eu la même expérience de formation et le PSG c'était vraiment professionnel. Il y avait Laure Boulleau, Vero Boquete, Irene Paredes, Lindsey Horan, énormément de bonnes joueuses. Maintenant, avec le recul, je m'en rends compte. Je me dis : "Ah j’ai joué avec elles quand même !". Ce sont deux clubs différents et ce n’est pas la même époque de ma vie.
Vous reviendriez jouer en France ?
Ça fait plus de 10 ans que je n'habite plus en France. Je n'y vais même plus en France pour les vacances. Le sport à l'étranger, c’est tellement mieux. Toutes les filles qui ont fait du sport à l’étranger te le diront. Ici, en Espagne, ils sont super joyeux, c’est familial… Je n'ai jamais retrouvé ça en France.
"J’ai toujours cette envie de jouer en Bleues, je me dis que peut-être un jour ils me verront"
C’est souvent de bon ton de se moquer des gardiennes en football féminin, sur les réseaux sociaux etc. Est-ce que c’est quelque chose à laquelle vous pensez avant d’entrer sur le terrain ?
L’année dernière je n'ai jamais eu un commentaire même sur les réseaux sociaux de gens qui parlent négativement de moi… Cette année, j'en ai vu un ou deux mais tu vois les profils des gens, ils n’ont pas de photos, 0 abonné… J'ai la chance jusque-là de ne jamais avoir fait d’erreur ou de boulette. Donc pour l'instant, je n'ai jamais vraiment eu de commentaires négatifs, mais c'est vrai que les premières à être critiquées ce sont les gardiennes... Même quand il y a un beau but ! Moi je n’y pense pas du tout avant de rentrer sur le terrain, je joue mon match, je m’amuse et c’est tout.
Vous sentez que le poste de gardien en football féminin est assez valorisé aujourd’hui ?
De plus en plus. L'exemple, c'est Hannah Hampton, la gardienne de Chelsea, qui a gagné le Trophée Yachine féminin et été nommée au Ballon d'Or. On est beaucoup plus médiatisé maintenant, les gardiennes et on est beaucoup plus mis en avant par rapport à il y a 10 ans.
Avant de rentrer sur le terrain vous avez des routines précises ?
Je fais toujours la même chose mais rien de spécifique. Je fais toujours mes exercices avant, je prépare mes affaires de match, je mets du parfum sur tous les vêtements. Je ne peux pas jouer sans parfum, il faut le savoir (rires). Rien de plus que ça, il faut que je fasse les choses dans l'ordre, ma mobilité, mon échauffement…
Vous êtes en contact avec le staff des Bleues ?
Rien du tout. On me demande souvent : "Mais pourquoi tu n’es pas en Équipe de France ?". Ce n’est pas à moi de prendre les décisions. Ils ont leur trois gardiennes qu’ils prennent tout le temps et ils restent sur ça. Je ne sais même pas s’ils voient ce que je fais ou pas… On ne m’a jamais contactée. J'ai fait deux, trois sélections quand j'étais jeune, mais c’est tout. C'est vrai que ça reste un objectif que j'ai. Quand il y a les listes, je regarde toujours. Je me dis : "Peut-être un jour." Ce n'est pas quelque chose que je peux vraiment contrôler. J’ai toujours en moi cette envie, je me dis que, peut-être un jour, ils me verront. Mais j’ai plus la sensation qu’ils ne me voient pas.
S'appeler Salvador, "sauveur" en français : vous étiez prédestinée à être gardienne un jour ?
Et oui (rires) ! Tout est écrit. J'étais prédestinée à être gardienne de but un jour. C'est mon nom et ça va bien avec mon poste.
