Plus

Lamine Yamal, le mauvais goût des autres

Lamine Yamal
Lamine YamalSeverin Aichbauer / APA-PictureDesk / APA-PictureDesk via AFP
Ça y est, Lamine Yamal a 18 ans et son passage à la majorité s'est accompagné de tout ce qu'il devra subir et accepter pendant sa carrière et même au-delà.

"On n'est pas sérieux quand on a 17 ans". L'est-on davantage quand on vient de célébrer son 18e anniversaire ? Arthur Rimbaud et Lamine Yamal sont à peu près aussi éloignés que la Terre l'est de Mars mais leur précocité dans leur art les rapproche, y compris dans leur manière de profiter de leur jeunesse. Cependant, entre avoir 17 ans en 1871 sous le règne de Napoléon III et en avoir 18 en 2025 sous le joug des réseaux sociaux, de l'information instantanée et des indignations immédiates et toutes aussi vite oubliées, n'est pas exactement la même chose en termes de répercussions sur votre vie. 

Le Catalan avait déjà une petite idée de sa popularité, vu le nombre de maillots à son nom qui pullulent à Barcelone. À présent qu'il est en balance avec Ousmane Dembélé et Achraf Hakimi pour remporter le prochain Ballon d'Or, plus rien ne sera comme avant pour lui. Ses vacances ont été scrutées de très près et son anniversaire est devenu un sujet planétaire. Chaque rumeur a été commentée, analysée, jugée, au point qu'on en oublie qu'il n'a que 18 ans et que toute cette célebrité a de quoi faire tourner la tête quand on vient d'un quartier pauvre de Mataró. 

Peut-être que le thème "gangster" n'était pas du meilleur effet mais combien d'entre nous ont été subjugués à cet âge-là par Tony Montana ou Michael Corleone ? Sans doute aurait-il mieux valu privilégier l'esthétique de Francis Ford Coppola à celle de Brian de Palma mais il serait bien hypocrite d'affirmer qu'à 18 ans, nous n'avons jamais commis aucune de faute de goût... et que nous n'en avons jamais commis depuis. 

Lamine Yamal est une superstar. Parler de lui pour se faire mousser, partager des informations à la qualité douteuse ou commenter des articles parcellaires devient peu à peu son quotidien. La rançon de la gloire. Et ce sera la plupart du temps à son détriment, soit parce qu'il est Blaugrana et que les Madridistas chercheront à le déstabiliser (en l'espèce, il y a un cas d'école : il y a 10 ans, le... 30e anniversaire de Cristiano Ronaldo avec Kevin Roldán juste après une déroute 4-0 contre l'Atlético a renversé toute la saison achevée par un triplé Liga-Copa-Ligue des Champions du Barça), soit parce que la campagne du Ballon d'Or bat son plein et qu'il faut bien lui trouver des défauts hors terrain puisque, quand il joue, il passe rarement à côté. 

Deux polémiques expéditives

Sa fête d'anniversaire "publique" est un exemple de l'emballement qui retombe comme un soufflé. Dans un communiqué incendiaire, l'Asociación ADEE (Association espagnole de défense des personnes souffrant d'achondroplasie et autres dysplasies osseuses, selon les termes officiels) a condamné publiquement "l’embauche de personnes atteintes de nanisme dans le cadre du divertissement organisé lors de la récente fête des 18 ans du footballeur Lamine Yamal" et promis d'entreprendre "des actions légales et sociales pour sauvegarder la dignité des personnes handicapées, considérant que ces faits violent non seulement la législation en vigueur, mais aussi les valeurs éthiques fondamentales d’une société qui se prétend égalitaire et respectueuse", avec la claire volonté de dénoncer "des pratiques intolérables qui perpétuent les stéréotypes, alimentent la discrimination et portent atteinte à l’image et aux droits des personnes souffrant d’acondroplasie ou d’autres dysplasies squelettiques ainsi que de toutes les personnes handicapées"

L'écho est mondial, digne de l'arrêt de jurisprudence du Conseil d'État du 27 octobre 1995 consacré aux "lancers de nains". Pas besoin de demander leur avis aux protagonistes, c'est secondaire. Sauf que la radio catalane RAC1 l'a fait et que la version est diamétralement opposée : "personne ne nous a manqué de respect, laissez-nous travailler en paix, s'est indigné l'un des participants. Je ne comprends pas pourquoi il y a autant de battage médiatique. Nous sommes des gens normaux, nous faisons ce que nous voulons, en toute légalité". Ce témoignage fut aussi l'occasion d'égratigner l'Asociación ADEE qui ne semble pas avoir très bonne presse au sein de la communauté : "depuis quelques années, ces gens nous nuisent, ils veulent nous interdire un métier que nous aimons et n'ont jamais proposé d'emplois ou de formations aux personnes concernées. Nous travaillons dans le spectacle. Pourquoi ne pouvons-nous pas le faire ? À cause de notre condition physique?. Il y a un nouveau président qui se sent complexé et qui veut nous faire chier. Nous savons quelle est notre limite et nous ne la dépasserons jamais: nous ne sommes pas des bêtes de foire. On danse, on distribue des boissons, on fait de la magie… Il y a plein de spectacles différents"

Deuxième salve, cette fois-ci concernant la gent féminine présente. Interrogée par Extra avant d'être invitée par Telecinco dans une "tertulía", une émission de débats de la mi-journée ("Toute une histoire" de Faustine Bollaert version discount), Claudia Calvo s'est montrée affirmative quant aux profils recherchés : "ils se concentraient principalement sur la taille des seins ou la couleur des cheveux, notamment s'ils étaient blonds. Comme j'ai été serveuse dans une boîte de nuit, j'ai rencontré quelques filles. Je leur ai dit que je cherchais ce type de filles, et elles ont dit qu'elles étaient intéressées, mais j'ai précisé que les organisateurs ne me donnaient aucune garantie quant à savoir si elles pourraient avoir des contacts avec les personnes présentes à la fête. Ils offraient à chaque fille 17500 dollars pour 24 heures, ainsi qu'une carte de crédit exclusive à utiliser pendant la fête". 

Malgré un témoignage très précis, elle a rétropédalé lundi soir sur son Instagram : "je tiens à préciser officiellement que je n'ai parlé que de ce dont j'ai été personnellement informée. À aucun moment je n'ai parlé ou mentionné qui que ce soit en rapport avec ces accusations. Tout reste au stade de simples allégations, car il n'existe aucune preuve concluante ou tangible. Je m'excuse si ma déclaration a été mal interprétée". 

Cela ne remet pas en question le goût douteux de la fête mais cela permet tout de même de rappeler ce qu'il en était initialement : une célébration pompeuse d'un footballeur, jeune, riche et célèbre, avec tous les défauts juvéniles que cela peut comporter. Ni plus ni moins. 

Racisme et mépris de classe

Il n'est jamais inutile de rappeler une chose essentielle : les sportifs n'ont pas vocation à être des exemples, tout simplement car ce n'est pas leur travail d'éduquer les enfants des autres. Ce qui est toléré chez les acteurs, les artistes, les chanteurs, autrement dit leurs excès qui les rend spéciaux voire mythiques, ne saurait atteindre le cadre du sport. Les sportifs ne sont pas nos amis (journalistes comme supporters), ils sont admirés pour leurs exploits dans leur domaine et c'est déjà bien suffisant. L'éducation se fait par d'autres biais. Pas sûr que des adultes qui cherchent des noises à un gamin de 18 ans pour un grand jour aient davantage de goût que celui qu'il fustige. Pour sûr, ils auraient même poliment refusé de venir s'ils avaient été invités ! 

Après avoir été attaqué de manière indirecte en s'en prenant au comportement de son père comme s'il en était responsable, Lamine Yamal apprend qu'il n'aura jamais plus une vie normale, que chaque femme qu'il fréquentera sera jugée, que chaque personne qu'il côtoiera sera sujet à caution. Tu parles d'un cadeau d'anniversaire ! C'est la raison pour laquelle il doit impérativement choisir son entourage dès à présent, évaluer qui sont ses vrais amis, tempérer les ardeurs de son paternel qui vit sa meilleure vie dans les traces de son fils, prendre les décisions pour que cela impacte au mininum son avenir professionnel et comprendre qu'il ne doit pas tendre le bâton pour se faire battre. Personne n'est préparé à de telles responsabilités aussi vite, aussi jeune. 

Cette polémique est néanmoins intéressante et digne d'intérêt car elle est révélatrice, d'une part, d'un mépris de classe certain (le gamin des bas-fonds qui devient millionnaire grâce à son mérite, Franck Ribéry a connu ça il y a presque 20 ans) et, d'autre part, d'une forme de racisme par une partie de l'Espagne qui n'accepte pas que la grande star du football espagnol soit un Catalan qui parle castillan et catalan, né d'un père Marocain et d'une mère Equato-Guinéenne. 

Le mauvais goût a plusieurs prismes. Il peut par exemple consister dans le fait de s'en prendre à un jeune adulte submergé par une situation où tout est fait pour vous faire perdre le sens des réalités, dans un milieu qui n'est dejà pas propice à l'ascétisme. Le mauvais goût, c'est souvent celui des autres, rarement le sien. Juanita Banana, oh... si j'connais !