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Patri Guijarro, la troisième membre trop oubliée d’un milieu de terrain espagnol de génie

Patri Guijarro à l'Euro.
Patri Guijarro à l'Euro.PSNEWZ/Profimedia

Dans la lutte pour le Ballon d’Or, deux Espagnoles sont souvent nommées : Aitana Bonmati et Alexia Putellas. Mais Patri Guijarro, citée comme la troisième joueuse de ce trio magique, réalise un Euro de grande classe, qui devrait la placer au coeur des conversations.

Si le terme "sous-coté" est utilisé à tord et à travers dans le football moderne, il n’est pas employé abusivement lorsqu’il s’agit de Patri Guijarro. Entourée de deux double Ballon d’Or, la milieu de terrain défensive de la sélection espagnole passe presque inaperçue aux yeux du grand public. Pourtant il suffit de la regarder elle pour admirer l’ensemble de la partition espagnole. "C’est tellement facile de jouer avec elle, elle rend tout plus simple, validait Alexia Putellas en conférence de presse avant la demi-finale. C’est un privilège de jouer avec elle. C’est la meilleure numéro six du monde. Chaque centimètre de terrain qu'elle couvre, elle le fait avec qualité et intelligence."

Pas vraiment impressionnée par les mots de sa capitaine, Patri Guijarro, appelée juste ‘Patri’ comme l’indique son dossard, a de nouveau porté la Roja face à l’Allemagne : joueuse ayant touché le plus de ballon sur les 120 minutes (143), elle est aussi celle qui a effectué le plus de récupération (12), réussi le plus de passes (109/121) et le plus de passes dans la profondeur (9/13). Si la DFB-team a su contenir Aitana Bonmati et Alexia Putellas pour les forcer à jouer très haut sur le terrain et donc loin de Patri, la numéro 12 espagnole a su compenser par autant de courses que de passes distillées dans le bon tempo pour éviter que le triangle magique ne soit coupé en deux. 

"Vous ne pouvez pas vous empêcher de sourire quand vous la voyez jouer"

L’unique but de la partie arrive d’ailleurs après un pressing haut de Patri, aux côtés d’Athenea del Castillo, forçant Sydney Lohmann à tenter une longue passe finalement interceptée par l’attaquante du Real Madrid, qui sert Aitana Bonmati sur le côté droit. Le reste appartient à l’histoire. Même si son effort au départ de l’action passe presque inaperçu. Mais si son sens du sacrifice n’est pas systématiquement perçu par le grand public, ses coéquipières elles ne cessent de louer son importance. "Patri est la fondation de l'équipe, assurait Vicky Lopez avant la demi-finale en conférence de presse. C'est elle qui fait avancer l'équipe, qui nous fait tous bien jouer et donner le meilleur de nous-mêmes. Si vous regardez un match et que vous vous concentrez uniquement sur Patri, vous ne pouvez pas vous empêcher de sourire quand vous la voyez jouer."

Puis elle ajoute : "Jouer avec Patri est à la fois très facile et très difficile. Il y a des passes qu'elle est la seule à voir et auxquelles on ne s'attend pas. Il faut s'habituer à elle. Elle ne fait pas de passes faciles. Ses passes sont presque toujours vers l'avant, avec un but précis. Pour moi, c'est très agréable de jouer avec elle. C'est l'une des meilleures au monde et elle est très sous-estimée." Un peu gênée, la numéro 12 lui répond par média interposé et assure dans une interview pour la radio COPE qu’elle n’a pas besoin d’un Ballon d’or et qu’elle se sent "valorisée par le vestiaire" : "C’est tout ce qui compte pour moi !"

Montse Tomé aussi a une haute estime de sa numéro 6 : "Ce n'est pas un poste facile parce qu'il n'est pas reconnu à sa juste valeur. Son humilité et sa personnalité travailleuse, sur et en dehors du terrain, permettent à des joueuses comme Bonmatí, Putellas, Vicky, Mariona Caldentey et Claudia Pina de jouer plus librement. Elle est un élément clé de notre équipe, la meilleure milieu défensive du monde."

Versatilité et intelligence

Elle pourrait sans doute même être considérée comme la meilleure milieu du monde, tout court, si elle n’avait pas à partager l’entre-jeu avec les deux mastodontes que sont Alexia Putellas et Aitana Bonmati. Patri a d’ailleurs déjà joué dans le rôle de l’une d’entre elles, remplaçant à merveille Putellas lors de la saison 2022-23, alors que celle-ci s’était rompue le ligament croisé. Avancée d’un cran sur le terrain, elle avait laissé son rôle de pivot à la recrue Keira Walsh pour mieux briller comme milieu offensive. Allant jusqu’à marquer un doublé en finale de Ligue des champions face à Wolfsburg, alors que les Blaugranas étaient menées 2-0 à la pause.

Deux ans plus tôt, Patri jouait déjà les pompiers en finale de Ligue des champions, mais cette fois-ci en défense, pour remplacer Andrea Pereira, suspendue. Un rôle dans lequel elle permet au FC Barcelone de remporter sa première coupe aux grandes oreilles, dans une large victoire 4-0 face à Chelsea. Une versatilité et une intelligence qui font d’elles "l’idole" du vestiaire, au FC Barcelone ou avec la sélection. "Elle est la meilleure référence que je puisse avoir, et quoi de mieux que d'apprendre d'elle à chaque session d’entraînement", remercie sa remplaçante Maite Zubieta.

Mais si la numéro 12 espagnole fait autant parler d’elle durant cet Euro en Suisse, c’est aussi pour l’influence accrue qu’elle a pu avoir au sein de la Roja. Faisant partie des piliers de ‘Las 15’, ces joueuses espagnoles s’étant mises en retrait pour demander des changements structurels au sein de la sélection et de la fédération, Patri, pourtant vice-capitaine de la Roja, avait fait une croix sur le Mondial 2023 et la Ligue des nations 2024 et n’avait fait son retour qu’au moment des Jeux olympiques 2024. "Le retour s'est fait progressivement, les Jeux Olympiques ont marqué le début. Là-bas, elle semblait en forme, mais c'est normal (qu’elle ait eu des contretemps, ndlr), elle était loin de l'équipe nationale depuis longtemps et cela se voyait. Mais je pense qu'elle est très bien maintenant", analysait Montse Tomé en début d’Euro.

Un come-back en sélection deux ans après

Après deux ans d’absence, Patri doit composer avec de nouvelles têtes mais surtout une confiance à gagner, alors que jusqu’ici la milieu de terrain du Real Madrid Teresa Abelleira était préférée à son poste. Elle joue un match sur deux lors des JO, avant d’être alignée titulaire mais plus haut sur le terrain en raison d’une nouvelle opération d’Alexia Putellas. Ce n’est qu’à partir du mois d’avril 2025, suite à la grave blessure au genou de Teresa, qu’elle est fixée comme la numéro 6 titulaire de l’Espagne, aux côtés d’Alexia et Aitana. Et qu’elle retrouve ses repères. 

"J'ai eu du mal à m'adapter à mon retour, rembobinait-elle en début de tournoi dans une interview pour Sport. Maintenant, je me sens plus moi-même ici, comme au Barça. Je le remarque dans mes mouvements, dans ma façon de penser et de jouer, je me sens plus libre, plus fluide, et cela se remarque beaucoup dans les matchs." L’Espagne aussi profite de son retour en grâce : avant cette édition, jamais la Roja n’avait atteint une finale d’un Euro.

Patri a même permis à la Selección de signer un bilan parfait de trois victoires en trois matchs de poules, en inscrivant le but de la remontada face à l’Italie (score final 3-1). Si elle avait reçu le trophée de MVP à l’issue de la rencontre, son ex-coéquipière au Barça Virginia Torrecilla veut plus pour elle : "Quiconque s'y connaît en football doit apprécier le travail de Patri Guijarro. À mon avis, elle aurait dû remporter le Ballon d'or il y a longtemps déjà !" Elle pourrait en tout cas s’en rapprocher en cas de victoire de l’Espagne dimanche.