"Se Acabo." Ces deux mots placardés partout au lendemain de la finale de la Coupe du monde 2023 remportée par l’Espagne dénoncent d’abord l’agression sexuelle de Luis Rubiales, alors président de la fédération espagnole, subie par Jenni Hermoso, mais aussi tout un système misogyne et patriarcal ayant permis le sentiment d’impunité menant à cet acte finalement puni judiciairement. La fédération espagnole est au cœur des critiques formulées dans les différents communiqués publiés par les championnes du monde, dont le sacre est totalement éclipsé par le comportement répréhensible de leur dirigeant.
Convoquées pour un rassemblement auxquelles elles avaient demandé sciemment de ne pas l’être en guise de protestation, les 23 héroïnes s’envolent donc contre leur gré vers Valence, sous peine d’être suspendues plusieurs mois avec leurs clubs. Les capitaines prennent alors leurs responsabilités et s’engagent dans des réunions jusqu’au bout de la nuit avec les cadres de la fédération, pour remettre tout à plat et demander légitimement de vrais changements, après avoir déjà obtenu quelques ajustements superficiels pour convaincre ‘las 15’ de revenir en sélection avant la Coupe du monde.
Tous les sujets y sont passés : les conditions de déplacement, les hébergements, les conditions d’entrainement, le respect des temps de récupération, la planification de la vie de groupe, l’intimité de chacune, la qualification des staffs, la place des enfants pour les joueuses mamans, le niveau d’exigence et d’engagement de la RFEF vis-à-vis du football féminin… Tout un lot de sujets devenus des préoccupations quotidiennes pour des joueuses à qui l’on demande dans le même temps de performer au meilleur niveau. Et dont leurs homologues masculins n’ont pas à se soucier.
Le camp de base en Suisse, symbole du changement d'ère
Lors du dernier Euro, où l’Espagne avait été éliminée dès les quarts de finale face à l’Angleterre, les joueuses étaient logées à Marlow, un village de 14 000 habitantes à l’ouest de Londres particulièrement loin de tout. Pire encore lors du Mondial 2023, où la Roja s’établit à Palmerston North, en Nouvelle-Zélande, dans un hôtel précaire, avant de devoir changer de camp de base parce que les installations mises à disposition étaient insuffisantes et que la pelouse était trop en mauvais état. Les Espagnoles alternent alors entre Wellington et Auckland avant de s’envoler vers Sydney. Se produit là un premier changement significatif : l’effectif a désormais le droit systématiquement à des hôtels cinq étoiles. Loin des hôtels miteux dans des zones industrielles qu’ont connu les générations précédentes.
Tout a changé depuis. En Suisse, la sélection espagnole s’entraîne au Juan Antonio Samaranch Stadium, l’un des rares terrains d’entraînement de la compétition à correspondre à tous les standards fixés par l’UEFA. Le reste du temps, Alexia Putellas et ses coéquipières peuvent profiter d’un camp de base à Lausanne, une des plus grandes villes du pays, dans un hôtel moderne coincé entre les Alpes et le lac Léman, "considéré comme le meilleur du tournoi" selon une source de l’UEFA cité par Sport. L’endroit est conçu par la RFEF comme un espace de vie où les joueuses doivent s’y sentir comme à la maison. Irene Paredes peut par exemple y retrouver son fils Mateo une fois le repas terminé dans un espace dédié.
"C'est sans aucun doute le meilleur camp de base de l'histoire. Et la ville qu'ils ont choisie pour nous est parfaite, constate Patri Guijarro, qui savoure cet Euro après avoir fait une croix sur les deux dernières compétitions pour demander ces mêmes améliorations. En vérité, nous nous sentons comme chez nous." Les Espagnoles ont même pu profiter de cette position stratégique, entre Berne et Thoune où elles ont joué leurs matchs de poules, pour visiter les villes alentours lors de leurs jours off, eux aussi plus nombreux et avec moins de contrôle que lors des dernières compétitions.
"Nous voulons juste profiter du football"
Au-delà du camp de base, c’est tout un environnement qui a évolué autour des championnes du monde pour permettre de se concentrer uniquement sur le sportif et leurs performances : une délégation d’au moins 60 personnes, des spécialistes de chaque domaine allant de la communication à la nutrition, un staff étoffé… Le tout avec une réelle volonté de mettre en avant la sélection féminine, allant de formats originaux sur les réseaux sociaux à des media-days organisés avant chaque match décisif au fil de l’Euro pour permettre aux journalistes, espagnols ou non, d’avoir de nouvelles histoires à raconter.
"Je profite beaucoup de ce tournoi, peut-être même plus que lors des précédents, confesse Irene Paredes, 34 ans et 118 sélections. Nous arrivons dans un moment tranquille, où nous voulons juste profiter du football." Juste après elle, Montse Tomé constate aussi l’évolution du traitement de la sélection et voit dans le fait que les questions posées en veille de finale ne concernent que le football comme "un grand changement que nous avons accompli".
Mais la capitaine veille à ce que la Roja ne se repose pas trop vite sur ses lauriers, après des années de lutte : "Depuis la finale de la Coupe du monde, des progrès importants ont été réalisés, mais je reste persuadée que nous devons continuer à ouvrir des portes pour normaliser des situations qui le sont de plus en plus. Nous avons fait tomber de nombreux murs, nous sommes des références pour les filles et les garçons, mais nous avons encore des choses à faire."