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"Avec cet Euro, on ne peut plus se cacher", se réjouit Djourou sur l’avenir du football féminin suisse

"Avec cet Euro, on ne peut plus se cacher", encourage Djourou sur l’avenir du football féminin suisse
"Avec cet Euro, on ne peut plus se cacher", encourage Djourou sur l’avenir du football féminin suisseNick Potts / PA Images / Profimedia
Johan Djourou, ancien défenseur central d’Arsenal et Hambourg, est aujourd’hui coordinateur de l’équipe nationale féminine de Suisse. Pour Flashscore, il revient sur l’évolution du football féminin suisse mais aussi sur les promesses d’avenir qu’apportent cet Euro réussi à domicile. Entretien.

Flashscore : Comment se porte le football féminin suisse ?

Johan Djourou : Il se porte pas trop mal. Si on prend les joueuses qui jouent à l'étranger, qui jouent dans des grands clubs, je trouve que c'est assez intéressant, comme Sydney Schertenleib ou Lia Wälti, ou encore d'autres joueuses qui sont en Allemagne… On a eu l'exportation aussi d'Iman Beney, qui est partie à Manchester City, Naomi Luyet, qui est partie à Francfort. Donc il y a une très belle génération.

Pourtant le championnat féminin suisse lui n’est pas professionnel.

C’est ce qui manque aujourd'hui vraiment en Suisse, ce côté un petit peu professionnel, que les joueuses puissent se concentrer plus sur le football que leur travail en dehors. Parce que malheureusement, aujourd'hui, ce qui est un peu problématique, mais c’est aussi le cas dans d'autres pays, c'est que les filles ne sont pas focus à 100% sur le football, parce qu'elles doivent travailler à côté et faire d'autres choses pour gagner de l’argent. Donc c'est ce qui manque grandement aujourd'hui encore au niveau du football suisse exactement.

C'est un projet de la fédération que ce football féminin suisse soit un jour professionnel ?

Il y a des envies bien sûr. Aujourd’hui on a beaucoup de choses encore à faire. On aimerait voir le nombre de licenciées grimper, avoir plus de jeunes filles inscrites pour jouer au football. Aujourd'hui, on est à 40 000, on devrait passer à 80 000 après l’Euro. Il y a déjà ce travail avec le football de base, de formation. Et après c’est sûr qu’on aimerait que le football suisse féminin devienne professionnel, mais on sait aussi que c'est une question malheureusement de moyens, de droits TV et de revenus. On a cette volonté, mais je pense qu'il y a encore un petit peu de travail avant d'y arriver.

Il y a un plan strict pour y réussir ?

On a mis un programme de Legacy, pour laisser un impact qui sera durable, sur le long terme après l’Euro. Sur l’aspect professionnel, on est un pays qui est incomparable avec la France ou d'autres pays où c'est plus professionnel. Donc aujourd'hui, la Suisse grandit, la Suisse progresse, la Suisse apprend et on le voit avec les joueuses qu'on forme aujourd'hui. Mais c'est compliqué de s’engager vu d’où le football féminin part. Les filles ne jouent même pas dans des stades qui sont homologués sur toute la saison. Elles jouent encore dans des stades qui sont pour des clubs amateurs. Donc il y a déjà aussi tout ça à mettre en place pour essayer d'avoir un côté beaucoup plus professionnel.

"Pour arriver à un niveau professionnel, il faut aussi beaucoup de compétences"

Est-ce qu’avant cet Euro, il y avait une volonté à l'échelle nationale d'accélérer un peu les choses, de faire en sorte que le foot féminin suisse se porte un peu mieux ?

Il y a toujours eu la volonté de vouloir s'améliorer, en tout cas d’essayer de prendre exemple sur les autres. On sait que le Danemark travaille bien, on sait que l'Allemagne travaille bien, on sait que la France travaille bien… Mais après c'est une proportion, c'est le nombre de joueuses, c'est le nombre de personnes qui sont investies, parce que pour arriver à un niveau professionnel, il faut aussi beaucoup de compétences. Et des fois, par moments, il y a des gens qui n'étaient pas forcément formés non plus pour le football féminin. Donc, il y a plein d'aspects. Mais c'est vrai que dans l'élan de l'Euro, notamment un de mes programmes, c'était l'Impulse programme, c'était de tout faire pour optimiser nos performances à l’Euro, optimiser tout ce qui était sur le côté athlétique, médical au niveau de l'équipe nationale, justement, pour essayer de rivaliser avec les plus grandes équipes.

On dit que le football féminin suisse a beaucoup progressé sur ces dix dernières années. Qu'est-ce qui a changé exactement ?

Je pense que c'est en partie l'ouverture des frontières par certaines joueuses, comme Lia Wälti qui est partie, Geraldine Reuteler qui joue à Francfort… Donc c'est un petit peu comme chez les garçons, il y a une expérience qui s'acquiert à l'étranger, il y a un savoir-faire qui se rend dans le pays aussi après. Cela vaut aussi pour la formation, qui est bonne aujourd’hui avec le centre de formation que nous avons à Bienne, où les joueuses sont suivies très très jeunes pour justement avoir un chemin assez tracé si elles tiennent mentalement. Donc il y a tout un travail qui est fait depuis de longues années, mais c'est surtout aussi inspiré de ce que nous pouvons recevoir des joueuses qui jouent à l’étranger.

"Il faut avoir cette volonté de faire jouer des jeunes joueuses suisses"

Et c’est un travail qui va se poursuivre après l’Euro ?

Oui, bien sûr, c'est dans notre programme Legacy. Le programme Legacy demande aux clubs de participer avec certains critères ou paramètres qu'ils peuvent remplir et après ça, gagner des points et justement faire accélérer leur progression. Notre but aussi c’est d’optimiser la formation des entraîneurs, la formation des joueuses, les compétences des gens qui sont aussi interne au football féminin. C'est vraiment un programme pour développer le football de base aussi, parce qu'on sait qu’à partir du moment où le football de base est meilleur, on arrive à avoir plus de joueuses avec un potentiel intéressant pour la suite.

Et quand on voit que certains clubs, notamment Young Boys, qui jouent le jeu au niveau de la formation, il y a une volonté qu’il y ait un élan national sur la formation dans le foot féminin ?

On a envie d'avoir le plus possible de joueuses suisses dans notre championnat. Donc, il faudra comprendre peut-être qu'à un moment donné, le championnat suisse est un championnat tremplin, un championnat justement qui forme pour les autres pays. Et je pense qu'on est en train de le voir tranquillement maintenant avec les exemples que j'ai donnés : Iman Beney, Naomi Luyet, Noemi Ivelj, qui partent maintenant et démontrent que le championnat est de qualité. Mais c'est vrai qu'il faut avoir cette volonté de faire jouer des jeunes joueuses suisses.

Il y a une mise en place de centres de formation au sein des clubs ?

C’est encore une question de moyens. Il y a le centre de formation de la fédération puis il y a les clubs professionnels, avec des structures pour les moins de 15 ans qui jouent avec les garçons, mais on n’a pas vraiment de centres de formation à proprement parler.

Vous dites que le championnat suisse est un tremplin, c’est encore compliqué de garder des jeunes talents comme Luyet ou Beney en Suisse ?

Oui, clairement. Et puis c'est après une question de moyens aussi. Ces jeunes joueuses ont envie de gagner leur vie et de ne faire que du football. Donc aujourd'hui, c'est compliqué de garder des jeunes talents longtemps si tu sais qu'à l'étranger, tu gagnes peut-être beaucoup plus d’argent et tu es professionnelle à plein temps.

"Avec ce qui se passe, les gens sont conscients du potentiel"

Vous êtes optimiste pour l’avenir de ce football féminin suisse quand vous voyez tout l’engouement national qu’il y a pour cet Euro ? 

C'est très positif. Je pense que les gens ont aussi appris à consommer le produit, à l'apprécier. Maintenant, c'est à nous, c'est aux clubs, à l'association de football de travailler pour que ça continue. Parce qu'on sait qu'un Euro, c'est un boom. Mais après, il y a l’effervescence, l'engouement, etc. Et c'est là qu'il va falloir être bon de continuer à bosser subtilement pour arriver à nos fins.

Parce que si on prend l’exemple de la France, la Coupe du monde 2019 n’a pas été suivie immédiatement de changements pour le football féminin français…

On en est conscient. C'est pour ça qu'il faut trouver des nouvelles formules, une nouvelle idée et qu’il faut être original. Le football féminin a beaucoup beaucoup de qualités que les gens apprécient, l’Euro est de qualité, il y a des beaux matchs… Il y a aussi peut-être une conscience à prendre sur le fait que oui, là, il y a 30 000 personnes dans les stades, mais que certaines filles, bientôt, vont de nouveau jouer devant 2 000, 3 000, peut-être même 1 000 spectateurs. Et tout ça, c'est le fait de devoir grandir. Il faut l'accepter. C'est un produit qui est en train d'éclore. On ne peut pas non plus s'attendre à ce que demain, après l'Euro, il y ait 25 000 personnes à chaque match de championnat suisse. Ce serait irréel. Il faut continuer à bâtir tranquillement et mettre à chaque fois une brique en plus pour que sur le long terme et dans quelques années on puisse arriver à quelque chose de durable. 

Cet Euro va obliger les dirigeants des clubs, de la fédération à prendre davantage en compte le football féminin ? 

Oui, bien sûr. Je pense qu'on ne peut plus se cacher maintenant. Avec ce qui se passe, les gens sont conscients du potentiel. Donc, ce sera à nous de bien réfléchir pour pouvoir continuer à exposer et à utiliser ce produit au mieux.

Vous vous attendiez à un tel engouement ? Parce qu’il y a des villes aujourd’hui où il est difficile de trouver un maillot de la sélection suisse féminine…

Moi je m'attendais à ça. Je connais l’équipe, sa qualité. Donc, oui, je sais que les gens étaient hésitants aussi, mais c'est beau que les gens acceptent enfin et voient la qualité et la beauté de ce produit. Après, bien sûr, il faut des résultats, il faut de la performance. Et je pense que du moment où les filles ont mouillé le maillot et que les gens ont réalisé que ce n'est pas une question de garçons ou de filles, que ce sont des femmes qui se battent pour le pays, c'est clair que l'engouement prend. Et c'est beau de voir cet engouement national lors des matchs, avec des maillots partout, c'est extraordinaire.

"Des joueuses vont continuer à appuyer sur le fait qu'on peut toujours mieux faire"

Vous qui êtes en contact permanent avec cette Nati, est-ce que c'est un sujet dans le vestiaire de se dire qu'au-delà de cet Euro, il y a une envie de promouvoir le championnat suisse, promouvoir le foot féminin suisse ?

Je pense que ça a été la bataille de toutes depuis longtemps. Si on prend des Lia Wälti ou des joueuses qui ont commencé il y a longtemps, où il n'y avait personne au stade, et aujourd'hui elles jouent dans des stades pleins, à Arsenal ou ailleurs, c'est clair que ce sont des précurseuses. Donc pour elles le message a toujours été le même, c'est de faire accepter le football féminin par rapport à ses qualités, à sa valeur, sans avoir de haine, mais juste avoir leur place. Je pense qu'elles sont très contentes de ce qui se passe et on veut que ça continue.

Dans les rues suisses on voit énormément de publicités ou d’annonces avec leurs visages. Ça les rend plus identifiables mais aussi plus légitimes au moment de défendre le football féminin ?

Clairement, ce sont des filles identifiées. Je pense que c'est important de faire en sorte que les jeunes joueuses puissent s'identifier à leurs héroïnes. C'est ce qui se passerait avec des hommes, c'est tout à fait normal qu'elles aient aussi leur place au niveau marketing partout où elles passent et partout dans chaque ville.

Et quand vous voyez un discours comme par exemple celui de Meriame Terchoun qui dit que le foot féminin suisse est encore loin et qu'il y a énormément de progrès à faire… Vous comprenez que des joueuses de la sélection poussent en ce sens ?

Bien sûr, parce que Meriame vient de très loin, elle a tout vécu. Donc c’est normal. Après ce qui sera important c’est l’héritage, s’appuyer sur ce qu’elles font maintenant pour la suite, parce que l'Euro, c'est beau, mais l'Euro, c'est un mois. Donc, qu'est-ce qui se passe après ? C'est clair que des joueuses comme Meriame et comme d'autres qui ont tout vu, vont continuer à appuyer sur le fait qu'on peut toujours mieux faire, et c'est bien. C’est juste.

Une dernière question sur cette équipe de Suisse. En tant que coordinateur de cette sélection, vous êtes optimiste pour le match contre l’Espagne ?

Sur le jeu, il y a 50-50 aujourd'hui. On sait que c'est une des meilleures équipes du monde, mais il y a 0-0 aujourd'hui. Et il y aura 0-0 aussi au coup d'envoi, donc ce sera à nous de mettre tous les ingrédients, la passion et la détermination pour essayer de créer un exploit.