Le triomphe de la Zambie à la CAN 2012 parmi les plus grandes histoires du football

La Zambie a battu la Côte d’Ivoire aux tirs au but pour un sacre inattendu lors de la finale de la CAN 2012.
La Zambie a battu la Côte d’Ivoire aux tirs au but pour un sacre inattendu lors de la finale de la CAN 2012.ISSOUF SANOGO / AFP

L’épopée de la Zambie vers le titre de la Coupe d’Afrique des nations 2012 est l’un des récits les plus marquants de l’histoire du football, non seulement parce que les outsiders ont décroché le trophée, mais aussi en raison du lieu de leur sacre.

La Zambie a battu les très redoutés Éléphants de Côte d’Ivoire aux tirs au but lors de la finale à Libreville, après un score de 0-0 dans le temps réglementaire, mais cela ne représente qu’une partie de l’histoire.

Pour saisir toute l’ampleur de ce triomphe, il faut remonter à 1993 et à l’une des plus grandes tragédies du football africain.

L’équipe nationale zambienne se rendait au Sénégal pour un match qualificatif à la Coupe du monde 1994, avec presque tout l’effectif à bord d’un avion de l’armée de l’air qui a quitté Lusaka et a atterri à Libreville, au Gabon, pour la deuxième des trois escales de ravitaillement.

D’après les rapports, des problèmes de moteur avaient été signalés lors de l’escale précédente à Brazzaville, au Congo, mais l’avion a poursuivi sa route.

Au décollage de Libreville, le moteur gauche a pris feu, un incident grave mais pas forcément fatal. Cependant, il semblerait que le pilote ait coupé par erreur le moteur droit, laissant l’appareil en détresse avant qu’il ne s’abîme en mer, tuant les 25 personnes à bord.

Cette équipe zambienne comptait de nombreux joueurs qui avaient battu l’Italie 4-0 aux Jeux olympiques de Séoul en 1988, même si leur meneur Kalusha Bwalya n’était pas dans l’avion, tout comme plusieurs autres joueurs évoluant en Europe qui avaient des arrangements de voyage séparés pour rejoindre le Sénégal.

Malgré tout, 18 membres de l’effectif ont péri, décimant la sélection nationale et plongeant tout un pays dans le deuil.

La légende zambienne Kalusha Bwalya dépose une gerbe sur le lieu du crash à Libreville avec l’équipe de 2012
La légende zambienne Kalusha Bwalya dépose une gerbe sur le lieu du crash à Libreville avec l’équipe de 2012FRANCK FIFE / AFP

L’équipe a été rapidement reconstruite et n’a manqué la qualification pour la Coupe du monde 1994 que d’un point face au Maroc. Elle a également atteint la finale de la CAN 1994, menant au score avant que le Nigeria ne renverse la situation pour s’imposer 2-1.

Le crash reste l’un des jours les plus sombres de l’histoire de la Zambie, bien au-delà du football.

Mais en 2012, Chipolopolo aborde la phase finale de la CAN sans être attendue, considérée comme un outsider sous la houlette d’Hervé Renard.

Leur victoire était déjà incroyable ; le fait qu’elle ait eu lieu à quelques centaines de mètres seulement de l’endroit où leurs compatriotes ont péri 19 ans plus tôt relève de la coïncidence extraordinaire, vu l’immensité du continent africain.

On aurait dit que les esprits de ces jeunes vies fauchées portaient les joueurs vers la victoire.

Mais Kennedy Mweene, gardien de la sélection 2012 et buteur lors de la séance de tirs au but remportée 8-7 face aux Ivoiriens, affirme que les joueurs ont toujours cru à l’exploit.

« Quand nous sommes arrivés à la CAN 2012, la confiance est née après la CAN 2010 en Angola », raconte Mweene à Flashscore lors d’un entretien exclusif.

L’équipe zambienne de 2012 avec Kennedy Mweene au centre
L’équipe zambienne de 2012 avec Kennedy Mweene au centreABDELHAK SENNA / AFP

La Zambie avait atteint les quarts de finale en Angola deux ans plus tôt, mais avait été éliminée aux tirs au but par le Nigeria après un 0-0.

« Nous nous sommes retrouvés en stage à Johannesburg (Afrique du Sud), et environ 90 à 95 % de l’effectif était le même que celui qui était allé en Angola », explique-t-il.

« Nous nous sommes réunis entre joueurs et on s’est dit : “Impossible de sortir en quarts en 2010 et d’aller au Gabon pour tomber dès le premier tour.” On a commencé à se responsabiliser. Si quelqu’un traînait à l’entraînement, on le reprenait. On se corrigeait entre amis. Une fois qu’on s’est mis au clair entre joueurs, tout est devenu plus simple pour le coach, car on avait déjà compris ce qu’il attendait. On s’est dit qu’on n’était pas là pour faire de la figuration, mais pour se battre. La plupart d’entre nous jouaient en Afrique, on se connaissait bien, et cette cohésion est devenue notre force. Après ça, tout s’est enchaîné. »

Le Français Renard a fait ses armes d’entraîneur sur le continent africain, d’abord comme adjoint du globe-trotter Claude Le Roy, puis comme coach principal.

En 2012, il vivait sa deuxième expérience à la tête de la Zambie et entretenait toujours une excellente relation avec ses joueurs.

« Il était très strict sur le travail, mais aussi flexible », poursuit Mweene. « Il nous traitait en adultes, nous laissait de la liberté quand elle était méritée, surtout le week-end, mais attendait 120 % à l’entraînement. Il écoutait, mais il nous poussait aussi. Il pouvait t’appeler à part et dire : “Ce n’est pas le Kennedy que je connais, qu’est-ce qui se passe ?” Les joueurs aimaient ça, car ça montrait qu’il se souciait de nous. On lui faisait confiance et il nous faisait confiance. Pour beaucoup, il était comme un père ou un grand frère. »

Le coach français Hervé Renard a mené la Zambie au titre
Le coach français Hervé Renard a mené la Zambie au titreISSOUF SANOGO / AFP

Tout entraîneur vous le dira : remporter le premier match d’un tournoi est crucial, et la Zambie a créé la surprise en s’imposant 2-1 face au Sénégal grâce à des buts d’Emmanuel Mayuka et Rainford Kalaba.

« Avant le Sénégal, le coach nous a dit : “Qui connaît Kennedy ? Qui connaît Chris (Katongo) ? Personne. Alors pourquoi jouer sous pression ?” » raconte Mweene. « Il a dit que si on perdait, personne n’en parlerait. Si on gagnait, ce serait une histoire. Ça a enlevé toute la pression. Après la victoire 2-1, il nous a rappelé que ce n’était pas une question d’individus, mais d’équipe. Ce succès a fait croire à chaque joueur que c’était possible. »

La Zambie est ensuite revenue deux fois au score pour arracher un nul 2-2 face à la Libye, ce que Mweene considère comme la preuve de l’état d’esprit combatif du groupe.

« Ce match, c’était comme jouer dans une piscine, le terrain était inondé après de fortes pluies. À la mi-temps, (Renard) nous a dit : “Comment pouvez-vous jouer à ce niveau contre le Sénégal et me montrer de la médiocrité aujourd’hui ?” » se souvient Mweene.

« Il a dit que c’était à nous de décider si on voulait gagner ou perdre. Puis il s’est assis et nous a laissés discuter entre nous. On a tout de suite compris le message. On est revenus plus forts, on a égalisé deux fois et obtenu le nul. Il savait toujours comment nous motiver. »

Leur meilleure performance en phase de groupes est sans doute venue lors du dernier match, à Malabo, où ils ont battu les coorganisateurs la Guinée équatoriale 1-0 devant 44 000 supporters déchaînés.

« On plaisantait souvent avec les attaquants en disant : “Marquez juste un but, ils ne marqueront pas contre nous” », raconte Mweene. « Il y avait toujours un pari entre défenseurs et attaquants à l’entraînement. Si on encaissait, les défenseurs payaient. Si les attaquants ne marquaient pas, c’était à eux de payer. Ça a forgé un esprit de combat. Même contre les hôtes, on croyait qu’on reviendrait quoi qu’il arrive. Tout le monde faisait confiance au collectif. »

La Zambie était favorite pour son quart de finale face au Soudan au vu de sa forme, et s’est imposée 3-0.

« Les gens pensaient que le Soudan serait un match facile, mais on n’a pas laissé cette idée nous envahir. Ce sont des adversaires dangereux, car on les connaît mal », explique Mweene.

« Le coach nous a dit : “À chaque occasion, il faut la concrétiser. Marquez et prenez du plaisir.” On s’est dit : “Impossible de sortir en quarts après avoir joué le Sénégal, la Libye et les hôtes.” C’est cet état d’esprit qui nous a portés. »

Kennedy Mweene a arrêté un penalty en demi-finale contre le Ghana
Kennedy Mweene a arrêté un penalty en demi-finale contre le GhanaALEXANDER JOE / AFP

Battre la Côte d’Ivoire en finale fut un immense exploit, mais Mweene estime que le match le plus difficile fut la demi-finale contre le Ghana à Bata, remportée grâce à un but de Mayuka et après un penalty arrêté par Mweene face à Asamoah Gyan.

« Le match contre le Ghana a été le plus dur de tout le tournoi, même plus que la finale », confie le gardien. « (Renard) nous a dit que le Ghana avait de meilleurs joueurs individuellement, mais que nous étions plus forts collectivement. On a tenu le match aussi longtemps que possible et on a marqué. Encore aujourd’hui, je dis que cette demi-finale a été le match le plus difficile de ma carrière. »

La finale face aux Ivoiriens a été âpre, se terminant sur un score vierge avant que la Zambie ne s’impose aux tirs au but. Mweene a eu le cran de tirer le cinquième penalty de son équipe, même s’il était habitué à cet exercice tout au long de sa carrière.

Kolo Touré et Gervinho ont manqué leur tentative lors de la séance, et la Zambie a été sacrée pour la première fois, contre toute attente.

« C’était une immense joie d’être en finale », se souvient Mweene. « Peu importait l’adversaire, le principal était d’y être. Tout peut arriver en finale. Le coach nous a rappelé qu’on n’était pas la première équipe zambienne à atteindre une finale, celle de 1994 l’avait fait. Donc si on finissait deuxièmes, ce ne serait pas historique. “Si vous voulez qu’on se souvienne de vous”, a-t-il dit, “allez au bout et gagnez-la.” Tout le monde s’attendait à voir la Côte d’Ivoire l’emporter, ils avaient Drogba, Touré, Gervinho, tous ces grands noms. Mais on sentait que c’était notre moment d’entrer dans l’histoire. Quand on est allés aux tirs au but, on était confiants. On les avait travaillés avant même le tournoi. Chacun savait ce qu’il avait à faire. »

Les joueurs zambiens célèbrent leur victoire aux tirs au but
Les joueurs zambiens célèbrent leur victoire aux tirs au butISSOUF SANOGO / AFP

Les joueurs zambiens s’étaient rendus sur la plage près du lieu du crash qui avait coûté la vie à 25 de leurs compatriotes, pour leur rendre hommage dans des moments d’émotion au cœur de la CAN.

« Pour être honnête, cette équipe disparue à Libreville en 1993 était bien meilleure que celle qui a remporté la CAN en 2012 », admet Mweene. « Je pense que n’importe quel joueur vous le dirait. Cette équipe avait tout. Mais c’est nous qui avons été choisis pour gagner la CAN, je ne saurais dire pourquoi. Nous avons été bénis. Nous étions ceux qui pouvaient enfin refermer le chapitre de ces héros disparus, accomplir ce que le crash leur avait refusé. On pouvait sourire et dire : “mission accomplie”. On commence à comprendre pourquoi, tout à coup, on se retrouve en finale. Pourquoi on joue au Gabon, là où nos frères, nos pères, se sont écrasés. Il y a une raison à notre présence ici, et une raison pour laquelle on s’est battus jusqu’au bout. Il fallait clore ce chapitre pour eux. Et on l’a fait. »

La Zambie affrontera le pays hôte, le Maroc, le Mali et les Comores dans le groupe A lors de la phase finale 2025 qui débutera le 21 décembre. Leur premier match sera contre le Mali à Casablanca le lendemain.