Interview Flashscore : Saïd Bakari : "Le groupe A est compliqué, mais, tout le monde peut battre tout le monde"

Saïd Bakari fait partie des joueurs les plus capés des Comores
Saïd Bakari fait partie des joueurs les plus capés des ComoresČTK / AP / Ulrik Pedersen

Quatre ans après leurs débuts à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), les Comores sont prêts à montrer au monde qui ils sont. Le latéral droit Saïd Bakari, l’un des joueurs les plus capés de l’histoire de l’archipel, affirme qu’ils ne viennent pas au Maroc pour faire de la figuration.

Le latéral droit de Sparta Rotterdam, Saïd Bakari, compte 50 sélections avec les Comores et était présent lors de la première participation de la petite nation insulaire à la Coupe d’Afrique des Nations en 2021.

Quatre ans après leur élimination en huitièmes de finale, Paul Winters de Flashscore Global a rencontré Bakari au centre d’entraînement de son club, Nieuw Terbregge, pour une interview exclusive avant le tournoi très attendu au Maroc.

Salut Saïd, comment vas-tu ?

"Je vais bien. J’ai hâte que la CAN commence. On sait depuis un moment qu’on est qualifiés, on a joué quelques matchs depuis – ça approche, donc on attend le coup d’envoi avec impatience."

Ce sera ta deuxième CAN. Tu te souviens de ce que tu as ressenti lors de la première ?

"C’était un moment spécial. On était très fiers d’y participer. Mais à ce moment-là, il y avait encore le COVID. On n’a pas pu vraiment profiter du tournoi et de l’ambiance en tant que joueurs, car il fallait toujours garder nos distances. Mais c’était quand même formidable, aussi pour moi. C’était une expérience incroyable – c’est le plus haut niveau international du football africain, et tu affrontes des équipes qui jouent la Coupe du monde. Le niveau est très élevé, et c’était une belle expérience pour nous."

Saïd Bakari (#22) balle au pied face au Cameroun lors de la CAN 2021
Saïd Bakari (#22) balle au pied face au Cameroun lors de la CAN 2021Fareed Kotb / ANADOLU AGENCY / Anadolu via AFP / Profimedia

Tu as qualifié ta première CAN avec les Comores de rêve. Comment décrirais-tu la deuxième ?

"Une confirmation. C’est l’étape suivante. La première fois, c’est un rêve, la deuxième, c’est pour prouver que ce n’était pas un coup de chance. On a eu la chance de le faire, mais ce n’est pas arrivé par hasard. Cette fois, on a encore montré qu’on n’est pas là par hasard. La deuxième fois, c’est le moment de montrer qui on est et pourquoi on est là. Surtout face au Maroc, l’une des meilleures équipes du tournoi, chez eux."

Comment abordez-vous le match d’ouverture contre le Maroc ?

"On va essayer de profiter du moment. Il ne faut pas se mettre la pression ni trop réfléchir ; il faut juste jouer. Personnellement, j’adore jouer devant un public, même hostile. On va savourer. On est surtout des gars des rues de France, de Paris, Marseille et d’autres coins du pays. On aime ces moments-là, donc on va jouer sans pression et avec plaisir."

Peu de gens connaissent les Comores. Comment décrirais-tu l’équipe ?

"On est une équipe technique. On n’est pas aussi grands et costauds que d’autres équipes africaines. On est les plus petits sur le terrain, mais très techniques. Tactiquement, on est aussi solides. On joue en équipe – on n’a pas de grands noms ou de star sur qui on s’appuie. Tout le monde doit se battre les uns pour les autres, du gardien à l’attaquant. On est une vraie équipe et il faut jouer comme telle, sinon ça devient compliqué pour nous."

Les Comores alignés avant le match qualificatif de la CAN contre la Tunisie
Les Comores alignés avant le match qualificatif de la CAN contre la TunisieČTK / imago sportfotodienst / Wassime Mahjoub

Comment décrirais-tu ton propre rôle en tant que l’un des joueurs les plus capés de l’histoire du pays ?

"Je suis un bosseur. Je ne me considère pas comme un exemple, mais je suis quelqu’un qui travaille toujours dur. Quand tu montres ça, tu transmets aux jeunes l’idée qu’il faut bosser pour obtenir des résultats. Mon rôle, c’est aussi de faire le lien entre les jeunes et les anciens. Je suis un peu entre les deux – il y a des joueurs plus âgés que moi, et j’ai une bonne relation avec les plus jeunes. Certains préfèrent me parler à moi plutôt qu’au staff ou aux anciens ; dans ce cas, je transmets le message. Mais je suis aussi là pour l’ambiance. Je trouve important de garder une bonne cohésion et de continuer à prendre du plaisir."

En tant que joueur expérimenté et pour ta huitième année en sélection, ressens-tu une certaine responsabilité et un rôle de leader pour le pays ?

"Tu es vraiment exposé. Ce que tu montres, fais ou dis a un impact. Peut-être pas dans tout le pays, mais les gens suivent ce que tu fais ou dis. Je sais que je ne suis pas un inconnu là-bas – je dois faire attention à ce que je fais, notamment sur les réseaux sociaux, car ça touche aussi ma famille. On est des personnalités dans le pays. On ne peut pas aller partout ; on est connus là-bas. On n’a pas besoin de ça, mais c’est le football. On est ceux que les gens suivent, que les jeunes prennent en exemple, qu’on regarde comme des ‘grands’, si on peut dire."

Comment c’était de revenir à Moroni après deux ans ?

"Fou. On n’y était pas allés depuis deux ans, mais c’était le moment de revenir. Ce n’était pas comme la première fois, mais c’était dingue. Il y avait énormément de monde, de l’aéroport à l’hôtel, pendant les entraînements, pendant le match… Toute la semaine, c’était que du foot. C’était beau à voir, ils nous attendent toujours. On a joué toute la phase de qualification à l’extérieur ; on n’a pas eu l’occasion de fêter ensemble, mais là, c’était le moment."

Vous êtes dans un groupe avec le Maroc, le Mali et la Zambie. Que penses-tu du groupe ?

"C’est l’un des groupes les plus relevés, si ce n’est le plus difficile du tournoi. Le Mali a une très bonne équipe qui a atteint les quarts de finale la dernière fois, tout le monde connaît le Maroc et sa série de 17 victoires, et la Zambie est une ancienne championne d’Afrique. On est une petite équipe, la plus petite même. C’est un groupe compliqué, mais aujourd’hui, tout le monde peut battre tout le monde. On est une bonne équipe, donc ce ne sera pas facile pour eux non plus. On vise trois victoires.'

D’autres petites nations, comme Curaçao, vous inspirent-elles après leur qualification pour la Coupe du monde ?

"Bien sûr. Il faut croire en soi et tout donner. Il y a Curaçao, le Cap-Vert maintenant, il y a eu l’Islande à l’Euro il y a quelque temps – il faut croire en soi et en son équipe. Tout peut arriver. Tu ne peux pas battre l’Argentine d’un coup, il faut y aller étape par étape."

Comment décrirais-tu l’impact du coach Stefano Cusin ?

"C’est un entraîneur très rigoureux défensivement. Il est italien, et ils sont très disciplinés dans les tâches défensives. Il a changé notre façon de jouer en contre – on évolue dans un autre schéma, ce qui nous permet d’aller plus vite vers l’avant. À son arrivée, il trouvait qu’on jouait bien, mais qu’on n’allait pas assez vite vers l’avant."

Comment est-il avec le groupe ?

"Très bien. De nouveaux joueurs sont arrivés et se sont tout de suite intégrés. Les premiers résultats ont été bons aussi. Il s’est bien fondu dans le groupe – on va plus vite vers l’avant et on garde bien le ballon. On progresse aussi défensivement."

Stefano Cusin dirige l’équipe des Comores
Stefano Cusin dirige l’équipe des ComoresX/@fedcomfootball

Qu’est-ce que tu remarques dans la façon dont Cusin vit la CAN avec les Comores ?

"Il est ambitieux. C’est aussi un bon moment pour lui. Il est arrivé et a tout de suite qualifié l’équipe pour la CAN, et il a failli faire pareil pour la Coupe du monde. Il est comme nous – il a hâte de vivre la CAN."

L’équipe est principalement composée de joueurs venus de pays comme la France. Que remarques-tu chez les locaux qui rejoignent le groupe ?

"On a de bons joueurs. Les locaux rejoignent parfois l’équipe. Tactiquement, le championnat n’est pas très relevé, mais les joueurs progressent. Dans quelques années, de plus en plus de joueurs locaux intégreront la sélection. Certains nous ont rejoints pour la CAN. Techniquement, ils sont très bons. Ils ne sont pas encore les meilleurs, mais ils progressent sans cesse."

Ressens-tu la progression du football dans le pays ?

"Oui, clairement. Ce n’est pas encore professionnel, mais ils essaient de faire avancer les choses car les joueurs locaux peuvent apporter quelque chose. Il y a des tournois pour les joueurs locaux en Afrique, ce qui donne envie à plus de jeunes de devenir footballeurs professionnels. Ils voient qu’on peut jouer à l’étranger, même en Afrique. On a des gars qui jouent en Mauritanie, en Namibie, au Botswana. Ils savent qu’ils peuvent aller plus loin que les Comores, où on construit des infrastructures et on essaie d’améliorer les choses."

Les joueurs comoriens célèbrent un but lors du match amical contre la Namibie
Les joueurs comoriens célèbrent un but lors du match amical contre la NamibieInstagram/@fedcomfootball

Comment as-tu vécu la construction du groupe ?

"Quand j’ai rejoint l’équipe, elle était déjà très bonne. Les gars jouaient ensemble depuis quelques années. On avait un style de jeu différent de celui d’aujourd’hui. Maintenant, on a beaucoup de jeunes qui évoluent en première ou deuxième division en France. À l’époque, la plupart jouaient en troisième division, et c’était plus difficile de gagner. Plus de joueurs de haut niveau ont rejoint l’équipe, et on a pris confiance – on n’est plus une équipe qui reste derrière. On a progressé étape par étape. Les jeunes issus des centres de formation français arrivent plus vite qu’avant – des gars de 16 ou 17 ans nous rejoignent maintenant."

Quel est ton objectif ultime à la CAN ?

"Gagner. Pour moi, c’est possible. J’y vais avec l’ambition de gagner. Si tu ne crois pas en toi, qui va croire en toi ? On y va pour gagner et aller le plus loin possible dans le tournoi. Tout le monde a déjà remporté quelque chose pour la première fois"

Décris les Comores en un mot.

"Amour. C’est un pays où il y a beaucoup d’amour pour tout le monde. Tout le monde est le bienvenu, ils aiment les étrangers. Il y a beaucoup de joie, les gens sourient tout le temps. C’est un pays pauvre, mais c’est un pays d’amour."

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