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FlashFocus : Bruno Genesio, la valeur sûre de la Ligue 1

Bruno Genesio lors de la victoire de Lille à Lens
Bruno Genesio lors de la victoire de Lille à LensMatthieu Mirville / DPPI via AFP

Capable de faire déjouer les meilleurs managers européens, Bruno Genesio a démontré depuis ses débuts en Ligue 1 sur le banc de l'Olympique Lyonnais des aptitudes que peu d'entraîneurs français ont. Avec Lille, dans un contexte idéal pour lui, il peut viser le plus haut niveau en Ligue des Champions. Avant d'obtenir une chance dans un grand championnat européen ?

C'était en 2018, à l'Etihad Stadium. En phase de groupes, l'Olympique Lyonnais a tiré Manchester City. Ce 19 septembre 2018, la question n'était pas de savoir si les Citizens allaient gagner mais combien ils allaient en coller aux Gones. Surprise : l'OL terrasse City (2-1) avec des buts de Maxwell Cornet et Nabil Fekir. Le lendemain, L'Equipe titre à sa une "Le Peps Genesio". De cette victoire, Bruno Genesio en gardera un surnom comme un trophée : Pep, évidemment en référence à Guardiola

Pourtant, au départ, l'hommage, un brin narquois, le fait moyennement rire, comme il l'a concédé à So Foot en 2020 : "au début, ça m'a énervé, puis j'ai fini par trouver ça marrant. (...) J'espère malgré tout que Guardiola ne se fait pas appeler 'Bruno' à Manchester. Plus sérieusement, c'est un mec que j'adore. Pour moi, c'est le meilleur"

Avant la réception du Real Madrid, Genesio est revenu dans les colonnes de L'Equipe sur cette victoire fondatrice dans son parcours d'entraîneur. "Même si on sortait d'un mauvais match à Caen (2-2), j'ai tout de suite dit au staff que je souhaitais qu'on aille là-bas pour jouer, expliquait-il. J'ai réussi à transmettre à mes joueurs et à mon staff cette confiance. Je n'aime pas m'adapter seulement à l'adversaire. Le meilleur moyen de poser des problèmes est de jouer sur ses points forts. Parfois, ça t'expose, ça crée des déséquilibres et tu peux subir des déconvenues. À City, j'avais mis Pape Cheik Diop et Tanguy Ndombele devant la défense et quatre offensifs. Quand j'ai annoncé la compo à mes adjoints, ils m'ont demandé comment j'allais récupérer le ballon. Gagner là-bas m'a fait basculer dans une autre façon de fonctionner. Quand on est entraîneur, il y a des choses rationnelles et d'autres non. Et cet irrationnel tient au ressenti. Ce succès m'a conforté sur le fait de prendre mes décisions en mon âme et conscience. Surtout pas par rapport à ce que l'on peut entendre".

Pur Lyonnais, pur Gone

Au départ, "Pep", c'était un peu pour se moquer de lui. Lyonnais formé à l'OL, Genesio a porté le maillot des Gones de 1985 à 1995 (excepté la saison 1993-1994 où il était prêté à Nice) et a assisté aux débuts de la transformation du club depuis 1987 et l'arrivée de Jean-Michel Aulas. En 2007, après des expériences à Villefranche et Besançon en CFA (4e division), l'ancien milieu de terrain revient dans "son" club en 2007. Il y gravira tous les échelons : scout, adjoint de la réserve, entraîneur de la réserve, adjoint de l'équipe première pendant 240 matches et entraîneur de l'équipe première. Commencé le 24 décembre 2015, son mandat s'étirera jusqu'à la fin de la saison 2018-2019. 

Son bilan en championnat est excellent : 2e en 2016, 4e en 2017, 3e en 2018, 3e en 2019. Pourtant, Genesio n'est pas prophète en son pays. Régulièrement sifflé par son propre public, il fait figure d'archétype de l'entraîneur français, bien équilibré en priorité en 4-2-3-1 voire carrément en 4-3-1-2, plus soucieux de rester bien en place que de proposer un jeu plus attrayant. Une situation guère facile à gérer, comme il l'expliquait dans So Foot : "j’ai manqué d’expérience à mes débuts à Lyon. Je n’ai pas voulu écouter certaines personnes, notamment Gérard Houllier. En fait, j’ai tellement été marqué par cette espèce d’image que l’on m’a collée tout de suite que j’ai voulu trop en faire, pour prouver. J’étais dans un état d’esprit un peu 'seul contre tous'". Depuis son départ, l'OL n'est plus monté sur le podium...

"Pendant trois ans et demi, je pense qu'on a fait du très bon travail, sans faire le fanfaron, estimait-il dans L'Equipe en octobre dernier dans L'Equipe. Mais à un moment donné, même lorsqu'il pleuvait, c'était de ma faute. Ma plus grosse fierté, c'est lorsque je croise d'anciens joueurs. Ils me disent qu'ils sont tous très contents que je les aie coachés". 

La perception des supporters et même de tout le microcosme aurait-il changé si l'OL n'avait pas trébuché en demi-finale de la Ligue Europa en 2017 ? Contre l'Ajax, face à l'équipe qui atteindra le dernier carré de la Ligue des Champions l'année suivante, les Gones sombrent à Amsterdam (4-1) mais frôle l'exploit au retour (3-1). "Mon plus gros regret à Lyon, expliqua-t-il dans So Foot. J’avais les joueurs pour le faire collectivement, j’avais aussi des personnalités comme Mathieu Valbuena, Alex Lacazette, Sam Umtiti, Corentin Tolisso, Nabil Fekir… Je n’aime pas ressasser les regrets, mais celui-ci, il existe"

Expériences réussies en Chine et à Rennes

Proche de Newcastle avant que Mark Ashton ne fasse volte-face, Genesio s'exile en Chine, au Beijing Guoan. Il a 10 journées pour obtenir une place qualificative en Ligue des Champions asiatique : il y parvient, en battant le record du club en championnat et voit le titre s'envoler pour à peine 2 points. Le début de saison suivant est baroque : à cause de la pandémie, il dirige son équipe depuis la France et, dans un format ad hoc avec deux groupes et une phase finale, il atteint les demi-finales. 

Il quitte son poste début janvier 2021 : il retrouve un poste en Ligue 1 deux mois plus tard, à Rennes. Après la démission de Julien Stéphan, Florian Maurice, qui fut son coéquipier à Lyon avant de devenir scout puis chef du recrutement jusqu'en 2020, lui fait confiance pour relancer le club breton. Mission accomplie avec un bilan positif (6 victoires, 2 nuls, 3 défaites) qui permet d'accrocher une place en Ligue Europa Conférence. Pour sa première saison complète, en 2021-2022, Genesio guide son équipe à la 4e place avec une qualification pour la Ligue Europa. Cerise sur le gateau, il est élu entraîneur de l'année. Il réédite la performance en 2022-2023. Mais dans un club qui cultive l'instabilité, avec de nombreux transferts qui bousculent le vestiaire tous les étés, il saute en novembre après une défaite à domicile contre... Lyon qui n'avait pas gagné lors des 11 premières journées. 

Réservoir Dogues

Après une pause de quelques mois, Genesio retrouve un poste, à Lille, où il doit prendre la relève de Paulo Fonseca. Si le premier tiers de saison est satisfaisant avec 19 points engrangés pour une 4e place à une seule longueur du podium, c'est surtout en Ligue des Champions que l'entraîneur a fait parler de lui. 

Depuis la victoire contre City, Genesio a réalisé quelques jolis coups, notamment contre la Roma en 1/8 de Ligue Europa en 2017, contre Villarreal en barrage de C3 en 2018. Quand il est viré de Rennes, il a pris 9 points sur 12 lors de la phase de groupes. Mais les éliminations contre l'Ajax, Leicester en 1/8 de finale de Ligue Europa Conférence et en barrage de Ligue Europa contre le Shakhtar ont laissé des traces. 

5 ans et demi après l'élimination de l'OL contre le Barça en 1/8 de finale (0-0 à Lyon, défaite 5-1 au Camp Nou), Genesio a retrouvé la Ligue des Champions via les tours préliminaires. Au coeur des JO, le LOSC remporte le match aller du 3e tour préliminaire contre le Fenerbahçe de José Mourinho (2-1) avant d'arracher sa qualification en prolongation à Istanbul (1-1). En barrage,le Slavia Prague tombe à son tour et les Dogues sont de retour dans la reine des compétitions. Le début a été inquiétant, avec une défaite à Lisbonne (2-0) contre le Sporting CP de Ruben Amorim.

Et puis il y a eu ce back-to-back madrilène, avec une victoire au stade Pierre-Mauroy contre le Real Madrid (1-0) et un succès au Metropolitano contre l'Atlético alors même qu'il avait aligné un XI de départ composite et encaissé un but dès la 8e minute (3-1). José Mourinho, Carlo Ancelotti, Diego Simeone : le tableau de chasse de Genesio est impressionnant. Et après 4 journées très relevées, Lille compte 7 points après son match nul contre la Juventus de Thiago Motta (1-1). 

Mais cela lui permettra-t-il de voir sa réputation franchir les frontières françaises ? Cette saison, son LOSC a oscillé entre une défense à 3 lors du premier mois et demi de compétition, et un retour à 4 hormis contre l'Atlético. Une série de 4 défaites consécutives, du barrage retour de C1 contre le Slavia à l'entrée en lice dans la phase de ligue contre le Sporting CP, a mis fin à cette proposition initiale marquée également par une défaite contre le PSG à domicile (3-1) et un non-match à Saint-Étienne (1-0) qui avait fait sortir le président Olivier Létang de ses gonds devant la presse.

Le message a porté. Létang n'a envisagé personne d'autre que Genesio dans le Nord alors que son nom était associé à plusieurs clubs de L1, en particulier à Lens et Nice. "Il a formidablement bien géré notre calendrier, a-t-il déclaré après la victoire contre l'Atlético. Il n'a pas voulu privilégier son image avec un match de coupe d'Europe mais le club car la Ligue 1, c'est notre gagne-pain. Et il a permis, en plus, de mettre en valeur un groupe de grande qualité. J'aime la compréhension de son rôle, il est très corporate. C'est pour ça que j'ai toujours voulu travailler avec lui, que ce soit sur le plan humain ou professionnel". 

La courbe de performance du LOSC n'a pas été linéaire mais les Dogues bénéficient d'un cadre suffisamment solide qui permet de se relancer rapidement. Dans L'Equipe, Genesio a étayé : "il y a en premier notre capitaine Benjamin André qui insuffle toujours un esprit de gagne et le fait de ne jamais rien lâcher. Il y a aussi d'autres joueurs dont on parle peut-être un peu moins, mais qui sont là. Lucas Chevalier, bien évidemment. Il y a Bafodé Diakité, Aïssa Mandi véhicule aussi beaucoup de choses positives, notamment sur les plus jeunes. Jonathan David est aussi quelqu'un de très positif dans son attitude et dans son comportement à l'entraînement. Ça rejaillit sur tout le monde".

Le fait aussi d'être entouré d'un staff au passif lyonnais permet la remise en cause sans renverser la table. À Lille, il travaille avec des personnes de confiance connues à Lyon : Dimitri Farbos a été son adjoint à l'OL, en Chine et à Rennes; le responsable de la performance Antonin da Fonseca a été son préparateur physique à l'OL; Jérémie Bréchet a travaillé à la formation à l'OL après être lui-même sorti du centre de Tola-Vologe et a été assistant de Pierre Sage chez les Gones avant de rejoindre Genesio dans le même rôle.  

Réputé pour son management, autant que pour ses causeries avant et pendant la rencontre, Genesio a souvent su tirer le meilleur de ses effectifs et aucune saison complète ne s'est achevée sur une déception en championnat. Mais entre le talent, le vécu commun et l'ambition, il a rarement eu autant de matériel à disposition : "j'ai eu la chance d'avoir connu beaucoup de groupes avec un très grand état d'esprit, estimait-il dans L'Equipe en octobre. Mais c'est vrai que celui-ci fait face à beaucoup de vents contraires. Faire face, c'est une chose, mais continuer à être performant, ça en est une autre. Je pense que c'est parce que l'on travaille que l'on a donc des leaders très positifs. Ils véhiculent toujours les opportunités à saisir plutôt que de se lamenter"

Jamais récompensé mais d'une régularité rare, Genesio apporte une garantie de résultats, lui qui n'a jamais terminé plus loin que la 4e place en Ligue 1 quand il a disputé une saison complète. Encore peu connu à l'étranger, il fait figure de valeur sûre en France. Engagé dans un projet à moyen terme avec Lille, sa prochaine aventure pourrait enfin le guider vers un grand club d'un championnat majeur. Après avoir prouvé sa valeur face à des références incontournables du coaching, s'il y en a bien un technicien tricolore qui peut y parvenir, c'est bien lui.