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Exclu' Flashscore - Romain Ruiz : "Mon rêve est de revenir en équipe de France"

Romain Ruiz lors d'une rencontre de Bundesliga en janvier dernier.
Romain Ruiz lors d'une rencontre de Bundesliga en janvier dernier.imago sportfotodienst/Revierfoto/Flashscore

Médaillé de bronze aux Championnats de France en mars, Romain Ruiz (28 ans) fait partie des meilleurs pongistes tricolores depuis plusieurs saisons. Expatrié en Bundesliga, dans l'ombre des Lebrun notamment, il aimerait retourner sur le circuit WTT et revenir en équipe de France, avant peut-être un retour en Pro A. Zoom sur un joueur atypique.

Flashscore : Deux mois après votre demi-finale aux Championnats de France, comment l'avez-vous vécu ?

Romain Ruiz : J'y suis arrivé avec zéro confiance parce que j'ai fait une saison un peu compliquée en Allemagne, j'ai été blessé en début de saison et ça n'a pas été facile de retrouver une bonne condition physique. J'ai pourtant battu Hugo Calderano (en novembre dernier, ndlr), ce qui était un peu surprenant après quatre mois d'arrêt. Et, deux jours avant le début des Championnats de France, je joue Darko Jorgic (N°10 mondial, ndlr) en Bundesliga, j'ai trois balles de match et je perds, et c'est pas la première fois que ça m'arrive dans la saison. Donc, je n'avais pas forcément une très grande confiance en moi vu que je ne gagnais pas beaucoup de matchs et que je n'ai pas beaucoup joué non plus. D'entrée, je tombe sur Alexis Kouraichi (N°77 français, ndlr), je gagne 4-2, mais ce n'était pas facile, je ne fais pas un très grand match, mais j'ai un peu plus d'expérience que lui qui a fait que j'ai réussi à gagner dans les moments importants. Ce match m'a fait un peu du bien mentalement. En 8e de finale, je joue sur Alexandre Robinot (N°27 français, ndlr), qui est un joueur que j'ai battu la dernière fois en France déjà, mais c'est un système de jeu qui ne me correspond pas du tout, je n'aime pas du tout ce style de jeu qui est très rapide, qui met beaucoup de pression. Je suis derrière au score tout le match, mais finalement, je m'en sors bien et je sentais que mon niveau de jeu était de mieux en mieux, donc j'étais content. Et en quart de finale, j'ai vraiment fait un bon match sur Antoine (Hachard, N°24 français, ndlr). C'est un très très bon joueur dont le système de jeu ne m'est pas favorable, c'est un joueur qui va assez vite, qui est solide de côté. Et j'ai réussi à faire un très bon match. Je pense que j'ai dominé le match de A à Z, même si j'ai eu un petit saut de concentration. Enfin, pour revenir sur la demi sur Félix (Lebrun), c'était compliqué, parce que j'avais beaucoup donné sur la veille, j'avais fait deux matchs d'1h30 chacun, et physiquement, j'étais sec, j'ai dormi une heure la nuit précédente, parce qu'avec l'adrénaline, c'est dur de redescendre. Et, c'est un peu dommage, parce que certes Félix est bien meilleur que moi, mais je pense que j'ai un système de jeu où si j'avais été aussi frais que la veille, j'aurais pu l'embêter un peu plus, après de là à gagner c'est autre chose, mais un match de ping ça peut aller très vite, donc je suis un petit peu déçu sur l'issue du match, parce que le 4-0 est un peu sévère, mais je le connais un petit peu et je sais que j'aurais pu le faire chier un peu plus. Mais si tu m'avais dit ça six mois avant, durant lesquels j'ai été blessé au pectoral et à l'épaule, je ne savais pas si j'allais retrouver mon meilleur niveau, que j'allais monter sur le podium au vu du niveau qu'il y a en France aujourd'hui, j'aurais signé. Une fois que tu es sur le podium, tu as envie d'avoir une meilleure couleur, mais sincèrement, je suis très content du parcours, très content aussi d'avoir bien joué en France, parce que les gens me voient moins, et j'ai à cœur de montrer mon niveau de jeu et de montrer le joueur que je suis devenu en Allemagne.

FS : Sur cette compétition, on a senti que vous aviez passé un cap, notamment dans la justesse à la table, c'est un aspect que vous avez travaillé dernièrement ?

RR : Quand on ne me connait pas, j'ai un jeu qui paraît un peu champagne, presque tout ou rien, mais j'ai le même jeu depuis 10-15 ans. J'ai un jeu à risque, je prends beaucoup mon coup droit, j'essaie de finir le point assez rapidement, sauf qu'en fait quand tu regardes les Japonais et les Chinois c'est pareil. C'est avec le temps, le travail, la maturité, l'expérience, on n'a pas l'impression, mais je travaille beaucoup derrière, parce que physiquement avec le jeu que j'ai, il faut être assez costaud. C'est du travail au quotidien, il faut allier la justesse technique et la puissance, parce qu'il faut savoir choisir les balles et il faut savoir quand le faire et au bon moment. J'ai beaucoup plus de régularité qu'avant, car je pouvais battre un membre du top 10 mondial, et le lendemain je pouvais presque perdre un N°500 français. Aujourd'hui c'est quelque chose dont je suis le plus fier en dehors de mes résultats. En Allemagne qui est le meilleur championnat européen, la première année, j'ai fait 10 victoires et 9 défaites, l'année dernière, j'ai fait 12 victoires et 9 défaites, donc faire plus de 50 % dans un championnat qui est aussi élevé, c'est quand même cool. On voit que je perds rarement des joueurs moins bons que moi, donc je suis super content. Le travail, c'est d'être beaucoup plus sérieux, beaucoup plus méticuleux sur les petits détails, parce qu'avant, je n'aimais pas trop m'entrainer sérieusement, faire la fête, pas forcément bien manger, mais la culture allemande m'a appris que si tu veux être bon, il faut travailler, il n'y a pas de secret. J'étais très bon en jeune, dans les meilleurs français, sans vraiment travailler, sauf que quand tu arrives dans le monde senior, quand tu vois qu'il y a des joueurs qui sont beaucoup moins talentueux que toi, mais qui bossent et du coup qu'ils te dépassent, ça te met un petit coup de pied aux fesses.

FS : Cette progression mentale, auriez-vous parié dessus il y a encore quelques années ? 

RR : C'est un peu compliqué parce que j'ai commencé très tôt le ping à 4 ans à Bordeaux, ma mère était dans le top 10 français senior aussi, donc je me suis posé la question si j'aimais le ping parce que j'étais né dedans ou parce que j'aimais vraiment ça. Au début, c'était vraiment un jeu, même si j'avais en tête de devenir professionnel. Mais en fait très jeune, j'ai eu un avantage qui est devenu un inconvénient, c'est que j'étais assez talentueux, j'avais une bonne main et du coup je n'avais pas forcément beaucoup besoin de travailler. C'est vraiment vers 17-18 ans où j'ai compris que si je continuais de faire le minimum, ça ne serait pas suffisant. Le monde senior, c'est un monde différent. Je suis alors sorti de l'INSEP pour aller à Villeneuve sur Lot, où il y avait une structure d'entraînement géniale, où entraînait Julien Girard – qui est devenu mon mentor, mon deuxième papa, et qui m'a complètement fait changer de vision du ping. Avant, c'était vraiment un jeu, et lui m'a vraiment appris le goût de l'effort. C'est à partir de là où j'ai vraiment commencé à bosser sérieusement, où j'ai conservé mon jeu, mais ça on le travaillait, on ne le faisait pas pour l'amusement. Ce qui était un peu différent du système fédéral, où on voulait un peu changer ma nature de jeu, lui au contraire il voulait garder le joueur que j'étais, mais en améliorant mes points faibles et mes points forts, et on a aussi beaucoup travaillé le mental. J'ai commencé à travailler avec des coachs mentaux, psychologues, sophrologues, parce que le jeu et le niveau, je l'avais depuis longtemps, c'est juste qu'il fallait structurer tout ça.

FS : Que pouvez-vous nous dire sur Julien Girard ? Un entraîneur que le grand public ne connaît pas…

RR : Julien, c'est un coach qui est un peu différent. La première chose qu'il m'a dit, c'est 'avant que tu sois un bon joueur de ping, je veux que tu sois une bonne personne'. J'ai une relation particulière avec lui aujourd'hui, je le vois quasiment plus que mon père, je passe mes vacances avec lui, je suis parrain de ses filles. Il travaille beaucoup sur l'humain. J'ai eu une enfance difficile, j'avais besoin de quelqu'un qui ne me suive pas qu'à la salle, j'avais vraiment besoin d'un support et c'est ce qu'il m'a apporté. En plus de ça, il avait une méthode de travail complètement différente de ce que j'avais connu. On faisait des exercices en 11 points, pour te programme afin que tu penses à la gagne. Il fallait mériter pour finir un exercice. J'ai vécu dans beaucoup d'endroits différents, beaucoup d'entraîneurs différents, je n'ai jamais vu une méthode pareille. C'est quelqu'un qui a changé ma vie, pas que dans le ping, il m'a propulsé dans des endroits que je ne pensais pas aller, que ce soit mentalement, que ce soit personnellement. Aujourd'hui, je lui dois beaucoup, c'est 70 % grâce à lui que je suis devenu le joueur que je suis aujourd'hui.

FS : Est-ce lui qui vous a conseillé de partir jouer en Bundesliga ?

RR : Après Villeneuve, je suis parti à la Romagne où j'ai fait 2-3 années. Ça se passait super bien, mais la Romagne, c'est un club, quand tu es jeune et que tu veux progresser, ce n'est pas forcément le top. Mais, c'est à ce moment-là où j'ai fait ma finale aux Championnats de France en 2021 et j'ai eu une offre en Allemagne qui était difficile de refuser, que ce soit financièrement et même sportivement, parce que c'est rare d'avoir l'opportunité de partir jouer dans le meilleur championnat d'Europe. C'était un petit risque parce que j'avais un certain confort en France, je savais que j'aurais pu rester à La Romagne pendant des années. Mais, je me suis dit que si je ne franchissais pas le pas, je le regretterais toute ma vie, et finalement, je pense avoir pris la meilleure décision.

FS : La vie en Allemagne vous plaît-elle ?

RR : Pour le moment, c'est vraiment cool. Après la vie en Allemagne, ce n'est pas toujours simple, la météo est horrible, la nourriture est horrible et puis quand tu arrives dans un nouveau pays, ce n'est jamais simple. On change de club en général tous les 2-3 ans, donc il faut savoir se réadapter à la ville, te retrouver des amis, etc. Aujourd'hui, je suis très bien là-bas, j'ai encore un an de contrat dans mon club, après je ne sais pas ce que je ferai, mais pour l'instant, je suis très heureux. De plus, je m'entraîne à Düsseldorf, c'est le meilleur centre européen, il y a l'équipe nationale allemande, Ovtcharov, Boll, Franziska, Duda, Dang Qiu, Kallberg, il y a tous les meilleurs joueurs européens, voire mondiaux. Je suis très content d'avoir pris la décision de partir, de m'expatrier.

FS : Avez-vous déjà réfléchi à vos objectifs de la saison prochaine ?

RR : Oui et non, parce que je n'ai pas fait une bonne saison, donc mentalement, c'était long et compliqué, j'avais besoin de prendre du temps pour moi. C'est pour ça que je suis rentré en France, auprès de ma famille, et là je reprends l'entraînement depuis une semaine. J'ai un dilemme, par rapport au circuit WTT, parce que forcément, j'ai envie de revenir en équipe de France, car je pense avoir le niveau. Parce qu'il y a les trois premiers qui sont indétrônables pour l'instant, mais derrière, il n'y a pas un joueur qui se démarque pour l'instant. Même s'il y a Thibaut Poret et Flavien Coton, mais je ne pense pas qu'ils sont meilleurs que moi. De plus, j'ai eu une discussion avec Nathanaël Molin, qui aimerait bien que je revienne en WTT, parce que pour lui, j'ai le niveau d'être en équipe de France. Donc c'est un peu compliqué dans ma tête, car c'est un gros investissement, que ce soit du temps et de l'argent. Là, je vais faire une grosse préparation cet été, pour arriver affûté en début de saison prochaine. J'ai 28 ans, donc si j'ai une carte à jouer, c'est maintenant. Enfin, sur les Championnats de France l'année prochaine, c'est de refaire au moins un podium.

FS : Revenons-en aux Frances, vous représentez désormais le club de SQY Ping depuis votre départ outre-Rhin, comment s'est faite cette collaboration ? 

RR :  C'est Julien Girard qui gère un peu mes contrats, ma carrière, etc. Et avant que je parte en Allemagne, il était parti au Qatar pour entraîner puis il avait fait une année à SQY Ping où il entraînait un peu. Donc, il est devenu très ami avec les dirigeants, avec le coach. Et, j'avais besoin d'avoir un club qui pouvait déjà me financer un peu mes compétitions en France. Donc, ça s'est fait tout seul, je les ai rencontrés une première fois avec Julien, on a discuté, on a trouvé un terrain d'entente qui était gagnant pour eux et pour moi. C'est à côté de Paris, donc, ce n'est pas très loin de l'Allemagne.

FS : Comment s'est passé le coaching notamment ?

RR : Je connais Joffrey (Nizan) depuis quelques années maintenant. C'est la deuxième fois qu'il me coache sur les Frances. Je n'ai pas forcément besoin qu'on parle trop de tactique dans le match. C'est un très bon entraîneur, un très bon manager de club, mais sur le très haut niveau, il a moins d'expérience. Je lui ai dit, qu'il n'avait pas forcément besoin de parler tactiquement. J'avais vraiment besoin de confiance, de motivation, tout en parlant d'intentions de jeu. Quand, je joue bien, c'est que je suis bien physiquement et je bouge beaucoup dans l'aire de jeu. Lui, c'est quelqu'un de très calme, etc. Et moi, j'ai tendance à un peu monter dans les tours. Donc, on avait un bon binôme. Il me calmait, il ne me parlait pas forcément beaucoup. On échangeait sur certains trucs, mais non, ça se passait très, très bien. Et c'est pareil en Allemagne. Je me concentre sur mon jeu et mes intentions. Peu importe l'adversaire que j'ai en face. Forcément, si je joue Félix ou un autre joueur, ça va être différent. Mais je sais que si mon jeu est en place et que si mes jambes bougent bien et que si mon coup droit part bien, tout ira bien. Donc, il ne parlait pas trop de tactique, plus de motivation, de confiance, et ça marchait très bien comme ça. 

FS : Vous êtes un joueur qui écoute au coaching ou vous pensez être difficile à gérer (rires) ?

RR :  J'ai été très, très, très difficile avant. Il y avait que Julien qui arrivait à me coacher, s'il fallait qu'il me donnait une claque au coaching, il le faisait. Mais en fait, c'est dur avec les joueurs comme moi qui jouons beaucoup à l'instinct. Tu as l'impression que tu as les cartes en main, mais sauf que tu ne les as pas toujours. Parfois, ça te paraît simple, mais tu vas faire des fautes parce que tu as un jeu vraiment agressif. Quand je joue bien, je pense que c'est facile. Mais quand ça se passe un peu moins bien, en fait, je suis tellement frustré contre moi que des fois, peu importe ce qu'on va me dire au coaching, ça va me rendre fou. Donc c'est pour ça que je préfère ne pas parler trop de tactique. Je peux m'énerver contre moi donc j'ai été très difficile à coacher. Je le suis encore de temps en temps parce que je suis un joueur qui a beaucoup d'émotions, donc quelquefois, c'est dur pendant une minute de se calmer et de repartir à zéro. Aujourd'hui, j'ai 28 ans, j'ai un peu plus de maturité et d'expérience et j'arrive à garder mon contrôle un peu plus longtemps. Mais, au départ, je n'étais pas une crème au coaching. 

FS : Justement, vous avez réussi à vous améliorer sur cet aspect-là…

RR : Je ne gagnerais pas ou je ne serais pas aussi régulier si je m'énervais en permanence. En fait, c'est trouver le juste milieu, entre trop s'encourager et trop être dans l'émotion, à courir partout et être trop être calme. C'est ça, je pense, aujourd'hui, où j'ai réussi. Sur certains matchs, je n'ai pas du tout m'encourager parce que, par exemple, sur Antoine, à la fin, je ne m'encourageais plus du tout parce que j'étais mort mentalement et physiquement. Je m'efforçais à rester calme, à bien respirer parce que la respiration, ça y joue beaucoup. C'est un truc qui m'apaise aussi parce que tu as des points qui sont longs. Je pense qu'aujourd'hui, j'ai réussi à trouver un petit juste milieu même si ce n'est pas toujours simple. En plus de ça, il y avait 4-5 000 personnes dans la salle, donc ça crie de partout. Avant la demi-finale, sur Félix, parce qu'il y avait beaucoup d'encouragement pour lui. Mais avant ça, je pense que j'avais une partie du public qui était pour moi parce que je pense être un joueur est assez apprécié en France. Et je me servais un peu du public aussi pour m'encourager. Donc, c'est aussi une préparation mentale. Les psychologues m'ont beaucoup aidé pour trouver ce calme intérieur et aussi à l'extérieur quand même pour montrer à l'adversaire que je suis là.

FS : C'est une force chez toi…

RR : Là ça se passait bien, je jouais bien, je faisais de beaux points, donc le public te suit, car il aime le beau jeu. Mais, par exemple, si j'avais été dans un moins bon jour, je peux passer complètement à côté et j'aurais pu être ridicule. Et, le public peut se demander ce que je fais...

FS : Et pour progresser encore, souhaiteriez-vous une collaboration avec Nathanaël Molin par exemple ?

RR : Je suis prêt à apprendre de tout le monde. Je le connais bien, il m'a déjà coaché sur une compétition en Inde il y a deux ans. Je me suis déjà entraîné à Montpellier, il était à Dusseldörf, il y a quelques mois avec les frères Lebrun. Donc on a eu l'occasion de parler. Je sais que c'est un entraîneur qui apprécie mon profil. C'est quelqu'un qui travaille aussi beaucoup sur l'humain, comme Julien (Girard). Je ne veux pas dénigrer l'encadrement français, mais plus jeune, on voulait nous faire jouer tous pareils, en refoulant nos émotions. Sauf que moi, tu me fais jouer comme ça, je vais jouer N°500 français. Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut pas dénaturer un joueur. Je me suis senti un peu perdu, quand j'étais à l'INSEP la dernière année et que les entraîneurs voulaient changer mon jeu, changer ma personnalité. C'est pour ça que je ne progressais pas. Alexis (Lebrun), c'est pareil, quand il joue bien, c'est parce qu'il est épanoui à la table. Parfois, on pense qu'il va balancer un point, parce qu'il fait un truc un peu différent, mais ça fait partie aussi de notre personnalité, de notre jeu. Nathanaël reconnaît mes qualités, donc c'est toujours plaisant. Il aime bien les profils atypiques bien que ce soient les plus difficiles à gérer. J'étais un jeune très talentueux, capable du meilleur comme du pire. Des entraîneurs comme Julien, qui ont cru en moi. Je pense qu'ils ont fait devenir un joueur pas trop mal aujourd'hui. Et Nath', je pense que c'est un peu pareil avec Alexis. Je pense qu'il n'a pas peur de le recadrer de temps en temps ou de lui crier dessus. Parce qu'ils ont cette relation forte en dehors. Par exemple, Julien, avec le temps, il n'avait même pas besoin de me parler. Je le regardais, je savais ce qu'il fallait que je fasse ou comment il fallait que je visualise le match. Et Nath', justement, c'est quelqu'un qui est comme ça. Et c'est pour ça que j'ai apprécié discuter avec lui.

FS : Si Romain Ruiz était né il y a dix ans, est-ce qu'il se serait davantage épanoui selon vous ? Les institutions en France sont-elles en train d'évoluer ? 

RR : Plus épanoui, je ne sais pas. Cependant, il serait probablement meilleur. Je suis parti de l'INSEP, il y a 10 ans. Et depuis, j'ai toujours progressé. J'ai été meilleur que la plupart des joueurs qui sont à l'INSEP. Mais pour autant, j'ai eu 0 € en 10 ans. Alors que des joueurs un peu moins forts que moi sont aidés par la fédération pour des compétitions internationales. Je trouve que c'est un peu regrettable. Ça commence à changer aujourd'hui grâce aux Lebrun, à Simon Gauzy et à Can Akkuzu qui ne s'entraînent pas à l'INSEP. Et ça reste les meilleurs joueurs français. Mais avant, si tu ne t'entraînais pas à l'INSEP, tu ne pouvais pas être en équipe de France. Je trouvais ça archi-désolant. Pourquoi me mettre des bâtons dans les roues ? C'est pour ça que quand je me dis que je ne serais pas le même joueur, c'est dans le sens où je serais peut-être meilleur, parce que j'aurais peut-être fait plus de compétitions internationales, j'aurais peut-être eu une chance en équipe de France, on ne sait pas. Peut-être que ça aurait été autre chose. J'aurais peut-être été moins bon. Mais, j'ai toujours ce niveau dans un coin de ma tête et si je n'essaye pas de nouveau les tournois WTT, je regretterais un peu toute ma vie. J'estime ne pas être loin d'être potentiellement sélectionnable avec les Bleus.

FS : Cela signifie que vous seriez prêt à faire table rase du passé ?

RR : C'est un peu compliqué parce que ça s'est un peu mal fini avec la fédération. Mais tous les dirigeants changent, tous les coachs bougent. J'avais fait un stage à l'INSEP, il n'y a pas très longtemps. J'avais fait quelques stages à droite et à gauche avec l'équipe de France. Mais je sentais toujours que j'étais un peu le mouton noir. Aujourd'hui, peu m'importe. Le plus important est de revenir en équipe de France et de représenter son pays. C'est quelque chose dont je rêve parce que chaque joueur français et n'importe quel joueur veut représenter son pays. J'aimerais énormément avoir ma chance d'une fois pour montrer réellement qui je suis. Je pense que ça peut être profitable pour deux parties.

FS : À quand remonte votre dernière sélection ?

RR : C'étaient les Championnats d'Europe en 2015. Et j'ai eu une sélection où ils m'avaient payé une compétition en juillet dernier en Tunisie. Là, j'avais joué avec l'équipe de France, mais ça reste sur un WTT.

FS : À 28 ans, pensez-vous déjà à votre reconversion ? Pour être entraîneur par exemple ?

RR : Pour le moment, non. Après, je fais quelques missions avec SQYPing en contrepartie de leur aide financière.J'aime bien transmettre. Mais, ce n'est pas quelque chose à quoi j'aspire. Après, on dit souvent que beaucoup de choses peuvent changer. Il y a plein de trucs qui m'intéressent en dehors du ping, dans le sport comme ailleurs. Je m'intéresse à beaucoup de choses. Je lis beaucoup, j'écris beaucoup. Je m'intéresse à plein de sports. J'adore les langues. Je parle anglais, espagnol. Je commence à parler allemand. Je ne peux pas dire où je serai dans 10 ans. Mais je n'ai pas non plus peur de mon futur et de ma reconversion. Donc, on verra le moment voulu. Après, il faut s'y pencher de plus en plus parce que ça va arriver vite. J'aime bien tout ce qui se passe autour des réseaux sociaux. J'essaie de faire pas mal de trucs sympas.

FS : Quel est le livre de chevet de Romain Ruiz ? 

RR : "La doublure" de Mélissa Da Costa.

FS : Vous voir commenter des matches de ping est possible donc (rires) ?

RR : Avec grand plaisir (rires) ! L'expérience du haut niveau est quelque chose que j'aimerais transmettre. Par exemple, il y a un livre que j'ai toujours voulu écrire, c'est sur la santé mentale chez le sportif de haut niveau. Que ce soit dans le ping, ou n'importe quel sport, encore plus les sports individuels, c'est que de l'extérieur, on retient que l'on gagne de l'argent, on visite de beaux pays, on vit de notre passion, on travaille tous les jours pour aller faire du sport, cependant c'est un peu plus dur que ça. On ne voit pas tous les sacrifices qu'il y a derrière, les dépressions aussi qui passent par là. C'est un sujet qui est de plus en plus discuté aujourd'hui, les sportifs n'ont pas peur aujourd'hui de dire qu'ils vivent des dépressions ou des moments de doute. Mais je pense que c'est quelque chose qui est intéressant à pousser un peu plus. 

FS : Et vous, justement, vous sentez-vous mieux ?

RR : En fait, ça n'ira jamais parfaitement. Il faut juste accepter que ça ne peut pas aller tout le temps bien. Je recherchais toujours le bonheur ou être heureux ou être bien mentalement, sauf que ça, c'est passager. Ça va arriver sur une semaine. Après, tu auras une rechute. J'ai eu une enfance qui était extrêmement compliquée. J'ai vécu des choses vraiment pas cool. C'est pour ça que j'étais un gamin assez différent. Mentalement, c'est pour ça aussi que j'étais difficile à table parce que à la maison, ce n'était pas vraiment cool du tout. En fait, je me cherchais vachement et je me posais plein de questions sur ma vie, sur mon sport. J'ai énormément progressé depuis, mais ce sont des choses où il faut continuer à travailler et ne pas rechercher le bonheur ou être heureux en permanence parce que je ne sais pas... C'est quoi le bonheur ? C'est dur à définir. Il faut essayer de trouver dans la vie, dans le quotidien des choses qui te rendent heureux. Aujourd'hui, c'est le cas pour moi. Si je suis bien dans ma vie extérieure, je serai bien dans mon ping. Moi, si je ne suis pas bien dans ma tête, c'est là que je vais me blesser, je vais me bloquer le dos, je vais tomber malade. C'est pour beaucoup de personnes, mais encore plus pour les joueurs émotifs. Ma tête et mon corps y jouent énormément. Le jour où je suis bien dans ma tête, en général, je vais être très performant à la table. 

FS : La force mentale n'est donc jamais acquise…

RR : Personne ne dira mentalement qu'il est toujours au top. C'est pour ça que je continue à consulter une psychologue, qui me suit pour mes problèmes perso' et mes problèmes dans le ping. Et je continuerai même après ma carrière. Pour moi, chaque personne, qu'il soit bien dans sa vie ou non, doit être aidée ou accompagnée…

FS : Est-ce que cela signifie que l'on vous reverra un jour en Pro A bien que vous vous plaisez en Allemagne ?

RR : J'aimerais bien revenir en France. Après en Allemagne, financièrement, c'est vachement intéressant. Je ne joue pas que pour l'argent, mais ça y joue aussi un petit peu. Il me reste un an de contrat au TTC Schwalbe Bergneustadt, donc je verrai  en fonction des opportunités qui peuvent venir. Ce n'est pas impossible que je reste en Allemagne. Ce n'est pas impossible que je parte aussi en Arabie Saoudite, voire ailleurs. Je ne ferme aucune porte. J'aimerais bien beaucoup revenir en France parce que le public français est un des meilleurs publics au monde.

FS : Pour finir, un petit pronostic sur les Championnats du monde de Doha ? Et sur la Ligue des champions (rires) ?

RR : Wang Chuqin ou Hugo Calderano, je dirais. En Ligue des champions… le PSG (rires) !