"La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent !" Avant de lancer son Euro, Laurent Bonadei convoquait Albert Einstein pour justifier ses choix d’évincer Eugénie Le Sommer, Wendie Renard et Kenza Dali. Mais si les choix ont bien été différents, le résultat lui reste le même : pour la 8e fois sur les neuf dernières grandes compétitions, les Bleues échouent en quart de finale. Le fameux "plafond de verre" que le sélectionneur français avait voulu appeler un "cap" pour calquer à son discours positif.
Sauf que cette fois-ci, le camouflet a un goût encore plus amer. Pour la première fois de son histoire, l’équipe de France se fait sortir après avoir 107 minutes en supériorité numérique, 127 minutes en temps effectif même. L’attaque de feu qui avait porté la France pendant sa phase de poules, avec 11 buts inscrits par 9 joueuses différentes, faisant d’elle la deuxième puissance offensive de la compétition derrière l’Espagne championne du monde en titre, s’est empalée sur une défense allemande impénétrable et une Ann-Kathrin Berger aux 9 arrêts et deux tentatives repoussées lors de la séance de tirs au but.
Inhibées, perdues, sans réponse, malgré un avantage numérique scellé dès la 14e minute et 9 tirs cadrés contre 2 pour les Allemandes, les Bleues ont échoué d’une façon tellement affligeante que même la gardienne Pauline Peyraud-Magnin n’a "pas les mots" au moment de se présenter devant la presse. Laurent Bonadei n’en a pas beaucoup plus et évoque "un manque de justesse, de réussite et de la précipitation" pour justifier une défaite impensable lorsque Grace Geyoro transforme son pénalty à la 15e minute. L’espoir lui ne s’est jamais envolé en tribunes, les supporters français lançant une ultime marseillaise alors que le score affichait toujours 1-1 à la 90e minute.
Un plan A trusté
Mais il semble avoir laissé la place aux doutes au fur et à mesure dans les esprits des joueuses. Comme un éternel recommencement. Comme en Coupe du monde 2023 alors que la France surdomine une Australie à domicile et sort aux tirs au but. Comme aux Jeux olympiques 2024 où les Bleues tombent déjà sur une équipe brésilienne qui mise sur les duels physiques pour mieux se hisser en demi-finales. Pourtant le sélectionneur semblait avoir analysé ce danger au soir de France-Pays-Bas et anticipait : "nos adversaires maintenant commencent à comprendre un peu notre jeu. On voit que les équipes adverses jouent de longs ballons pour nous faire reculer. Donc après, ça nécessite d'être habile dans la construction du jeu pour regagner des mètres, regagner du terrain et s'imposer et dominer notre adversaire dans la partie adverse, ce qui n'est pas facile."
Christian Wück, son homologue allemand, a parfaitement su user de cette arme pour déstabiliser des Bleues incapables de changer de plan de jeu en cours de rencontre. Agressives, les Allemandes ont multiplié les pressings, les duels et les fautes, jusqu’à parfois frôler les cartons plus sévères, mais entrant progressivement dans les esprits français, décidément perméables malgré la mise en place d’un préparateur mental au sein du staff tricolore.
Les Bleues n’ont pas non plus été aidées par leurs entrantes ou les choix tactiques d’un coach qui tarde à envoyer de nouvelles têtes échouer à leur tour devant le XI très regroupé des Allemandes. Il faut attendre la 76e pour voir Clara Mateo, meilleure joueuse du championnat de France, et Melvine Malard faire leurs entrées à la place d’une Delphine Cascarino diminuée par une blessure à la cuisse et d’une Marie-Antoinette Katoto sevrée de ballons malgré les innombrables centres tentés par Selma Bacha. Comme si très vite cette équipe de France avait acté devoir passer par des prolongations pour éliminer une Allemagne réduite à 10.
La "loterie" non travaillée
Les remplaçantes, hormis Alice Sombath et Melween N’Dongala, n’ont rien apporté. Elles ont même réussi à faire pire, certaines s’enfermant à vouloir faire la différence en solitaire, alors que l’Allemagne surgissait à trois sur la moindre porteuse du ballon. Un manque de lucidité, un manque de solutions, un manque de tout finalement. Une fois envoyée aux tirs au but, la France s’en remet à ce qu’elle appelle "une loterie". Mais une loterie légèrement tronquée puisque la veille Laurent Bonadei expliquait ne pas avoir travaillé spécifiquement les tirs au but.
"J'ai préféré de ne pas trop leur prendre la tête avec ça parce qu’on ne sait pas comment ça peut se passer en match. On peut les frapper à l'entraînement mais ce n’est pas du tout la même pression, c'est pas du tout le même enjeu", justifiait-il, ajoutant que les joueuses s’entraînaient à l’exercice "de façon individuelle à la fin de presque toutes les séances". Un exercice tellement maitrisé par l’ensemble du groupe que des cadres comme Mateo et Bacha se sont défilées au moment de tenter leur tir au but et ont laissé la charge à la toute jeune Sombath, 21 ans et 8 sélections, prendre et rater le 7e tir aux buts.
L’occasion pour la défenseure qui nous avait confié son illusion et son insouciance avant le début du tournoi de vivre par elle-même cette malédiction qui semble poursuivre les Bleues depuis beaucoup trop d’années. Deux buts hors-jeu et une transversale n’ayant pas suffit. Et si Bonadei se félicite d’avoir offert autant de temps de jeu à ces jeunes pousses dans cet Euro, elles sont maintenant marquées au fer rouge de cette élimination ubuesque. Loin du renouvellement d’énergie voulu par le staff avant d’entamer un nouveau cycle.
Une élimination dont il sera très dur de se relever
Le pire dans cette élimination reste que la France avait "tellement tout pour elle" comme le reconnaît Bacha, qu’il est difficile d’imaginer cette équipe réussir un jour à passer ce "cap" des fameux quarts. L’Allemagne avait servi la qualification sur un plateau d’argent, que les Bleues ont fait voler en éclat. Pourtant cette même équipe avait tellement brillé en phases de poules qu’elle avait créé un engouement rarement vu pour une compétition féminine à l’étranger. "Tout n’est pas à jeter", martèle Sakina Karchaoui qui y a "tellement cru".
L’heure est désormais à une énième remise en question, à l’inverse du peu d’introspection montré par Bacha au coup de sifflet final. Mais encore faut-il que chacun réalise l’ampleur de cet échec, qui aurait bien mérité que Jean-Michel Aulas ou Philippe Diallo viennent se présenter devant la presse. Le groupe, lui, a montré de belles choses sur l’ensemble de la compétition, avec l’émergence de jeunes joueuses prometteuses, et ne peut pas être pointé comme seul responsable de cet échec.
La France a pu constater ce samedi qu’elle était encore loin de cette Allemagne huit fois championne d’Europe, capable de jouer avec la pression, de respecter un plan de jeu à la lettre mais aussi de tout basculer dès la 14e minute quand un imprévu arrive. Elle a montré aussi qu’à dix contre onze elle pouvait répondre dans l’impact physique, voire même dominer son adversaire dans ce domaine. Et il va falloir que le football féminin français dans tout son ensemble décide de tirer la discipline vers le haut, avec l’exigence que demande cette désillusion.