Il y a des sportifs qui ont tout pour eux. Une gueule, un palmarès, un style et un nom. Bo-di-ro-ga : en 4 syllabes, l'essence du basket est convoquée. Le Serbe a tout gagné en Europe et seul le titre olympique lui aura échappé avec la sélection. Et puis, outre son palmarès, il incarne le charisme et le beau jeu avec son fameux lasso inspiré de Danko Cvjeticanin qui fut double vice-champion olympique et inventa cette technique de main pour prendre son défenseur à contre-pied.
L'Italie comme première étape
Dejan Bodiroga est découvert par Kresimir Cosic, l'un des plus grands joueurs yougoslaves de l'histoire qui, comme Radivoj Korac et Drazen Petrovic, disparaîtra précocément, à 46 ans, d'un cancer. Le natif de Zagreb convainc le Serbe de signer à Zadar en 1990. Mais le conflit des Balkans s'en mêle : la guerre de Croatie éclate en 1991 et Bodiroga doit partir. Cosic veut le prendre avec lui à l'AEK mais le joueur doit prendre la nationalité grecque. Refus catégorique et cap sur l'Italie. À 19 ans, il rejoint Trieste. Dès sa première saison, il époustoufle tout le monde (21,3 points et 5,3 rebonds de moyenne) et claque notamment 51 points contre le Benetton Trévise. Lors de sa deuxième saison, Trieste atteint la finale de la Coupe Korac, perdue contre le PAOK Salonique.
Cette Coupe Korac, Bodiroga la disputera trois fois consécutivement. Les deux autres, ce sera avec l'Olimpia Milan qu'il a rejoint sans rejoindre en 1994. Stefanel, le sponsor-titre, décide de parrainer le club lombard et le Serbe suit le mouvement. Au terme de la saison, il est drafté à la 51ᵉ place par les Kings de Sacramento à une époque où les Européens sont quantité négligeable outre-Atlantique. S'il ne ralliera jamais les États-Unis, la franchise californienne conservera son tropisme yougoslave en attirant un certain Peja Stojakovic.
Pour "Bondi Bond", cette absence d'exil ne suscite aucune forme de regret. Bien au contraire, il recommande aux Européens de rester sur le Vieux-Continent plutôt de jouer les utilités, comme il le déclarait dans les colonnes de Socrates Magazine en 2015 : "vous ne pouvez pas aller en NBA juste pour mettre sur votre CV le fait que vous y avez joué. Aujourd’hui, les joueurs européens vont en NBA juste pour dire : "je joue dans la meilleure ligue de la planète". Mais tu ne joues pas ! Tu restes sur le terrain pendant 2 minutes et ensuite, ils t'envoient en D-League".
1995-1996 marque d'ailleurs son avènement en Italie avec un doublé coupe-championnat, une saison régulière à 23,3 points de moyenne et donc une troisième défaite en finale de Coupe Korac contre l'Efes Pilsen. Le premier sacre européen, il l'aura en 1997, au terme de sa première saison en Espagne. Le Real Madrid lui a signé un pont d'or avec un contrat d'un million de dollars par saison. Le club merengue remporte la Coupe Saporta contre Vérone mais s'incline lors du match 5 contre le FC Barcelone pour le titre en championnat.
Le Panathinaïkos et Barcelone pour régner sur le Vieux-Continent
Sevré de titre lors d'une deuxième année où il est sacré MVP de la Liga, Bodiroga arrive enfin en Grèce, au Panathinaïkos. Au PAO, il remporte le titre national la première saison, fait le doublé et s'adjuge l'Euroligue la deuxième, perd la finale de l'éphémère Suproligue, ersatz organisé par la FIBA après que l'ULEB a remporté les droits de l'Euroligue, s'adjuge l'Euroligue la troisième contre la Virtus Bologne de Manu Ginobili. Cette saison 2001-2002 est un sommet pour Bodiroga élu MVP du Top 16 et du Final Four.
Mais c'est au FC Barcelone qu'il atteindra le firmament. En 2003, avec le club catalan, il signe le triplé Liga-Coupe-Euroligue. C'est le premier titre suprême de l'histoire blaugrana et c'est aussi une réponse aux critiques qui doutaient du challenge en Catalogne : "je suis allé à Barcelone pour gagner des trophées. J’ai décidé de prouver qu’ils avaient tort à ceux qui disaient que j'avais gagné des trophées au PAO mais que ne pouvait pas gagner à Barcelone". Difficile aujourd'hui de trouver président plus charismatique pour diriger les destinées de l'Euroligue comme il le fait depuis 2022...
Deux ans et un titre de Liga plus loin, Bodiroga retrouve l'Italie et le Lottomatica Roma où il passe deux ans sans trophée et arrête sa carrière à 34 ans.
Meneur d'une génération yougoslave exceptionnelle
Dejan Bodiroga est indissociable de la réussite de la Yougoslavie. De 1995 à 2002, sa sélection n'a manqué qu'un seul podium, aux Jeux olympiques de Sydney où elle s'est arrêtée en 1/4 de finale contre la Lituanie. Après la balkanisation, conséquence de la guerre de Croatie, la Yougoslavie est autorisée à faire son retour dans les compétitions internationales en 1995. Au championnat d'Europe, appuyé notamment par le totem Vlade Divac, il guide son pays au titre avec, en prime, un parcours vierge de toute défaite.

Aux JO d'Atlanta, l'aventure s'achève en finale contre les États-Unis. Tenante du titre sur la compétition continentale, la Yougoslavie est surprise par l'Italie en phase de groupes : elle prendra sa revanche en finale, en mettant les Azzurri sous la barre des 50 points (61-49). Et après l'Europe, le monde : les États-Unis, en plein lock-out, n'envoient que des joueurs évoluant en Europe et tombent en 1/2 finale contre la Russie. L'opportunité est trop belle pour s'installer sur le toit du monde, surtout après avoir sorti la Grèce qui évolue à domicile en 1/2 finale.
La performance ne sera pas sans lendemain : 4 ans, à Indianapolis, la désormais Serbie-et-Monténégro élimine leurs hôtes dès les 1/4 de finale et tombe l'Argentine de son ancien rival Ginobili en finale. Clutch et leader, Bodiroga inscrit les 9 derniers points de la rencontre. Une apothéose après le bronze en 1999 et le nouveau titre européen en 2001 où il termine dans le 5 Majeur de la compétition, en compagnie de Stojakovic élu MVP.
Après une pause, son dernier bal est à domicile, lors de l'Euro 2005. Malgré 10 points et 8 rebonds, il ne peut empêcher la victoire de la France d'Antoine Rigaudeau et un certain Tony Parker en barrages pour accéder au 1/4 de finale. Le crépuscule du héros n'a pas été à la mesure de ce qu'il a représenté pour tout le basket européen mais les 4 syllabes Bo-di-ro-ga, même plus de 15 après sa retraite, restent teintées d'un même esprit magique.