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Pogacar est "peut-être déjà le meilleur de tous les temps", estime Greg LeMond

Greg LeMond en octobre 2019.
Greg LeMond en octobre 2019.ARTUR WIDAK/NurPhoto via AFP
Greg LeMond, dernier vainqueur du Tour de France à avoir participé à Paris-Roubaix l'année suivante, en 1991, se dit persuadé, dans un entretien à l'AFP, que Tadej Pogacar peut gagner la Reine des classiques dès sa première participation dimanche tellement le Slovène est "exceptionnel".

"C'est peut-être déjà le meilleur coureur de tous les temps", estime l'Américain, triple vainqueur du Tour de France (1986, 1989, 1990), qui raconte aussi son amour pour les classiques et plus particulièrement l'Enfer du nord, "une course magique".

QUESTION : Vous êtes le dernier à avoir pris le départ de Paris-Roubaix en tant que vainqueur sortant du Tour de France. C'était en 1991. Comment expliquez-vous cette longue attente ?

RÉPONSE : "Je suis choqué. Ça fait quoi ? 34 ans ? Ça devrait être… illégal ! (rires) Pourquoi se priver de cette expérience ? C'est une course magique, la meilleure. Hinault n'aimait pas Paris-Roubaix, mais il est venu et il a gagné. Moi, j'aimais Paris-Roubaix. Le Tour de France reste ma course préférée, mais Paris-Roubaix vient juste derrière. Je rêvais de gagner cette course."

Q : Quatrième en 1985, neuvième en 1992, vous n'êtes pas passé si loin ?

R : "J'étais bien en 1986 aussi, mais j'ai eu un incident mécanique (il finira 55ᵉ). Après mon accident de chasse (en 1987), je n'ai jamais vraiment retrouvé mon niveau dans les classiques. En 1992, je marchais fort mais j'étais là pour aider Gilbert Duclos-Lassalle à gagner son premier Paris-Roubaix, car sans lui, je n'aurais jamais remporté le Tour de France en 1990."

Q : Vous rappelez-vous votre premier Paris-Roubaix ?

R: "C'était en 1981, l'année de la victoire de Hinault qui était alors mon leader dans l'équipe Renault. Après environ 220 km, je lui dis : 'Bernard, je suis cuit'. Il me répond : 'ok prends encore un relais'. Alors, j'ai relancé une dernière fois, et il est parti. En fait, j'ai toujours aimé les pavés. À 17 ans, je suis parti en Belgique pour faire toutes les kermesses. Je ne connaissais rien au cyclisme. Je me vois encore feuilleter le Miroir du cyclisme (un magazine spécialisé publié entre 1960 et 1994, ndlr) chez un ami avec De Vlaeminck et Merckx en couverture."

Q : Que représentaient ces classiques pour vous ?

R : "J'adorais ça. Je ne voulais les rater sous aucun prétexte. Le Tour des Flandres, Paris-Roubaix. Ma femme, qui est à côté de moi, vous dira que non, mais je vous assure que j'échangerais sans hésiter un de mes (deux) titres de champion du monde contre une victoire à Roubaix."

Q : Pogacar peut-il gagner dimanche ?

R : "Bien sûr! Son seul point faible peut-être est son équipe. Paris-Roubaix est un peu une loterie, ce qui fait d'ailleurs sa beauté. Il y a des chutes, des incidents mécaniques et il peut se retrouver isolé. Il manque aussi d'expérience sur cette course. C'est pourquoi je mettrais Van der Poel légèrement favori. Mads Pedersen marche aussi. Mais Pogacar ne vient certainement pas pour faire deuxième."

Q : N'est-il pas trop léger ?

R : "Il fait le même poids que Hinault à l'époque (66 kg) et à peine deux kilos de plus que moi. Les Belges et les Néerlandais insistent beaucoup sur ça, mais pour moi Pogacar a le bon profil pour les classiques. Un coureur comme Ganna est très puissant mais dépense aussi énormément d'énergie."

Q : Mais où Pogacar peut-il faire la différence ?

R : "C'est évidemment le nœud du problème. Roubaix est moins sélectif que le Tour des Flandres. Mais on disait la même chose de Bernard Hinault. Quand on a son talent, sa détermination et ses capacités, il n'y aucune raison qu'il n'y arrive pas. Il est tellement fort. C'est peut-être déjà le meilleur coureur de tous les temps."

Q : Meilleur que Merckx ?

R : "C'est impossible de comparer les générations. Mais ce serait absurde de penser qu'il n'y aurait qu'un Eddy Merckx. Il était béni sur le plan génétique, moi aussi. Hinault aussi était exceptionnel. Contrairement à Merckx, il n'était pas le leader unique sur toutes les courses et je pense que ça lui a coûté pas mal de victoires. Mais Pogacar, il n'y en qu'un sur un million comme lui. Il domine le peloton qui n'a jamais été aussi compétitif. Et regardez comment il gagne : en solo face à des équipes hyper organisées. Ça le rend encore plus exceptionnel".

Q : Jusqu'où peut-il aller ?

R : "Il n'a que 26 ans, c'est fou. Il a encore plusieurs Tours de France dans les pattes, même s'il ne faut pas oublier Vingegaard. Sur le Tour, leur niveau est très proche."

Q : Certains mettent en doute leurs performances…

R : "Il y a beaucoup d'interrogations sur la vitesse avec laquelle ils grimpent les cols. J'ai fait mes calculs et je suis arrivé à la conclusion que c'est crédible. Ils passent beaucoup de temps en altitude et ils sont dans l'ensemble plus légers qu'à notre époque. Vingegaard fait ma taille, mais avec dix kilos de moins sur la balance. Moi, avec dix kilos en moins, j'aurais volé ! Ce qui me rassure aussi, c'est qu'ils ont été très bons très jeunes. Dans le passé, on a vu des coureurs attendre 30 ans avant d'être performants sur le Tour de France et c'était très suspect."