De retour officiellement dans le monde du football jeudi dernier, face aux journalistes ce jeudi au Centre de Performance de La Turbie, Paul Pogba s'est dit déterminé à revenir au plus haut niveau, même s'il a avoué qu'il ne fallait pas qu'il soit "trop pressé". Physiquement, l'inconnue est grande quant à la capacité de réponse de son corps aux exigences du haut niveau. Le fait d'avoir 32 ans et de ne pas avoir joué un match de 90 minutes à haute intensité depuis plus deux ans peuvent jouer sur le métabolisme. Mais l'autre grande problématique est l'aspect mental, et ce, surtout après toutes les épreuves parcourues pour en arriver jusqu'à l'AS Monaco.
Comment gérer la pression, savoir appréhender les épreuves, vivre avec son passé tout en pensant à l'avenir : ce sont diverses que questions qui ont été posées par Flashscore France à Pier Gauthier, préparateur mental auprès de sportifs de haut niveau.
Vivre avec la pression, une réalité positive
Les premières images de Paul Pogba à l'AS Monaco nous ont montré les larmes d'un homme qui avait atteint une partie de son objectif, après avoir été suspendu pendant si longtemps : redevenir footballeur. "C’est très rare de me voir pleurer comme ça. J’espère que vous en avez bien profité. J’ai énormément d’images qui sont venues dans ma tête, a exposé La Pioche aux journalistes présents à sa présentation. C’est sûr qu’il y avait des moments de doute, mais j’ai gardé quand même ma tête tournée vers l’avenir. C’est tout ça qui revenait à la signature. Je n’ai pas pu me retenir. C’était un moment de joie aussi."
Les images qui ont fait le tour de la planète et qui montrent à quel point la pression est au centre du quotidien du footballeur. "La pression est indispensable et le joueur le sait. D'ailleurs, on l'a vu dans les images du club au moment de sa signature, c'est chargé en émotion là. Il est en train de jouer quelque chose d'important pour lui, la pression, elle est là quoi, vraiment", explique Gauthier.
Car oui, on pourrait se dire que trop se mettre la pression après deux ans sans jouer pourrait avoir un impact néfaste quant au retour du Français. Mais, a contrario, selon lui, celle-ci est une réalité qui doit être accepté et être appréhendé de façon positive : "une mauvaise chose de se mettre la pression ? Pas du tout ! C'est quelque chose de nécessaire de mettre de l'enjeu, de la pression. Tout athlète a besoin de ça pour être à son maximum. Il faut qu'il y ait de l'enjeu et donc de la pression, du stress…"
"Je ne le prends pas comme quelque chose de négatif. Bien évidemment que la pression doit être là. C'est elle qui va lui permettre d'avoir un enjeu, de revenir un bon niveau ou à son meilleur niveau. Je ne sais pas si c'est possible si ça physiquement, mais en tout cas de revenir à un niveau très compétitif. Et cela implique forcément beaucoup d'efforts, beaucoup de sacrifices, beaucoup de travail. Il faut donc que la pression le soutienne, que l'enjeu et la motivation le soutiennent", ajoute-t-il.
Maintenant, attention à mal jauger l'objectif et à cet effet de la pression qui "peut être vicieux" : "s'il se met une obligation de résultats qui sont mal jaugés, qui sont mal quantifiés, qui sont mal placés. Par exemple, la question sur l'état physique : "est-ce que je suis en pleine possession de mes moyens physiques, comme il y a 5-6 ans ?". Ce n'est pas sûr… Donc si lui, inconsciemment, vise de minimum revenir à son meilleur niveau, celui d'il y a cinq ans, ce n'est peut-être pas possible. Et là, ça pourrait mal tourner en termes de pression, elle pourrait devenir négative, dans le sens mal géré. Ça peut en conséquence l'énerver, le frustrer… La pression, si tu le veux, elle est indispensable pour être capable d'être soi, mais, en même temps, il faut qu'elle soit bien appréhendée. Que ce soit justement quelque chose d'aidant et non pas quelque chose d'inhibant ou d'énervant ou de démoralisant".
L'équipe de France pour Pogba, et pourquoi pas ?
Sauf que l'AS Monaco et le joueur ont déjà tout anticiper à ce sujet-là. "Nous prévoyons trois mois pour la première phase du processus, comme une montée en puissance, afin de voir ensuite Paul atteindre sa meilleure version", a confirmé Thiago Scuro quant au processus de remise en forme qui sera progressif. Une tendance confirmée par l'intéressé : "il y a des étapes. La première étape, c’est revenir sur les terrains, jouer pour mon équipe d’abord".
Et ce, avant un retour tant attendu en équipe de France. Car oui, forcément, la question lui a été posée. "J'ai eu Didier (Deschamps) au téléphone, il m’a dit : C’est bon, tu as signé à Monaco, tu peux revenir quand tu veux", a-t-il lâché en rigolant, avant d'insister sur le fait qu'il ne pouvait aller en équipe de France "sans jouer". Step by step donc, comme le décrit bien Gauthier.
"L'équipe de France ? Lui seul sait à quel niveau physique, il est, il se connait parfaitement ce niveau-là. Il est certain que de se fixer des objectifs après ce qu'il a vécu, pareil, c'est fondamental, insiste Gauthier. Je structurerais la chose de la façon suivante : en premier, la question sur l'objectif, parce que bien évidemment qu'il faut qu'il se fixe des objectifs, et je pense que c'est le cas, encore une fois, je te parlais des images qu'on a vues où il est très ému. C'est forcément que lui, il a quelque chose en tête de très élevé, élevé à quel point, est-ce que c'est jusqu'à l'équipe de France, lui seul doit le sentir et savoir si c'est possible de viser ça. Maintenant, moi, je suis convaincu – en tout cas, ça serait indispensable – que lui fasse ce travail-là, soit de le faire avec quelqu'un pour l'aider."
"Discuter de pourquoi tu reviens, qu'est-ce que tu vises, qu'est-ce qui est important pour toi, qu'est-ce que tu as envie d'atteindre. Car tout ça est le point de départ à la motivation et au travail qu'il va devoir fournir. Donc oui, travailler avec des objectifs, c'est fondamental, ça l'est pour tout le monde. Encore une fois, à ce niveau de performance là, c'est une ligne de crête, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait une motivation très forte pour être capable de tirer la quintessence de ses capacités. Donc ça, c'est en amont. Il faut que tout ait du sens : pourquoi je vais me lever le matin maintenant et faire autant d'efforts alors que forcément physiquement, je ne suis plus le même que quand j'avais 20 ans. Ajouter à cela les blessures, plus les potentielles difficultés mentales. Il faut être capable de dépasser et de traverser tout ça, il faut avoir une vraie raison de le faire, et la vraie raison, ce sont forcément les questions suivantes : "qu'est-ce que je vise et qu'est-ce que je veux". Soit un objectif puissant."
Mais attention à bien cerner le sens de l'objectif : "le travail sur ce point-là, c'est fondamental de bien le faire. Il faut le faire comprendre aux athlètes. En France, notre façon d'appréhender les objectifs est assez binaire, le raisonnement. C'est-à-dire qu'on pense qu'un objectif, ça peut mettre la pression parce qu'on pense que si on se met un but, on doit l'atteindre, alors qu'une finalité, ce n'est pas du tout le but. Un objectif, c'est donner du sens, donner de la motivation".
L'objectif pour "décupler la motivation"
Ce que Gauthier explique, c'est que l'objectif ne doit jamais être une fin en soi, que seul le résultat compte. Et ceci est primordial pour éviter la rechute du sportif : "doit-on craindre une rechute psychologique si les objectifs ne sont pas atteints ? Non, si le travail a été bien fait. S'il se met dans la peau qu'il doit revenir en équipe de France, et que ça n'aboutit pas, là, oui, il peut y avoir une rechute. Maintenant, si l'objectif est bien travaillé, bien formulé et bien appréhendé, aucun problème. Encore une fois, il y a plein de gens très bien qui n'atteignent pas leurs objectifs et ça se passe bien".
"Il faut être capable de comprendre cette mécanique-là et de comprendre que l'objectif, c'est un soutien, c'est quelque chose qui permet de réfléchir au plan d'action, aux stratégies à mettre en place et quelque chose qui va soutenir la motivation sur le long terme. Donc, pris dans ce sens-là, un objectif, c'est fondamental", poursuit-il.
En conséquence, cela est "tout sauf une épée de Damoclès", mais bien une manière de faire "décupler la motivation" : "supposons que son but soit de revenir en équipe de France et qu'il n'y arrive pas, mais qu'il soit titulaire une grande partie de l'année, qu'il finisse sur le podium avec Monaco, qu'il joue la Ligue des champions l'année prochaine et qu'il fasse un beau parcours avec de bonnes prestations. Il n'aura pas perdu son temps, je pense qu'il sera satisfait".
"Donc, l'objectif, ce n'est pas blanc ou noir, ce n'est pas, je l'atteins, c'est bien et je ne l'atteins pas, c'est la catastrophe. Un objectif, ça doit être appréhendé comme ça, encore une fois, quelque chose qui permet de progresser et d'avancer. Mais en aucun cas, ça doit être un truc couperet, si je ne l'atteins pas, c'est la catastrophe et du coup, le monde s'arrête", conclut-il. Et comme ça, c'est clair. À Paul Pogba de nous régaler à présent.